Afrique du Sud : Jacob Zuma et l’art du jonglage diplomatique
Abidjan, Tripoli, Tana… Le président sud-africain Jacob Zuma court les crises africaines. Une stratégie qui a remis Pretoria sur le devant de la scène.
« Il est moins dogmatique que Thabo Mbeki, et c’est une chance pour la diplomatie sud-africaine », disent tous les observateurs. De fait, la souplesse tactique de Jacob Zuma paie. En décembre 2010, il a réussi un joli coup. Son pays est entré dans les Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine) – le club des puissances émergentes. À l’acronyme s’est, depuis, ajouté un « s » pour « South Africa ».
Désormais, il faut dire Brics. Évidemment, pour des pays bien plus riches, comme le Mexique, la Turquie, la Corée du Sud ou l’Indonésie, ce choix semble injuste. Mais les Bric voulaient s’ouvrir à l’Afrique. Et Zuma a su les convaincre que son pays était le plus représentatif du continent. Le 14 avril, à Sanya, sur l’île chinoise de Hainan, Zuma a pris son air faussement modeste – la tête rentrée dans les épaules. Mais sur la photo, aux côtés de ses quatre homologues, il jubilait…
Ces derniers mois, c’est sur le dossier ivoirien que Zuma a montré son habileté tactique. Dès le 13 décembre, il envoie auprès de Gbagbo et de Ouattara un émissaire secret – un ancien ministre des Affaires étrangères d’un pays francophone d’Afrique de l’Ouest. Pendant quelques semaines, il laisse parler les pro-Gbagbo – sa ministre des Affaires étrangères, Maite Nkoana-Mashabane, et l’ex-président Mbeki. En réalité, dès fin 2010, il confie le dossier à l’un de ses hommes de confiance, le ministre de la Sécurité d’État, Siyabonga Cwele. Le 31 janvier, c’est Cwele qui, au nom de l’Afrique du Sud, entre dans le groupe des sept experts de l’Union africaine (UA) chargé de faire son rapport. On connaît la suite : le 10 mars, à Addis-Abeba, l’UA reconnaît la victoire d’Alassane Ouattara. Ce jour-là, Thabo Mbeki a dû manger son chapeau…
Grand Écart. Quelquefois, Jacob Zuma est trop habile. Sa diplomatie n’est plus lisible. Le 17 mars, au Conseil de sécurité de l’ONU, son représentant vote en faveur de frappes militaires contre l’armée libyenne, qui menace les populations civiles de Benghazi. Trois semaines plus tard, le 10 avril, il se rend lui-même à Tripoli – toujours flanqué de l’indispensable Siyabonga Cwele –, et parle « trêve » avec le colonel Kadhafi. Le 30 mai, il y retourne en regrettant que les raids aériens de l’Otan sapent la médiation en cours de l’UA. Zuma l’équilibriste. D’un côté, il donne des gages aux Occidentaux pour décrocher un siège permanent au Conseil de sécurité ; de l’autre, il apaise le Congrès national africain (ANC, au pouvoir), qui n’oublie pas l’aide que lui a fournie Kadhafi au temps de l’apartheid et « condamne les bombardements occidentaux » en Libye. Zuma ou la diplomatie du grand écart.
Mais au-delà de ces contradictions, c’est un calculateur. S’il joue aux cartes, il doit longtemps retenir ses coups avant d’abattre son jeu. À Madagascar, il soutient le président déchu, Marc Ravalomanana, tout en recevant à Pretoria son tombeur, Andry Rajoelina. Au Zimbabwe, il prend ses distances avec Robert Mugabe, au grand dam de celui-ci. En Libye, il attend. Le jour où il faudra trouver une porte de sortie pour Kadhafi, Zuma sait qu’il sera incontournable.
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