Véronique Tadjo : « Mandela est une icône pour le monde entier »
Dans la collection « Ceux qui ont dit non », Actes Sud Junior publie « Nelson Mandela : “Non à l’apartheid” », de Véronique Tadjo. Une histoire passionnante sur l’engagement politique de Madiba, une icône qui n’appartient plus à l’Afrique du Sud seulement, mais au monde entier.
1962. Grève des mineurs à Soweto. Les grévistes manifestent pacifiquement dans les rues du bidonville pour réclamer une amélioration de la sécurité dans les mines et des salaires décents. En tête du cortège, Nelson Mandela en personne. Le Congrès national africain (ANC) qu’il dirige soutient les revendications des manifestants. La marche des mineurs grévistes s’inscrit dans sa stratégie de résistance non-violente gandhienne contre le pouvoir blanc de Pretoria.
Tout d’un coup, des tanks viennent se parquer à l’entrée des rues. Des militaires armés jusqu’aux dents en jaillissent et se mettent en position, empêchant les manifestants de fuir. Ils tirent. « Les manifestants courent dans tous les sens en hurlant de frayeur alors que des corps tombent parmi eux. À mes côtés, un mineur saigne abondamment sur le sol, un long râle s’échappant de sa bouche… » L’homme s’éteint sous les yeux effarés de son jeune leader qui tentait d’arrêter son hémorragie. « C’est à partir de ce moment que tout change », explique Véronique Tadjo qui vient de publier, dans la collection « Ceux qui ont dit non », le récit de ce tournant intitulé Nelson Mandela : “Non à l’apartheid”*.
Véronique Tadjo est ivoirienne et romancière. Elle vit depuis neuf ans à Johannesburg où elle enseigne la littérature francophone et la traduction à l’université de Witwatersrand. Pourquoi ce livre ? Comment l’a-t-elle conçu et écrit ? À qui s’adresse-t-il ? Entretien avec l’auteur.
JEUNE AFRIQUE : Comment qualifier votre livre ? Est-ce un essai ? Un livre de fiction ?
VÉRONIQUE TADJO : C’est un document historique. La collection « Ceux qui ont dit non » donne la parole aux hommes et femmes qui ont su dire « non » aux injustices. Le pari est de raconter l’histoire en se mettant dans la peau des protagonistes qui parlent à la première personne. Il y a donc une part d’imagination, mais elle est basée sur des faits réels.
Avez-vous rencontré Mandela ou ses proches pour les besoins de ce livre ?
Non, je n’ai pas eu cet honneur. Mais j’ai beaucoup lu, commençant par l’autobiographie de Mandela. J’ai vu les films et les documentaires qui lui ont été consacrés. Je me suis imprégnée du personnage. C’était d’autant plus aisé que je vis en Afrique du Sud depuis neuf ans. Cela dit, quand l’éditrice d’Actes Sud m’a proposé d’écrire ce livre, j’étais réticente. Etant donné que je suis ivoirienne, je suis étrangère en Afrique du Sud. Je me disais que comme je n’étais pas de la zone, Nelson Mandela ne m’ « appartenait » pas. Je n’étais pas habilitée à écrire cette histoire-là. Mais, en y réfléchissant, je me suis rendue compte que la figure de Nelson Mandela dépassait les frontières de l’Afrique du Sud. C’est une icône pour le monde entier. Je n’avais pas moins de droit que n’importe quel quidam sud-africain de me l’approprier.
À quel public s’adresse ce livre ?
La collection est destinée à un public d’adolescents. Je voudrais que ce livre sur Nelson Mandela soit lu par les jeunes d’Afrique et du monde entier. Ces jeunes sont nés après la fin de l’apartheid. Ils n’imaginent pas les injustices et les souffrances générées par ce système. Pour eux, Mandela est un nom, une vedette comme tant d’autres hommes politiques. Tout est devenu « people » aujourd’hui ! Or derrière la starisation de Nelson Mandela, il y a des combats, des convictions, des sacrifices. Cet homme a libéré les Noirs, transformé l’image même de l’Afrique du Sud par sa seule volonté de résistance et son imagination. C’est ce parcours extraordinaire que je tente de rappeler dans mon livre, en remontant au moment charnière quand tout a basculé dans la tête de Mandela.
Comment Nelson Mandela est-il perçu aujourd’hui en Afrique du Sud ?
Il reste l’âme de ce pays qu’il a libéré de ses vieux démons. Quand Mandela partira, il laissera un immense vide dans le cœur des Sud-Africains, blancs et noirs confondus. Mais j’ai l’impression que l’adoration sans bornes pour l’homme ne leur empêche pas de critiquer certaines de ses actions. Les Noirs dont la majorité vit encore dans la pauvreté lui en veulent d’avoir trop cédé aux Blancs qui ont conservé l’essentiel de leurs privilèges économiques. La population blanche pour sa part regrette que Mandela n’ait pas mieux préparé sa succession au sein de l’ANC. C’est vrai que les Mbeki et Zuma qui l’ont suppléé à la présidence n’ont pas sa carrure.
Qu’avez-vous appris sur Mandela en écrivant ce livre ?
J’ai appris à mieux connaître l’homme privé. Mandela livre rarement ses angoisses, ses états d’âme. En me documentant, j’ai compris à quel point il a souffert de ne pas avoir eu une vie normale avec sa famille et ses enfants. Le choix de se consacrer à la lutte de libération a été très coûteux pour lui sur le plan personnel. Quand il s’est rendu compte qu’il avait négligé les êtres qui lui étaient les plus chers pour servir la cause, c’était trop tard. Ce moment de découverte était très poignant pour moi.
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*Nelson Mandela : “Non à l’apartheid”, de Véronique Tadjo, Actes Sud Junior, Collection Ceux qui ont dit non, 96 pages, 8 euros.
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