Mahamadou Issoufou : « Kadhafi, les Nigériens, le Calife et moi… »
Trois mois après son accession au pouvoir, le nouveau président du Niger ne connaît pas d’état de grâce. Une guerre se déroule à ses frontières, les terroristes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique sont plus que jamais menaçants et l’économie est à reconstruire… Pour ce démocrate socialiste, grand admirateur du calife Omar, la tâche s’annonce rude.
Cette interview a été réalisée avant l’arrestation de militaires accusés, selon des sources sécuritaires nigériennes, de tentative de coup d’État.
Mahamadou Issoufou, 59 ans, est un chef d’État modeste – « normal », dirait son camarade de l’Internationale socialiste François Hollande –, et cela se voit. Accompagné de son épouse et de son aide de camp, c’est dans un restaurant parisien sans prétention, autour d’un déjeuner auquel il touchera à peine, que celui qui préside depuis un peu plus de trois mois aux destinées du Niger a donné rendez-vous à Jeune Afrique en marge de sa première visite officielle en France. Point de suite dans un palace, mais un simple bed and breakfast à la résidence de son ambassadeur pour le dirigeant de l’un des pays les plus pauvres du continent, très démocratiquement élu par 58 % des voix, et qui revendique sa sensibilité d’homme de gauche. Mathématicien et ingénieur des Mines formé à Saint-Étienne, en France, celui que ses partisans surnomment Zaki (le « Lion ») est un Haoussa dont la principale qualité est sans doute la résilience. Candidat à chaque élection présidentielle depuis 1993, il s’est imposé au quatrième essai après avoir connu les gloires et les affres de la vie d’opposant : tour à tour clandestin, fondateur du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), Premier ministre, président de l’Assemblée nationale, proscrit, objet d’un mandat d’arrêt inique… En définitive, l’obstination de son prédécesseur à prolonger son mandat au-delà du délai fixé par la Constitution a, en quelque sorte, fait son lit. Mamadou Tandja renversé par une junte de militaires républicains en février 2010, la voie était libre pour récompenser enfin la persévérance de son adversaire le plus constant.
Homme de terrain – il se targue d’avoir visité la quasi-totalité des localités du Niger – pas tribaliste pour un sou (la preuve : il a gagné dans la région d’origine de son adversaire et perdu dans la sienne), Mahamadou Issoufou a pour lui l’avantage de connaître sur le bout des doigts le fonctionnement du secteur minier, source de revenus exclusive (ou presque) du budget de l’État. Il fut, en effet, à la fin des années 1980 et au début des années 1990 directeur national des mines, secrétaire général de la Somaïr et directeur d’exploitation de la mine d’uranium d’Arlit. Reste qu’il accède au pouvoir en pleine tourmente régionale alors que le Niger, déjà en proie à la menace terroriste d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), doit faire face aux conséquences de la guerre chez son voisin libyen. Une équation à plusieurs inconnues dont ce scientifique se serait bien passé.
Jeune Afrique : Lors du sommet de l’Union africaine, fin juin, vous avez mis en garde contre un risque de « somalisation » de la Libye. N’est-ce pas excessif ?
Mahamadou Issoufou : Non. La crise libyenne amplifie les menaces auxquelles sont confrontés les pays de la région. Nous étions déjà exposés à la menace intégriste, à celle des organisations criminelles, des trafiquants de drogue, des trafiquants d’armes… Tous ces problèmes, aujourd’hui, sont accrus. D’autant que des dépôts d’armes ont été pillés en Libye, lesquelles ont été disséminées à travers toute la région. Oui, je suis très inquiet : nous craignons que l’État libyen ne se dissolve, comme cela s’est passé en Somalie, et que des extrémistes religieux accèdent au pouvoir.
Avez-vous des contacts avec les rebelles du Conseil national de transition (CNT) ?
Le Niger n’est ni du côté du colonel Kadhafi, ni de celui du CNT. Nous ne soutenons personne. Ce que nous voulons, c’est rapprocher les différentes positions pour arriver à une solution politique négociée. Nous sommes convaincus qu’il n’y a pas de solution militaire en Libye.
Vous avez rencontré le président Nicolas Sarkozy, le 6 juillet à Paris. Sur ce sujet, vous avez des positions très différentes…
Il est conscient qu’il faut trouver une solution rapide à la crise.
Mais pour lui, cela passe par le départ de Kadhafi…
Kadhafi a déjà accepté de ne pas participer aux négociations. C’est un pas important.
Seriez-vous prêt à l’accueillir au Niger ?
Tout le monde est d’accord pour que Kadhafi reste en Libye, y compris certains Occidentaux avec qui j’ai eu des entretiens. Il faut qu’il demeure en Libye, en citoyen libre et avec tous ses droits. La question de son exil, au Niger ou ailleurs, ne se pose pas.
Vous avez à Niamey une ambassade qui fonctionne encore avec un représentant du régime Kadhafi…
Comme dans toutes les capitales africaines. Le fait de conserver une ambassade libyenne à Niamey ne veut pas dire que l’on prend parti. On a simplement maintenu le statu quo. Je le répète : ce que nous voulons, c’est créer les conditions d’une solution politique négociée.
Vous connaissez bien Kadhafi. Vous l’avez rencontré quand vous étiez dans l’opposition. Le considérez-vous comme un ami ?
Le colonel Kadhafi a et a eu des amitiés avec tous les chefs d’État et tous les responsables politiques africains, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition. Ce n’est pas un secret. Le Niger a une frontière commune avec la Libye, le colonel Kadhafi connaît toutes les personnalités politiques nigériennes. Donc oui, j’ai eu des relations avec lui.
Vous a-t-il aidé financièrement ?
Non. On fantasme toujours beaucoup sur le soutien qu’il aurait apporté à tel ou tel. Mais il n’y a eu aucuns fonds libyens dans ma campagne électorale.
La Libye a investi au Niger…
Moins que dans d’autres pays, au Mali ou au Burkina par exemple. Il n’empêche : cette crise a des conséquences économiques très préjudiciables pour nous. La Libye avait par exemple décidé de financer une route : 1 100 km depuis la frontière libyenne jusqu’à Agadez. Aujourd’hui, le projet est à l’arrêt. Par ailleurs, tous les échanges commerciaux sont stoppés.
Peut-on chiffrer le coût de la crise libyenne pour l’État nigérien ?
Pour l’instant, on estime qu’on a déjà perdu 5 milliards de F CFA [7,6 millions d’euros, NDLR] et ce n’est que le début. D’autant que plus de 210 000 Nigériens ont fui la Libye et sont rentrés au pays. Ce sont des émigrés qui effectuaient des transferts d’argent et faisaient vivre beaucoup de monde, jusqu’à dix personnes parfois.
Selon certaines informations, vous auriez donné votre accord pour que la France livre des armes au CNT à partir du territoire nigérien. Qu’en est-il exactement ?
C’est totalement faux. C’est même une question de logique : les Français sont aux portes de Benghazi, les navires français sont à quelques kilomètres des côtes libyennes… Pourquoi iraient-ils se compliquer la vie en passant par le Niger pou livrer des armes au CNT ? Cela n’a pas de sens !
Le 12 juin, une cargaison d’explosifs a été saisie dans la région d’Arlit. Il y a eu des arrestations, dont un certain Mohamed Abta Hamaïdi, trafiquant puissant et ex-conseiller de votre prédécesseur, le président Tandja. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Il y a effectivement eu un accrochage entre des trafiquants d’armes et l’armée nigérienne, mais je ne suis pas en mesure de dire si ces trafiquants sont liés à Aqmi. Ce que l’on sait, c’est qu’ils venaient de Libye et que l’on a saisi une importante quantité de Semtex. L’enquête est en cours. Quant à Abta, qui a été arrêté deux jours plus tard, il faisait effectivement partie des gens qui convoyaient cette cargaison d’armes. C’est tout ce que je peux dire pour l’instant.
Qu’attendez-vous de lui : des renseignements ?
Oui. L’enquête et les interrogatoires sont en cours.
Cet homme a-t-il, comme on le dit, négocié sa reddition ?
Il est prématuré d’en parler.
Vous êtes au pouvoir depuis trois mois. La coalition de 33 partis qui vous a soutenu pour votre élection va-t-elle tenir ?
Je le pense. Nous avons une coalition soudée autour d’un certain nombre d’objectifs et de valeurs. Tous les partis qui m’ont soutenu pour la présidentielle, et en particulier le parti Lumana de Hama Amadou, en ont discuté avant le second tour. Ensemble, nous avons défini un programme de gouvernement qui est le ciment de notre coalition.
L’opposition et les syndicats ont refusé d’entrer au gouvernement, malgré votre main tendue. Le regrettez-vous ?
Non. L’opposition a voulu respecter la règle classique du jeu démocratique – même si, moi, je continue de penser que le gagnant d’une élection doit tenter de rassembler tout le monde, y compris les perdants. C’est leur choix et je le respecte.
Quelles sont vos relations avec votre ancien concurrent Seini Oumarou ?
Excellentes. Il est le chef de file de l’opposition, je le rencontre de temps à autre. L’opposition a désormais un statut au Niger. J’ai fait voter à l’Assemblée une loi définissant les avantages du chef de l’opposition, qui a rang et avantage de chef d’institution de la République. Mon objectif, c’est de créer les conditions d’une démocratie apaisée. Le fait que nous soyons dans des camps différents ne doit pas nous empêcher de nous parler et de nous consulter. En politique, il y a des adversaires, mais il n’y a pas d’ennemis.
Et avec Hama Amadou, qui était lui aussi candidat à la présidentielle et qui vous a soutenu au second tour ?
Cela se passe aussi très bien.
C’est une cohabitation ?
Non, nous sommes dans la même majorité. Il est le président de l’Assemblée nationale, il occupe un poste important. Comme vous le savez, la présidence de la République n’est pas un banc, c’est un fauteuil sur lequel, au bout du compte, il n’y a qu’une seule personne qui s’assoit. Cela ne nous empêche pas de travailler ensemble main dans la main.
Pourtant, en mai 2007, vous aviez déposé au Parlement une motion de censure qui a entraîné la chute de son gouvernement…
Mais il sait bien que c’est la règle du jeu ! J’étais dans l’opposition, il était Premier ministre. Moi, je faisais mon travail d’opposant. Non, il ne m’en veut pas. La preuve, c’est qu’il a appelé à voter pour moi.
Vous avez nommé Brigi Rafini au poste de Premier ministre. Parce qu’il est touareg ?
Pas du tout. C’est un grand commis de l’État que j’ai choisi pour son expérience et ses compétences. Il a été sous-préfet, préfet, ministre dans le gouvernement de Seyni Kountché, président de l’Assemblée nationale de l’époque… Depuis trois mois que l’on travaille ensemble, j’ai eu la confirmation que je ne m’étais pas trompé.
L’ancien président Mamadou Tandja a été libéré le 10 mai. On dit que le Sénégalais Abdoulaye Wade est intervenu en sa faveur. Est-ce exact ?
Aucun chef d’État n’est intervenu. C’est une décision de justice, et la justice nigérienne est indépendante.
Va-t-il revenir en politique ?
Posez-lui la question.
Toute l’opposition a défilé chez lui après sa libération…
C’est normal. Sa mère est morte pendant qu’il était en prison. Moi-même, je suis allé lui rendre visite. C’est la tradition.
Est-il libre de refaire de la politique ?
Bien sûr, comme n’importe quel citoyen.
Craignez-vous cette éventualité ?
Pas du tout.
Lorsqu’il était au pouvoir, Mamadou Tandja a fait émettre contre vous un mandat d’arrêt international pour blanchiment d’argent. Lui avez-vous pardonné ?
Il faut jeter la rancune à la rivière. D’ailleurs, je n’ai pas cherché à m’opposer à sa libération. J’aurais pu me pourvoir en cassation, j’ai préféré tourner la page. L’énergie que je pourrais mettre à le persécuter, il vaut mieux que je la mette à construire. C’est ma philosophie.
Comment jugez-vous son bilan économique et social ?
Le Niger aurait pu être mieux géré. Comme j’ai coutume de le dire, le Niger n’est pas un pays pauvre, c’est un pays mal géré, et il a été mal géré pendant les deux mandats de Tandja. Les ressources du pays auraient pu être utilisées de manière plus efficace. Avec les mêmes ressources, on aurait pu faire deux fois, trois fois plus que ce qui a été fait : plus d’écoles, plus de dispensaires, plus de routes, plus de puits.
Reste que ce qui a précipité sa chute ce n’est pas sa gestion, mais le « tazartché », c’est-à-dire son projet de se maintenir au pouvoir à tout prix…
Effectivement. Sans le « tazartché », il aurait quitté le pouvoir par la grande porte.
Finalement, le « tazartché » vous a rendu service ?
Oui, c’est probable. Si le président Tandja avait laissé les élections se dérouler normalement, en 2009, et s’il avait soutenu un autre candidat de son parti, peut-être que je n’aurais pas été élu.
Tandja a contraint la société Areva à plier face aux exigences de l’État nigérien. Cela aussi, vous le critiquez ?
C’est un bel exemple de communication à usage interne. Il n’y a pas eu de bras de fer. J’ai entendu dire que Tandja avait mis fin au monopole d’Areva au Niger, mais Areva n’a jamais eu de monopole au Niger. Le secteur de l’uranium a toujours été diversifié. Je suis bien placé pour le savoir puisque j’ai dirigé la Somaïr pendant cinq ans. La Somaïr avait quatre actionnaires dès l’origine : les Allemands, les Italiens, le Niger et la Cogema, que l’on appelle aujourd’hui Areva. Un capital ouvert donc, mais la propagande a prétendu que Tandja avait mis fin à un monopole qui n’existait pas.
La junte qui vous a précédé avait mis sur pied une Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale pour passer au crible la gestion du président Tandja. Allez-vous, de la même manière, vous intéresser à la gestion des militaires ?
Non, il n’y a pas, à proprement parler, d’audit sur la gestion du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie [CSRD]. Le CSRD avait entrepris une moralisation de la vie publique. Il nous a laissé un certain nombre de dossiers que nous avons repris et que nous étudions.
La presse nigérienne affirme toutefois que, lorsque la junte était au pouvoir, 30 milliards de F CFA (près de 46 millions d’euros) auraient été illégalement sortis des caisses de l’État…
Ce chiffre est très exagéré. L’inspection générale a constaté des anomalies au ministère des Finances, mais sur des sommes bien moindres. Et, encore une fois, cela ne signifie pas qu’il y a une enquête spéciale CSRD. En revanche, puisque l’important est d’assainir la gestion des finances publiques, je vais mettre en place une haute autorité chargée de la lutte contre la corruption et l’impunité.
Vous avez réorganisé la hiérarchie militaire début juin. Pourquoi ?
Il est normal qu’il y ait une rotation des chefs de l’armée. Il n’y a pas d’autres raisons.
Quatre officiers supérieurs avaient été accusés de complot et arrêtés sous Salou Djibo. Ils ont été relaxés. N’est-ce pas un camouflet pour l’ex-chef de la junte ?
Non, je ne pense pas que Salou Djibo puisse voir les choses comme cela. Il sait que la justice nigérienne est indépendante. Ces officiers ont été libérés par la justice, tout comme Tandja a été libéré par la justice. Ni Djibo ni moi-même avons rien de plus à dire. C’est la preuve que nos institutions marchent très bien.
Salou Djibo, c’est un peu votre Sékouba Konaté (chef de la transition, en Guinée, avant l’élection d’Alpha Condé) : il quitte l’armée mais se dit toujours « disponible en cas de besoin »…
Salou Djibo a rendu d’immenses services à notre pays. Il a ramené le Niger sur les rails de la démocratie. Ce qu’il a fait pour le Niger n’a pas de prix. C’est un grand patriote.
Envisagez-vous de lui faire jouer un rôle ?
Pour l’instant, il souhaite s’occuper de sa fondation. Quand on a fait la passation de service, en avril, je lui ai demandé ce qu’il voulait. Il m’a dit « rien ». Je lui ai alors demandé ce qu’il voulait pour son entourage. Là encore, il a répondu « rien ». La seule chose qu’il souhaitait, m’a-t-il dit, c’est que je réussisse. Ça, c’est Salou Djibo.
L’armée nigérienne est-elle une armée putschiste ou une armée républicaine ?
Elle est, pour l’essentiel, une armée républicaine. Certes, il y a eu des circonstances précises qui ont fait qu’elle est intervenue en 1974, en 1996, en 1999 et, enfin, le 10 février 2010. Doit-on en conclure que c’est une armée putschiste ? Je ne le pense pas.
La famille du général-président Baré Maïnassara, assassiné en 1999, a vu sa dernière plainte déboutée par la justice, il y a deux mois. Saura-t-on un jour la vérité ?
Cet assassinat a été un véritable drame, mais l’affaire est, comme vous le dites, entre les mains de la justice. En tant que président, je n’interviens pas.
Vous avez beaucoup promis pendant votre campagne. Comment tenir de tels engagements avec une marge budgétaire quasi nulle ?
J’ai fait des promesses ambitieuses, certes, mais réalistes, et c’est le moins que l’on puisse faire pour sortir le Niger de la pauvreté. Nous allons investir 900 milliards de F CFA dans l’agriculture et accroître les rendements. C’est le but de l’initiative 3 N, « les Nigériens nourrissent les Nigériens », parce que je suis convaincu que la famine n’est pas une fatalité. Nous allons aussi développer les infrastructures, et notamment le chemin de fer, pour réduire les coûts du transport, investir dans l’énergie et l’éducation… Tout cela nous permettra de créer 50 000 emplois par an, soit 250 000 sur cinq ans.
Comment allez-vous financer ce programme ?
Il nous faut 9 milliards d’euros. Le Niger financera à hauteur de 50 %. L’autre moitié viendra des partenaires extérieurs. C’est à notre portée.
Vous comptez sur l’uranium et, bientôt, sur le pétrole…
Sur l’uranium, bien sûr, puisque nous allons ouvrir une troisième mine, à Imouraren, qui nous permettra de doubler notre production en 2013. Nous comptons aussi sur le pétrole : le premier baril sortira en 2012. Il sera évacué jusqu’au port de Kribi, au Cameroun, via le Tchad. Les perspectives sont donc bonnes. Le Fonds monétaire international [FMI] est d’ailleurs optimiste : le Niger va connaître un important taux de croissance.
Vous appelez les Nigériens à un changement des mentalités. Qu’est-ce à dire ?
Les Nigériens perdent trop de temps ! C’est l’une des ressources que l’on gaspille le plus au Niger et en Afrique en général. Moi par exemple, je suis au bureau de 7 h 30 à 19 h 30. Il faut que les gens suivent l’exemple.
Vous êtes un mathématicien de formation. Cela vous aide-t-il dans la gestion des affaires publiques ?
Probablement. J’ai tendance à penser que les scientifiques sont plus rigoureux.
Vous avez été quatre fois candidat à une élection présidentielle. D’où vous vient cette ténacité ?
De mes convictions et des valeurs auxquelles je crois.
Quels sont vos modèles politiques ?
Je ne suis pas un intégriste, mais j’aime citer le calife Omar, le troisième calife de l’Islam. C’était un homme juste. Écoutez cette histoire : « Un soir, comme tous les soirs, le calife Omar sort de Médine pour faire sa ronde incognito et voir comment se porte le peuple. Il aperçoit une femme qui fait bouillir une marmite. La marmite est vide, mais la femme la laisse sur le feu pour que ses enfants, qui pleurent, aient l’espoir de manger quelque chose. La femme ne le reconnaît pas. Elle critique donc à haute voix le calife Omar, dont elle imagine qu’il est tranquillement chez lui, le ventre plein, sans se soucier des pauvres. Omar rentre alors à Médine, achète des vivres pour la femme, les lui rapporte sur sa tête et lui prépare à manger. » Quel chef d’État pourrait faire cela aujourd’hui ?
Et vos modèles parmi les hommes politiques nigériens ?
J’en ai beaucoup. À ma manière, je fais la synthèse de tous ceux qui m’ont précédé : Djibo Bakary, Hamani Diori, Seyni Kountché… Tous ont des aspects positifs dont il faut s’inspirer.
Vous êtes un homme de gauche, membre de l’Internationale socialiste. La manière dont le camarade Laurent Gbagbo s’est comporté vous a-t-elle affecté ?
Sa chute m’a fait beaucoup de peine. J’aurais souhaité une sortie différente. Les images de sa capture m’ont choqué. Je ne veux plus en parler.
N’est-il pas en partie responsable de son sort ?
Tout cela est douloureux, il ne sert à rien de remuer le couteau dans la plaie.
Combien de temps un chef d’État doit-il rester au pouvoir ?
Dix ans. Après, il faut partir. Ce qu’on n’a pas fait au bout de dix ans, on ne le fera pas plus tard. Dix ans, cela fait deux mandats au Niger. C’est amplement suffisant.
On vous surnomme Zaki, le « Lion » en haoussa. Le lion est un prédateur, cela ne vous ressemble pas…
Ce n’est pas moi qui ai choisi ce surnom, mais je ne pense pas que les militants qui l’utilisent aient cet aspect en tête. Ils disent plutôt que le lion, c’est le symbole du courage, de la détermination et de la force. La force des arguments, pas les arguments de la force.
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Propos recueillis par François Soudan et Anne Kappès-Grangé
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