Architecture : le retour à la terre de Diébédo Francis Kéré
Né en 1965 à Gando, ce Burkinabè est aujourd’hui installé à Berlin. Son objectif : poser les bases d’une nouvelle architecture utilisant les matériaux locaux.
Il s’était pourtant juré de ne jamais chercher à obtenir de diplôme, de ne jamais diriger un cabinet et de ne jamais « faire dans le social ». Promesses d’un jeune homme qui posait un regard critique sur ses prédécesseurs et leurs méthodes trop académiques. Assis à la table de réunion de son cabinet d’architectes au cœur de la capitale allemande, entouré de ses maquettes, Diébédo Francis Kéré sourit. Au bout du compte, à 46 ans, architecte reconnu, enseignant à l’Université technique de Berlin, ce Burkinabè a fini par avoir tout cela. Mais autrement, à sa manière.
Je voulais tout changer, faire mieux.
Sa différence, elle s’impose dès sa toute première réalisation, l’école de son village natal, Gando, au Burkina Faso. Il en a eu l’idée pendant ses études d’architecture. Premier membre de sa famille à étudier, il gardait le souvenir des classes surchargées de Tenkodogo, de la chaleur, de l’air vicié… « Je voulais tout changer, faire mieux », dit celui pour qui la règle qui doit présider à la conception d’une école est celle de la ventilation naturelle.
Son idée ? Conserver les matériaux traditionnels comme l’argile ou la pierre en les modifiant et en utilisant de nouvelles techniques de compression pour aboutir à un édifice durable. « Pour cela, je devais adapter un système qui se fonde sur la haute technologie à ce qui est faisable en Afrique, parfois sans électricité et sans les savoir-faire nécessaires », détaille-t-il. Mais il faut aussi combattre les mauvaises habitudes. « Beaucoup pensent que, comme l’école vient du système français, il faut la construire en béton armé. Or non, l’Afrique ne doit pas copier l’Occident mais faire avec ce qu’elle possède : de la terre, des gens et de l’enthousiasme ! » Un choix lumineux. Les murs de l’école, bâtis en briques de terre rouge, absorbent la chaleur et permettent de réguler la température intérieure, tandis que le toit est posé sur une armature d’acier favorisant une bonne circulation de l’air. Une création originale qui a valu à Kéré de nombreux prix internationaux. « Ma véritable fierté reste cependant l’investissement des villageois. Ces récompenses n’ont vraiment de sens que si elles me permettent de faire davantage et de montrer le potentiel énorme du continent », tempère l’homme, très sollicité par les médias et plutôt rétif aux interviews.
l’Afrique ne doit pas copier l’Occident mais faire avec ce qu’elle possède : de la terre, des gens et de l’enthousiasme !
L’architecture est apparue très tôt dans la vie de Kéré, qui habite aujourd’hui à Berlin avec sa fille et son amie. « Quand j’habitais chez mon oncle à Tenkodogo, pendant les vacances nous devions refaire les maisons qui s’étaient écroulées durant l’hivernage. Pour un enfant, c’est un travail très éprouvant. C’est à ce moment que je me suis dit qu’un jour j’allais changer tout ça », confie-t-il d’une voix posée. Après l’école primaire, il passe un CAP de menuisier à Fada, « pour faire de meilleures charpentes ». Mais au Burkina Faso, pays sans bois, les débouchés manquent. C’est alors qu’il apprend que l’Allemagne délivre des bourses d’études destinées à favoriser les échanges avec les pays dits « en développement ». Nous sommes en 1985, il a 20 ans, et le voilà dans un pays inconnu, au milieu de jeunes qui, comme lui, viennent des quatre coins du monde. Tous n’ont qu’un but : retourner dans leur pays une fois leur diplôme en poche. Pas lui. Il apprend l’allemand, se bat pour repasser le bac en Allemagne – ce qui lui prend cinq années de cours du soir – puis entame des études d’architecte. En parallèle, il travaille sur des chantiers de construction, dans des restaurants, distribue des journaux. La famille restée au pays attend beaucoup de lui, l’aîné « qui a fait l’Allemagne ».
Jamais pourtant il n’abandonne son continent natal, où il se rend aujourd’hui deux à trois fois par mois. Grâce à son association « Des briques pour l’école de Gando » (Schulbausteine für Gando), fondée avec des amis à l’université, il finance des initiatives sociales qui vont au-delà de l’architecture. L’association suit les élèves durant toute leur scolarité – l’école compte sa première bachelière depuis quelques mois – et aide notamment au reboisement… Les projets privés de Diébédo Francis Kéré, qui emploie aujourd’hui neuf personnes, servent à la financer. Outre des écoles et des centres de formation, son cabinet – qui ne communique pas son chiffre d’affaires – s’investit ainsi partout en Afrique, pour des réalisations comme le village-opéra, au Burkina Faso, une salle de spectacle entourée de centres de formation dans les arts et l’artisanat, ou l’aménagement de bâtiments au sein du parc national du Mali. Au-delà, il participe aussi à la réhabilitation du grand port de Zhou Shan (Chine) en… jardin culturel. À Genève, en Suisse, il vient de remporter le concours pour la réalisation du musée de la Croix-Rouge internationale. Le jury a été séduit par l’idée de lien à la terre et à la famille que véhiculent toutes ses créations.
À cheval entre deux mondes, lui-même se voit comme un pont entre l’Occident (« le monde de la science ») et l’Afrique (« le monde de l’écoute et de la sagesse »). En recherche perpétuelle, Kéré s’inspire des savoirs anciens, des matériaux découverts au gré de ses expériences loin de l’Afrique subsaharienne, au Maghreb ou en Inde. « Nous parlons de globalisation. Mais global ne signifie pas forcément que c’est le plus fort qui diffuse son savoir. Il faut aussi apprendre des autres cultures, même des plus petites », conclut-il. Une leçon pour l’architecture occidentale.
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