Une goutte de poésie dans un monde de salafisme
A coup de poèmes critiquant les islamistes, une mère de famille saoudienne est en passe de remporter un concours de poésie télévisé au grand dam des religieux conservateurs. Portrait d’une poétesse engagée – et couverte du niqab.
La poésie est-elle une arme ? Oui, et il suffit pour s’en convaincre de regarder un programme de la télévision publique d’Abou Dhabi intitulé « Le poète du million ». L’émission consiste en des joutes oratoires dans la langue dialectale du Golfe, dans un style connu sous le nom de poésie « nabatie », très appréciée par les bédouins comme par les citadins car très accessible.
Or l’émission, très suivie dans les pays du Golfe où l’on dénombre 18 millions de téléspectateurs, est en passe d’être remportée par une femme d’une quarantaine d’années, Hessa Hilal, dont la verve indispose fortement les milieux islamistes. Ses poèmes n’hésitent pas à critiquer frontalement le rigorisme religieux et à défendre la mixité. Pourtant, cette mère de famille saoudienne n’a rien d’une intellectuelle provocatrice – et c’est peut-être ce qui la rend encore plus dangereuse aux yeux de certains.
"Monstres portant des ceintures"
Car Hessa Hilal n’a pas fait d’études universitaires. Elle porte le traditionnel voile intégral (niqab) et soutient la politique libérale du roi Abdallah Ben Abdel Aziz. Alors que l’Arabie saoudite continue d’imposer une stricte séparation des sexes, elle affirme néanmoins que son pays « a effectué de grands pas au cours des cinq dernières années". Certes, le royaume a récemment affirmé sa volonté d’améliorer le statut de la femme, et le roi a nommé pour la première fois une femme au gouvernement l’an dernier. Mais il reste interdit à la femme d’y travailler, de voyager, ou de se marier sans l’autorisation d’un membre masculin de la famille ; elle ne peut pas non plus conduire et doit être couverte en public d’un manteau et d’un voile.
La finale du concours de poésie aura lieu le 31 mars et le gagnant remportera 1,3 million de dollars. Dans un poème intitulé "le chaos des fatwas" (édits religieux), Hessa Hilal clame que "le mal vient de ces fatwas" dont elle comparait les auteurs à "des monstres portant des ceintures" – allusion assez transparente aux auteurs d’attentats suicide. Le jury l’a félicitée pour son "courage" et lui a donné 47 points sur 50.
Certains ont cru voir dans les propos de Hessa une attaque contre le religieux saoudien Abdel Rahman al-Barrak, dont une des fatwas appelle à tuer toute personne encourageant la mixité. Une allégation qu’elle réfute en affirmant qu’elle ne visait pas Al-Barrak en particulier. Son credo, c’est la mixité sur les lieux de travail, dit-elle, "car cela est nécessaire pour la vie quotidienne".
Menaces de mort
Hessa affirme vouloir "combattre l’extrémisme qui est devenu un phénomène inquiétant. (…) Il y a quelques années, la société était plus ouverte. Maintenant, tout est devenu plus lourd, certains hommes ne serrent même plus la main aux femmes de leur famille alors qu’ils le faisaient dans le passé", en raison de l’influence croissante des islamistes, a-t-elle ajouté. "Nous n’entendons plus que le mot « haram » [c’est illicite, NDLR] et cet extrémisme dangereux n’est plus limité à l’Arabie saoudite ou aux pays du Golfe, il a gagné d’autres pays comme l’Egypte, la Jordanie et la Syrie", explique-t-elle.
Aujourd’hui, la notoriété grandissante de Hessa Hilal lui vaut des menaces de mort sur des sites comme "Ana al-Mouslim", qui relaye parfois des messages d’Al-Qaïda. Selon le journal saoudien Al Watan, l’un des participants à un forum de discussion a même demandé qu’on lui procure son adresse. "Bien sûr, mon mari, les membres de ma famille et moi même avons peur, mais je n’ai pas été directement menacée", affirme la poétesse.
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