Kenya : les dangers d’une intervention militaire en Somalie

En intervenant militairement en Somalie pour lutter contre les Shebab, le Kenya prend de gros risques.

Militaires kényans parmi les habitants de Liboi, près de la frontière somalienne. © Tony Karumba/AFP

Militaires kényans parmi les habitants de Liboi, près de la frontière somalienne. © Tony Karumba/AFP

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Publié le 26 octobre 2011 Lecture : 4 minutes.

La Somalie n’est pas seulement un casse-tête, c’est aussi un casse-pipe. Les Américains peuvent en témoigner. L’opération Restore Hope qu’ils avaient lancée entre décembre 1992 et mai 1993, deux ans après la chute du dictateur Siad Barré (janvier 1991), n’a jamais permis de « rendre l’espoir ». Le voisin éthiopien s’y est aussi cassé les dents. Son armée, l’une des mieux entraînées du continent, a occupé le pays de la fin de 2006 au début de 2009 avec l’appui logistique des États-Unis. Affrontant une guérilla urbaine à laquelle elle n’était pas préparée, elle a dû se retirer.

Depuis, le Gouvernement fédéral de transition (GFT), défendu tant bien que mal par les 9 000 soldats ougandais et burundais de la Mission de l’Union africaine pour la Somalie (Amisom), se maintient péniblement face aux milices islamistes Shebab qui contrôlent la majeure partie du territoire… C’est dire si l’attaque lancée par l’armée kényane sur la province du Bas Juba est hasardeuse.

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Rapts en série

Appuyés par des blindés, des avions et des hélicoptères, environ 2 000 soldats sont entrés en territoire somalien le 16 et le 17 octobre. « Notre intégrité territoriale est sous le coup d’une grave menace terroriste. Nous ne pouvons l’accepter, a déclaré George Saitoti, le ministre kényan de la Sécurité intérieure. Cela signifie que nous allons poursuivre nos ennemis – les Shebab – où qu’ils se trouvent, et même dans leur pays ! »

Quelques jours plus tôt, le 13 octobre, deux employées espagnoles de l’ONG Médecins sans frontières (MSF), Montserrat Serra et Blanca Thiebaut, avaient été enlevées dans le camp de Dadaab, en territoire kényan, où se massent quelque 450 000 réfugiés venus principalement de Somalie. Deux enlèvements qui venaient s’ajouter à l’assassinat du Britannique David Tebbutt et au rapt de son épouse, Judith, perpétrés le 11 septembre sur l’île de Kiwayu, ainsi qu’au kidnapping de la Française Marie Dedieu sur l’île de Manda, le 1er octobre.

Si les Shebab, alliés d’Al-Qaïda, ont démenti être les auteurs de ces forfaits – qui, il est vrai, pourraient être le fait de pirates opérant le long des côtes –, leur riposte à l’offensive kényane a été immédiate. « Au Kenya, vous vivez en paix, a menacé Cheikh Ali Mohamud Rage, leur porte-parole. Dans vos villes, il y a de grands immeubles et vos affaires sont prospères, tandis que la Somalie vit dans le chaos. Si votre gouvernement poursuit son agression sur notre sol, nous frapperons vos intérêts au cœur. »

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Le 18 octobre, vers 15 heures, un attentat à la voiture piégée secouait Mogadiscio, causant la mort d’au moins cinq personnes, alors qu’à quelques kilomètres de là, au palais présidentiel, deux ministres kényans, Moses Wetangula (Affaires étrangères) et Yusuf Haji (Défense), signaient un accord de coopération militaire avec le GFT. Le lendemain, le gouvernement français annonçait la mort de l’otage Marie Dedieu.

Même si le Kenya soutient depuis longtemps le Gouvernement fédéral de transition, qu’il a hébergé sur son sol, le pays a été jusque-là épargné par les Shebab, qui l’utilisaient comme base logistique et financière. Cela pourrait changer : les islamistes ont montré qu’ils pouvaient frapper loin de chez eux. En juillet 2010, un attentat commis à Kampala (Ouganda) pendant la Coupe du monde de football avait fait 76 morts. Jusqu’à présent, les services de renseignements kényans, épaulés par leurs alliés américains, ont réussi à garder sous contrôle les djihadistes qui vivent sur leur territoire, notamment dans le quartier d’Eastleigh, surnommé « le petit Mogadiscio », à Nairobi.

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L’opération militaire kényane, baptisée Linda Nchi (« Protéger le Kenya »), a officiellement pour objectif d’établir une zone tampon de 100 km au-delà de la frontière afin de sécuriser le pays, qui craint de perdre une partie de ses revenus liés au tourisme. L’année dernière, quelque 1,6 million de visiteurs attirés par ses plages de sable blanc et ses réserves animalières lui avaient permis d’engranger 900 millions de dollars, faisant du tourisme la deuxième source de revenus après les exportations de thé.

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Jusqu’à Noël

Ralentis par la pluie et la boue, les militaires kényans progressent en direction de la ville somalienne d’Afmadow, où se masseraient les Shebab, après avoir réquisitionné de nombreux véhicules pour y transporter leurs partisans. L’objectif principal pourrait être la ville portuaire de Kismayo, à 120 km plus au sud, qui sert de quartier général aux islamistes et par où leur parviennent d’importantes rentrées financières.

« Nous avons tué 73 rebelles lors de nos bombardements et, pour le moment, nous avons sécurisé trois villes, a déclaré Emmanuel Chirchir, le porte-parole de l’armée, le 19 octobre. Aucune perte n’était à déplorer du côté kényan. » Ce qui n’est pas tout à fait vrai : un hélicoptère Harbin Z-9 de fabrication chinoise s’est écrasé au décollage, dans la ville de Liboi, tuant cinq soldats. « Nous sommes déterminés à chasser les Shebab de Kismayo, puis de toute la Somalie », affirme le général Youssouf Hussein Dumaal, qui dirige les forces kényanes. Il peut compter sur le soutien du GFT, de l’Amisom et de certaines milices anti-Shebab, comme le groupe Ahlu Sunna wal Jamaa. « Nos troupes sont prêtes à tout, clame Chirchir. Si cela nous entraîne jusqu’au mois de décembre, nous fêterons Noël là-bas, sinon, nous rentrerons plus tôt. » Maladroite allusion à une fête chrétienne quand, sur les ondes islamistes, on martèle des messages du style : « Êtes-vous prêts à vivre sous la domination des chrétiens ? Sortez de vos maisons, défendez votre dignité et votre religion ! » Le fragile équilibre religieux du Kenya pourrait être une première victime collatérale du conflit. Les précédents laissent à penser qu’on ne met pas un pied dans le bourbier somalien impunément. 

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