Thierry Michel : « Le procès Chebeya a été exemplaire, mais justice n’a pas été rendue »

Quatre policiers ont été condamnés à mort en RDC pour l’assassinat du directeur de l’ONG la Voix des sans-voix. Retour sur un verdict très attendu avec le réalisateur belge Thierry Michel.

Cinq des accusés devant le tribunal militaire de Kinshasa, le 23 juin. © Thierry Michel/Passerelle

Cinq des accusés devant le tribunal militaire de Kinshasa, le 23 juin. © Thierry Michel/Passerelle

ANNE-KAPPES-GRANGE_2024

Publié le 15 juillet 2011 Lecture : 6 minutes.

Dix mois de procès, un verdict rendu par le tribunal militaire de Kinshasa, le 23 juin, et au final un sentiment mitigé. Certes, soulignent ONG et parties civiles (qui vont faire appel), il n’y a pas eu acquittement pur et simple, ni – comme on pouvait le craindre – de requalification en homicide involontaire, mais des zones d’ombre demeurent. Quatre policiers ont été condamnés à la peine de mort (que la RDC n’applique pas) pour l’assassinat du leader de la Voix des sans-voix, Floribert Chebeya, en juin 2010. « Preuve, selon Thierry Michel, que l’on n’a pas eu un procès bidonné de république bananière. » Le réalisateur belge* a assisté à toutes les audiences – il prépare un documentaire sur le sujet. Interview.

Jeune Afrique : Justice a-t-elle été rendue dans l’affaire Chebeya ?

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Thierry Michel : La justice ? Sûrement pas. L’enquête n’a pas été menée jusqu’à son terme, et l’on reste avec une énorme frustration. Trois des accusés ont été condamnés à mort par contumace. On nous dit qu’ils sont à l’étranger, mais je ne suis pas sûr qu’ils soient activement recherchés. Il y a aussi Fidèle Bazana, le chauffeur de Floribert Chebeya, dont le corps n’a jamais été rendu à la famille. Et puis il y a le général John Numbi, l’ancien chef de la police congolaise [proche du président Kabila, NDLR], dont l’ombre a plané sur le procès, mais qui n’a eu à répondre de rien.

Lui n’a jamais été inculpé…

Effectivement. C’est avec lui qu’avait rendez-vous Floribert Chebeya quand il a disparu, en juin 2010. Mais la cour militaire n’avait pas le pouvoir de le faire comparaître. Il est venu au tribunal, non pas comme un témoin qui aurait dû prêter serment, mais comme « technicien renseignant ». D’où l’impression que toute l’instruction a servi à le protéger.

Des condamnations lourdes ont tout de même été prononcées. Le pire n’a-t-il pas été évité ?

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Je fais une distinction claire entre l’enquête et le procès. L’enquête a été imparfaite, dissimulatrice même, et c’était prévisible : ce sont des policiers qui ont enquêté sur des policiers. Le procès, en revanche, a été quelque part une leçon de démocratie. Il a apporté des réponses. Il a montré qu’on avait tenté de cacher la réalité des faits et que de faux scénarios avaient été élaborés pour dédouaner les vrais responsables. Jusqu’à ce général Oleko [commandant provincial de la police de Kinshasa, NDLR] qui, juste après la découverte du corps de Floribert Chebeya, a rédigé un communiqué affirmant que le corps ne portait aucune trace visible de violence. Le témoignage de la police scientifique lors de la reconstitution devant la cour a prouvé le contraire. Le maire de la commune où l’on a retrouvé Floribert Chebeya a dit que par trois fois le procureur général avait refusé de venir faire ses constatations et que, par trois fois, on lui avait donné l’ordre formel de laisser le corps partir. Pour le reste, je le répète : les juges ont fait un énorme travail de recherche de la vérité.

Est-ce une surprise ?

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Oui, mais il y a des raisons. D’abord, les magistrats qui ont siégé étaient des militaires de carrière, bien formés et qui ont réussi à faire preuve d’une réelle indépendance. Ils n’ont rien à voir, dans leur parcours, avec John Numbi ou Daniel Mukalay [colonel condamné à mort, NDLR] qui ne doivent leurs grades qu’à leur allégeance politique. Ensuite, il y a eu beaucoup de pressions : celles des quarante avocats de la partie civile et celles de la communauté internationale. L’Union européenne [UE, NDLR] ou les pays membres de l’UE ont été hyperprésents tout au long de la procédure. Et puis il y avait les grandes ONG internationales, comme la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, Avocats sans frontières, la Fondation Carter, etc. C’est un procès qui s’est déroulé sous la loupe de la communauté internationale. Et en présence des journalistes qui ont eu la liberté de filmer tous les débats. Je pense que ça a été, pour les juges, une manière de garantir leur indépendance.

La proximité des élections a-t-elle joué ?

Oui. Il est évident que la RDC dépend de la communauté internationale pour le financement de la présidentielle et des législatives, et qu’elle doit présenter l’image d’un État de droit.

Vous vous dites pourtant frustré par le verdict…

Bien sûr. Dans ce procès, comme dans tout grand théâtre, il ne faut pas oublier les coulisses. Qu’a-t-on eu en coulisses ? On a eu toutes les tentatives d’intimidation dont ont été victimes les familles Chebeya et Bazana. Les proches de Chebeya ont dû se réfugier à Toronto, au Canada. Ceux de la famille Bazana, en France. Un des cousins de Floribert a été licencié. J’ai essayé d’intercéder en sa faveur, et à chaque fois on m’a répondu la même chose : « Prendre un Chebeya, tu es fou ! » Il y a aussi le cas de Gomer Matele, un témoin clé dans cette affaire. C’est un homme d’affaires camerounais établi depuis longtemps au Congo. Il a contredit le colonel Mukalay en affirmant avoir vu Chebeya au siège de l’inspection générale de la police le jour de sa disparition. Pendant le procès, des hommes armés sont venus à son domicile en pleine nuit. Depuis, il vit caché, dans des conditions misérables. Aujourd’hui, cet homme n’a plus rien.

Et puis il y a le cas de Fidèle Bazana…

Sa femme n’a plus qu’un espoir, qu’on lui dise ce qui est arrivé à son mari et qu’on lui rende son corps ! Pour Fidèle Bazana, la justice ne parle que d’enlèvement et de séquestration arbitraire, pas d’assassinat. Et pourtant, dans ses courriers, elle s’adresse à « la veuve Bazana » ! On lui a accordé la même indemnité ridicule de 50 000 dollars qu’à la veuve de Floribert Chebeya : trop de gens savent la vérité. Il faut faire sauter le verrou du silence ! Mais pour cela il faut aussi une vraie volonté politique, qui ne s’est pas encore manifestée.

Comment ont réagi les accusés à la lecture du verdict ?

D’un côté, il y avait le petit Michel Mwila, condamné à la prison à vie parce qu’il a porté à Floribert Chebeya la lettre le convoquant à l’inspection générale de la police. Il a, tout au long du procès, montré des signes de nervosité extrême. Pas comme le colonel Mukalay… Lui a été d’une impassibilité totale, y compris lorsqu’il a été condamné à mort. Il n’a jamais montré le moindre signe d’inquiétude. Ce qui me fait dire, même si je n’en ai pas la preuve, qu’il y a, d’un côté, le théâtre judiciaire et, de l’autre, un scénario sur le long terme qui est déjà écrit. Au final, on aura eu un vrai procès avec un verdict qui, s’il reconnaît l’assassinat et la responsabilité de l’État, montre aussi que la justice n’a pas réussi à aller jusqu’au bout et préserve des secrets de polichinelle.

Comment a réagi la famille de Floribert Chebeya ?

Sa femme n’a pas pu être présente. Elle a très mal pris le verdict et a dû être hospitalisée le soir même au Canada. Pour la famille de Bazana, c’est une honte ! Elle n’est pas entourée comme l’est celle de Floribert Chebeya, sa souffrance n’est pas reconnue et la communauté internationale en fait peu de cas. Fidèle Bazana, c’était un chauffeur, voilà tout. Selon que vous serez médiatique ou misérable…

Que peut-on attendre d’un procès en appel ?

La vérité sur ce qui est arrivé à Fidèle Bazana, d’abord et avant tout, et sur le rôle qu’a joué John Numbi. Il est clair que ceux qui ont dissimulé le corps de Bazana et mis en scène un sordide simulacre de crime sexuel pour Chebeya n’ont pas agi seuls. Ça ne peut que remonter au plus haut niveau de l’état-major de la police.

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* Auteur notamment de Mobutu, roi du Zaïre (1999), Congo River (2005), Katanga Business (2009).

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