Nigeria : Boko Haram, la secte des assassins

D’abord cantonnée dans le Nord du Nigeria, Boko Haram n’hésite plus à frapper au Sud, jusqu’au cœur de la capitale. Le chef de l’État Goodluck Jonathan, qui ne peut plus ignorer la menace, a récemment entamé des négociations avec la confrérie islamiste.

16 juin 2011 Un attentat-suicide prend pour cible le QG de la police à Abuja. © Afolabi Sotunde/Reuters

16 juin 2011 Un attentat-suicide prend pour cible le QG de la police à Abuja. © Afolabi Sotunde/Reuters

Publié le 27 juillet 2011 Lecture : 4 minutes.

À Maiduguri, capitale de l’État du Borno, dans le nord-est du Nigeria, la tension est palpable. Ni les patrouilles militaires, ni les check-points dressés par l’armée ne suffisent à rassurer. Pas plus que les appels au calme lancés par le gouverneur de l’État, Kashim Shettima, le 16 juillet. L’Université de Maiduguri a dû fermer, et le couvre-feu a été prolongé pour les okadas, les taxis-motos, principal moyen de locomotion des populations… et des militants islamistes de Boko Haram, qui sèment la terreur au Nigeria. La brutalité de la réaction de la Joint Task Force (JTF) n’arrange rien. Ce corps d’élite, composé de policiers et de militaires, est sans pitié dans sa traque des membres de Boko Haram, au point que Shettima lui-même a regretté les « excès » de son commando.

Désemparés, les habitants de Maiduguri fuient la ville. Mais si le mouvement a, pendant longtemps, cantonné ses « activités » au nord du pays, il n’hésite plus à frapper au Sud : à Jos le 24 décembre dernier (80 morts), puis à Abuja une semaine plus tard (4 morts). Le 16 juin, un attentat-suicide a visé, toujours dans la capitale nigériane, le QG hypersécurisé de la police, faisant deux morts et détruisant une cinquantaine de véhicules.

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Péché

Il faut dire que les membres de Boko Haram – qui signifie « l’éducation occidentale est un péché » – sont difficilement repérables. Jeunes, vieux, hommes ou femmes, ils viennent des milieux les plus défavorisés. « Ils lancent une bombe, partent enlever leurs masques et accourent deux minutes après pour assister aux opérations de sauvetage, comme n’importe quels badauds », raconte Gilbert Tamba, un journaliste local.

Boko Haram en quatre dates

2002 Mohamed Youssouf, un imam fondamentaliste, crée Boko Haram, à Maiduguri

2009 Le groupe mène ses premières attaques contre des bâtiments publics dans le Nord

Juillet 2009 Youssouf est tué par les forces de l’ordre

16 juin 2011 Un attentat-suicide prend pour cible le QG de la police à Abuja

À l’origine, en 2002, c’est une mosquée et une école coranique que crée Mohamed Youssouf, un imam fondamentaliste, à Maiduguri. Beaucoup de familles musulmanes pauvres y inscrivent leurs enfants. On y apprend que le soleil et la lune tournent autour de la terre et que la théorie de Darwin est une abomination. Que voter ou porter un pantalon revient à cautionner un système vendu à l’Occident.

Rapidement, Boko Haram se politise et milite pour l’instauration de la charia (la loi islamique) dans tous les États à majorité musulmane. L’année 2009 est particulièrement sanglante. La secte multiplie les attaques contre les postes de police et les bâtiments publics à Maiduguri. Des centaines de ses partisans sont tués en représailles. En juillet, Mohamed Youssouf est capturé – vivant – puis abattu par les forces de l’ordre. Sa mort et les images de son cadavre, montrées à la télévision, vont contribuer à la radicalisation du mouvement.

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Commissariats, églises, bars, locaux administratifs… Les cibles de Boko Haram sont variées, pour peu qu’elles symbolisent l’Occident et l’État fédéral. Selon la presse nigériane, les attentats ont fait plus d’une quarantaine de morts depuis la fin du mois de mai. Leur fait d’armes le plus spectaculaire – l’attaque du QG de la police – a choqué les autorités, qui, deux jours auparavant, promettaient « d’éradiquer » le mouvement. « C’est comme si elles avaient subitement pris conscience que personne n’était plus en sécurité, commente une journaliste locale. Que Boko Haram ne se cantonnait pas au Nord, mais s’infiltrait dans le Sud. » Et les Nigérians ont à peine eu le temps de s’en remettre qu’une autre bombe explosait à Maiduguri, le 26 juin. Cette fois-ci, l’engin était jeté par deux jeunes hommes à moto dans un restaurant en plein air très fréquenté. Bilan : 25 morts et des dizaines de blessés. Le 9 juillet, une autre explosion tuait trois personnes à la sortie d’une église à Suleja, une ville de l’État du Delta, à quelques heures seulement d’Abuja.

Illuminés

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« Le problème avec les Boko Haram, c’est que le pouvoir central n’a pas pris la menace au sérieux, analyse Khalifa Dikwa, politologue et professeur de linguistique à l’Université de Maiduguri. À présent, il ne sait plus comment mettre fin à leurs activités. » Les autorités les considéraient au départ comme un groupuscule d’illuminés, sans tenir compte du fait que les extrémismes se nourrissent de la misère. Ses membres sont souvent en rupture avec l’université ou l’école, au chômage et révoltés par le système. Dans leurs propos reviennent souvent la corruption des politiques et les privilèges des élites. « Le Nigeria est riche, mais moins de 5 % du pays profite des revenus du pétrole, explique encore Khalifa Dikwa. Ils ont le sentiment que, depuis le retour à la démocratie, le pouvoir central les a abandonnés et ne se préoccupe plus que du Sud, là où il y a le pétrole et l’argent. »

Pour tenter d’endiguer la menace Boko Haram, le gouvernement nigérian a récemment entamé des négociations avec la secte islamiste. Sept personnes, dont plusieurs ministres, ont été dépêchées par le pouvoir, et devraient rendre compte de leur mission le 16 août. Et peut-être apporter une réponse à la question qui reste encore en suspens : à la mort de Youssouf, ses militants se sont regroupés derrière un nouveau chef, dont l’identité est à ce jour inconnue. La secte a-t-elle, comme certains de ses membres le laissent entendre, des liens avec Al-Qaïda ? Cela reste à prouver. Mais en haut lieu, à Abuja, on reconnaît que plusieurs éléments ont été entraînés et formés hors du Nigeria – en Somalie et peut-être même en Afghanistan. Selon Khalifa Dikwa, il y a matière à s’inquiéter. D’autant que « le Soudan n’est pas si loin, la Libye non plus. Et il y a des raisons de penser qu’avec nos frontières poreuses toutes les armes et les explosifs qui circulent dans cette zone peuvent se retrouver au Nigeria ».

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