L’Afrique est-elle homophobe ?

Près de quarante pays africains répriment les relations sexuelles entre personnes de même sexe. Le seul Etat qui protège les homosexuels est l’Afrique du Sud : ils peuvent se marier, hériter de leur partenaire et adopter. Pourtant, même pour eux, la vie n’est pas toujours rose.

 © Vincent Fournier pour Jeune Afrique

© Vincent Fournier pour Jeune Afrique

Publié le 11 janvier 2010 Lecture : 5 minutes.

« Maladie de Blancs », « importation de l’occident », « déviance sexuelle »… En Afrique, les qualificatifs méprisants ne manquent pas pour désigner l’homosexualité. Pour autant, le continent est-il si « en retard » par rapport au reste du monde ? Peut-être pas tant que ça, quand on sait que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne considère plus l’homosexualité comme une maladie que depuis… 1992.

Par ailleurs, certaines lois anti-sodomie ont été « importées » par les anciens colons, en particulier les Britanniques. Ce passif explique en partie pourquoi près de quarante Etats du Continent disposent de législations condamnant l’homosexualité, notamment à travers l’interdiction de « relations charnelles contre-nature ».

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Objet d’autant de tabous que de fantasmes, le thème de l’homosexualité est souvent instrumentalisé à des fins politiques ou religieuses… Conséquence : le débat public aboutit en général au rejet des gays et des lesbiennes. Reste que la situation semble très contrastée d’un pays à l’autre, comme le montre ce tour d’horizon.

Boucs émissaires

Parmi les plus radicaux, les présidents ougandais Yoweri Museveni et zimbabwéen Robert Mugabe ne manquent jamais une occasion d’exprimer leur homophobie en public. En 1995, lors de la fête d’indépendance, le second a notamment déclaré que les gays et les lesbiennes se comportaient de façon « pire que les chiens et les porcs ».

Dans ces deux pays l’homosexualité est passible de travaux forcés ou de prison à vie, homophobie et démagogie vont souvent de pair. Les militants de la cause gay reprochent aux dirigeants de rendre les homosexuels responsables des problèmes économiques.

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Et en Ouganda, le débat parlementaire sur le projet de loi très décrié du député David Bahati, qui recommande la peine de mort pour les auteurs d’« homosexualité aggravée », pourrait ne pas être étranger à l’approche de la présidentielle prévue pour 2011.

Raidissements religieux et délations

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A l’occasion, certains pays considérés comme plus tolérants redécouvrent leur arsenal législatif. En janvier 2009, au Sénégal, neuf hommes ont été condamnés à huit ans de prison pour « acte impudique et contre nature et association de malfaiteurs ». Les défenseurs des droits des homosexuels n’ont pas manqué de relever la coïncidence entre ce raidissement et le fait que le Sénégal assurait la présidence de l’Organisation de la conférence islamique (OCI).

En avril 2009, la Cour d’appel a finalement annulé la procédure et ordonné la libération des condamnés, ce qui a provoqué une vague de violence dans le pays. Des imams ont appelé au meurtre des homosexuels, accusant l’ancienne force colonisatrice française – en la personne de Rama Yade, alors secrétaire d’Etat aux droits de l’homme – d’avoir fait pression sur la justice sénégalaise. Dans ce contexte, ce n’est pas étonnant que le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Madické Niang, ait reconfirmé le 10 décembre dernier qu’il n’était « pas question de dépénaliser l’homosexualité ».

Au Cameroun, également, la dépénalisation de l’homosexualité paraît tout aussi utopique. Du moins à court terme : la prochaine présidentielle, prévue en 2011, n’incite pas à la prise de décisions a priori impopulaires dans un pays où les arrestations sont nombreuses et où la presse a publié des listes d’homosexuels présumés. Une méthode par ailleurs très prisée par le journal ougandais Red Pepper

Situations intermédiaires

D’autres Etats semblent hésiter sur la voie à suivre. Un premier groupe, dont le Rwanda fait partie, ont une trajectoire tendant vers l’interdiction de l’homosexualité. Le Burundi, lui, a récemment franchi le pas en adoptant, en novembre 2008, un nouveau code pénal prévoyant des peines de trois mois à deux ans de prison et des amendes.

Au Maghreb, la situation est très contrastée. En Egypte, par exemple, l’homosexualité n’est pas officiellement un délit. Mais selon Amnesty International, « la police des mœurs, utilise tout un réseau de délateurs, organise des pièges sur Internet, des raids dans des appartements privés, la mise sur écoutes téléphoniques » pour débusquer les homosexuels.

Au Maroc, ces derniers encourent trois ans de prison. Mais l’association Kif-Kif peut défendre ouvertement leurs droits et mener des actions de sensibilisation. Les violentes manifestations contre deux hommes soupçonnés de s’être mariés symboliquement à Ksar el-Kébir en novembre 2007 montrent cependant que son combat sera long.

Il existe également de nombreux pays où le manque d’information ne permet pas de savoir si la loi répressive est appliquée ou non. C’est le cas du Malawi, où deux hommes ont été arrêtés, le 28 décembre, pour avoir célébré leur mariage symbolique. Pourtant, le pays fait régulièrement appel à la communauté homosexuelle pour l’aider à combattre le sida, qui frappe 14% des adultes.

Même climat ambigu au Kenya, où un organisme de santé publique s’apprête à lancer une vaste enquête de santé auprès des homosexuels dans le but de contenir la propagation du sida – en dépit de l’interdiction légale qui pèse sur ces derniers. Enfin, d’autres pays se situent franchement sur une ligne plus libérale.

Le Cap-Vert, la Centrafrique et le Gabon notamment n’ont pas de législation contre les gays et les lesbiennes. Et ce sont les seuls pays africains à avoir signé le 18 décembre 2008 un projet français de déclaration à l’ONU sur la dépénalisation universelle de l’homosexualité.

Législations protectrices

Au final, l’Afrique du Sud est le seul pays africain – et l’un des rares au monde – qui interdise toute forme de discrimination, y compris sur la base de l’orientation sexuelle: les gays et les lesbiennes ont obtenu le droit de se marier, d’adopter ou encore d’hériter de leur partenaire.

Mais la réalité n’est pas idyllique pour autant. Si chaque année les défilés de la Gay Pride (Marche des fiertés gays) ont lieu, les violences verbales et physiques sont fréquentes, surtout envers les lesbiennes. Dans les townships, elles subissent souvent des « viols correctifs » reposant sur la croyance qu’elles n’ont pas rencontré d’homme capable de leur faire apprécier les relations hétérosexuelles.

Quant au président Jacob Zuma, il ne porte pas non plus les homosexuels dans son cœur. Quelques mois avant la légalisation du mariage entre homosexuels, le 1er décembre 2006, il avait déclaré : « Le mariage des homosexuels est une disgrâce pour la nation et pour Dieu », avant de s’excuser face au tollé suscité.

A noter enfin que l’Île Maurice semble suivre de près le modèle sud-africain. La première Gay Pride y a été organisée en 2006 et le gouvernement a déposé en novembre 2008 un texte sur l’égalité des chances pour tous, y compris les homosexuels.

Si le texte était adopté, Maurice deviendrait le deuxième pays africain à disposer d’une législation vraiment protectrice des droits des homosexuels. Mais comme le démontre le cas sud-africain – et bien d’autres pays hors du continent – légiférer ne résout pas tous les problèmes.

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