Télécoms : coup d’accélérateur sur la 3G
Trois pays s’apprêtent à passer à l’internet mobile à haut débit : l’Algérie, le Cameroun et la Côte d’Ivoire. Ils rattrapent ainsi le retard accusé par une partie du continent en la matière. En cause : le manque d’engouement des opérateurs et des États.
Si l’Algérie fait figure de dernier de la classe au Maghreb – le Maroc a adopté la 3G en 2007, et la Tunisie, en 2010 -, de nombreux pays subsahariens, principalement francophones, ont également traîné avant de monter dans le wagon. Mais le temps des palabres est révolu. Après le Niger et le Gabon cet été, le Congo dans quelques jours, la Côte d’Ivoire et le Cameroun se lancent à leur tour, devançant sans doute de peu la RD Congo, le Bénin, le Tchad…
« Nous avons deux ou trois ans de retard inexplicable, regrettable et dommageable », réagit Bruno Nabagné Koné, ministre ivoirien des TIC. Nommé en juin par Alassane Ouattara, cet expert en télécoms a fait du passage à la 3G une priorité : « J’espère que nous pourrons attribuer trois licences dès le mois de novembre. » Un précieux sésame dont le prix serait fixé à 14 millions d’euros. Montant encore raisonnable, si on le compare aux jolis pactoles évoqués par les observateurs au Cameroun – entre 20 millions et 60 millions d’euros par licence, en fonction de leur nombre – et en Algérie – plus de 200 millions d’euros par licence !
Explosion
Pourquoi les États ont-ils attendu si longtemps avant de sauter le pas ? « Il fallait que le marché de la consommation de données informatiques soit mature », explique un membre de l’état-major de MTN. Un frein aujourd’hui levé. En Algérie, près de 20 % de la population surfe sur le web, selon Guillaume Touchard, du cabinet de conseil Sofrecom (filiale de France Télécom) ; au Nigeria cette proportion s’élève à 30 %. Le phénomène internet est en pleine explosion, stimulé par l’avènement des réseaux sociaux : à lui seul, Facebook réunit 45 % des internautes algériens. Surtout, les études mettent en évidence l’importance du téléphone dans cette poussée. Selon le rapport « Mobile Africa 2011 », le nombre d’utilisateurs de l’internet mobile en Afrique devrait atteindre la barre des 100 millions en 2015.
Autre raison avancée par les opérateurs pour expliquer la lente adoption de la 3G : le manque de connectivité internationale, c’est-à-dire de bande passante reliant les pays africains au réseau mondial. Une situation particulièrement sensible sur la côte ouest, où le câble sous-marin en fibre optique SAT-3 (France Télécom) jouit d’un quasi-monopole depuis son entrée en fonction à la fin des années 1990. Une page est néanmoins en train d’être tournée, avec l’arrivée en 2010 du câble nigérian Glo-1 (Globacom) et, dans les mois à venir, du projet Wacs (MTN). Ces concurrents ont poussé France Télécom à se lancer à son tour dans la construction d’un nouveau pont numérique (530 millions d’euros d’investissement), prévu pour entrer en fonction au troisième trimestre de 2012.
En quelques années, la capacité de la bande passante aura ainsi été multipliée par 43 entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest, pour atteindre 14,6 térabits par seconde. À raison, car la croissance des échanges de données informatiques sur la zone Afrique et Moyen-Orient approchera un taux annuel de 130 % d’ici à 2015. Les efforts des opérateurs portent aussi sur les réseaux terrestres : selon le cabinet Frost & Sullivan, les investissements au sud du Sahara étaient de 250 millions d’euros en 2009 et pourraient atteindre 1,1 milliard d’euros en 2015.
Rentabilité
Achat des licences, construction de liaisons sous-marines mais aussi de réseaux terrestres… Les montants à mobiliser pour offrir la 3G aux populations africaines ont longtemps semblé trop importants aux yeux des opérateurs, au regard du potentiel du marché. D’ailleurs, s’ils admettent aujourd’hui que repousser l’échéance n’aurait plus de sens, ils restent à la recherche du modèle économique qui leur permettra de profiter de la croissance du volume des données échangées. « Avec Facebook, YouTube et Google, les capacités nécessaires doivent être multipliées, sans que nos revenus suivent le même rythme », analysait il y a quelques mois Yves Gauthier, alors patron de l’opérateur Tunisiana.
Ralentir le déploiement de la 3G a par conséquent longtemps constitué un réflexe naturel pour les multinationales. « La plupart des opérateurs ont voulu amortir les investissements déjà faits sur les infrastructures 2G avant de s’endetter à nouveau », confirme Anasser Ag Rhissa, expert en télécoms. Les compagnies tirent toujours 90 % de leurs revenus des communications classiques et des SMS. Le tout avec une rentabilité imbattable. En 2009, la marge Ebitda (indicateur proche de la marge brute d’exploitation) du sud-africain MTN dans la zone Afrique de l’Ouest et Afrique centrale atteignait 53,5 %, et encore 55,5 % en 2010, quand elle plafonne en France à 33 % pour France Télécom. « Dans un pays comme le Cameroun, pourquoi MTN et Orange, qui se partagent le marché, auraient-ils intérêt à s’engager sur le chemin de la 3G ? » s’interroge un responsable de la Banque mondiale.
Il a donc fallu attendre une véritable volonté politique pour faire évoluer la situation. L’inertie a été d’autant plus importante que les opérateurs privés figurent parmi les plus gros contributeurs aux budgets des États et sont particulièrement bien introduits dans les cercles proches du pouvoir. Ainsi, au Sénégal, Tierno Ousmane Sy, conseiller spécial du président Wade pour les TIC, est administrateur de Sonatel, filiale de France Télécom. De même, le président du conseil d’administration de MTN Cameroun, Colin Ebarko Mukete, est aussi membre du comité central du parti au pouvoir, le RDPC. En Côte d’Ivoire, le directeur général de MTN est un ancien conseiller de l’État en matière de télécoms, et le ministre des TIC est un ex-cadre dirigeant de France Télécom.
Une proximité que l’on retrouve au Maroc et en Tunisie. Seule l’Algérie présente une situation différente, avec une forte emprise du pouvoir politique sur le secteur. Mais pour un même résultat : à trop vouloir privilégier l’opérateur historique Algérie Télécom et sa solution ADSL (internet fixe), le gouvernement a finalement retardé l’adoption de la 3G.
Reste que, désormais, plus personne ne remet en cause les avantages du haut débit mobile, dont la démocratisation profite de l’apparition des tablettes tactiles, des clés 3G et de la chute des prix des téléphones, passés sous la barre des 75 euros. Une évolution dont tout le secteur bénéficiera. Selon une étude de l’autorité de régulation indienne des télécoms, quand le taux de pénétration de l’internet haut débit augmente de 10 % dans un pays en développement, le PIB par habitant progresse de 1,39 %.237px;" alt="" src="https://www.jeuneafrique.com/../photos/018102011150330000000GRAPHIC.jpg" />
Rupture
Pour Bruno Nabagné Koné, même si l’impact est difficile à quantifier, le gain de productivité est réel : « Cela revient à comparer le fonctionnement des entreprises avant et après l’informatisation. » Car cette rupture technologique est porteuse de nouveaux services. « En ouvrant la possibilité de passer des appels internationaux via internet à des prix compétitifs, la 3G représente un chiffre d’affaires additionnel d’environ 2 milliards à 3 milliards de F CFA [de 3 millions à 4,6 millions d’euros, NDLR] pour mon entreprise », estime Louis Diakité, patron de l’ivoirien Alink Télécom.
Même enthousiasme à Alger. « Nous allons diversifier notre activité et probablement nous lancer dans la production de contenus internet », annonce Karim Abdelmoula, fondateur de la société de consulting OnMarket. Vidéo, publicité, cloud computing, services de santé… Le nombre de domaines concernés est encore difficile à déterminer. Tout juste peut-on regarder vers l’Afrique du Sud, le Kenya et le Nigeria pour anticiper l’avenir. Eux se préparent déjà au lancement de la 4G.
Nairobi, pionnier de la 4G
À peine plus de un an après avoir adopté la 3G, le Kenya se lance dans l’attribution d’une licence 4G, prenant une longueur d’avance sur le continent, au même titre que l’Afrique du Sud et le Nigeria. La 4G offre un débit plus élevé que la technologie précédente et rend plus facile l’utilisation de la vidéo, des visioconférences, des jeux… L’innovation vient aussi du schéma retenu. Le réseau sera déployé et managé par un consortium regroupant le gouvernement, un équipementier et un opérateur dont au moins 20 % du capital sera détenu localement. Les autres opérateurs seront tenus de payer pour louer l’infrastructure. Objectif : rendre la technologie attrayante pour les acteurs des télécoms en mutualisant l’investissement. Le résultat de l’appel d’offres sera connu en décembre. J.C.
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