« Carte blanche » pour Abdelfattah Amor, le Monsieur Anticorruption tunisien

À 68 ans, le doyen de la faculté de droit de Tunis, Abbdelfattah Amor, a été nommé président de la commission d’investigation sur les faits de corruption et de malversation commis pendant la période Ben Ali. Ce comité d’experts a tenu sa première réunion le 27 janvier au matin et il débutera officiellement ses travaux le 31 janvier. Interview.

Abdelfattah Amor assure que sa commission travaillera en « toute indépendance ». © Ons Abid pour JA

Abdelfattah Amor assure que sa commission travaillera en « toute indépendance ». © Ons Abid pour JA

Julien_Clemencot

Publié le 28 janvier 2011 Lecture : 4 minutes.

Jeune Afrique : Quel regard portez-vous sur la révolution ?

Abdelfattahh Amor : Indiscutablement il s’agit d’une révolution, non d’une révolte ou d’une insurrection, qui a conduit à une nouvelle légitimité appelant à une nouvelle légalité.

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Et sur le gouvernement de transition ?

Le vide et l’anarchie constituent une menace pour cette révolution, tout autant que certaines attitudes étrangères.

Qui visez-vous ?

Vous les connaissez. Ce sont des gens qui ne sont connus ni pour le caractère démocratique de leurs régimes ni pour leur respect des droits de l’homme. Lorsqu’on entend donner des leçons dans les circonstances que la Tunisie connaît, cela revêt une certaine forme d’indécence et une forme de mépris pour un peuple qui a payé chèrement cette révolution.

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Quel est le cadre de votre mission ?

Cette commission est dénommée commission d’investigation sur les questions de corruption et de malversation, elle a donc pour fonction d’établir des faits et au-delà des faits de démonter tout un système de corruption et de malversation qui a gangrené non seulement l’État, mais aussi des secteurs entiers de la société.

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Comment envisagez-vous votre fonction de président de la commission ?

Je me considère comme caution pour l’État et la société. Et je ne suis pas, je n’ai jamais été et je ne serai jamais un homme sous influence.

Êtes-vous partie prenante dans les enquêtes déjà en cours d’instruction contre les membres de la famille de l’ex-président ?

Nous ne sommes pas une juridiction, nous ne sommes pas non plus une commission politique. Nous sommes une commission technique dont le travail a une portée politique et sociale. Lorsque la commission aura constaté des faits de corruption ou de malversation, elle saisira le parquet. Bien évidemment le travail va au-delà des faits puisqu’il s’agit de démonter tout un système et d’amener à faire de sorte que de telles pratiques disparaissent à jamais.

Si jamais vos conclusions ne sont pas suivies par le parquet ?

Chacun exercera ses compétences et assumera ses responsabilités. Je travaillerai dans l’indépendance absolue et dans la transparence absolue. Si je me heurte à des obstacles, je ne manquerai pas de le dire publiquement.

Qui a composé la commission ?

J’ai choisi moi-même les membres pour leur expertise dans les domaines financier et comptable, du contrôle des dépenses publiques, de la concurrence, du droit commercial, pénal et douanier. Toutes ces personnes répondent à trois critères : l’indépendance, l’intégrité et la compétence.

Justement à peine nommé l’un des membres de la commission, Imed Belkhamsa, est attaqué pour ses relations supposées avec Slim Chiboub, gendre de Zine el-Abidine Ben Ali…

Le travail de la commission est un travail collectif et je ferai en sorte qu’il soit inattaquable. Pour le reste, je ne veux pas entrer dans la polémique.

Comment comptez-vous opérer ?

C’est la commission qui définira ses méthodes et interprétera sa mission. Tout ce qui est de nature à conduire à la vérité, à l’établissement des faits sera entrepris. Mais je peux vous dire que la commission procédera à l’audition de témoins, y compris lors d’auditions publiques si certains le souhaitent, accueillera les documents et dossiers présentés par les personnes [victimes, NDLR] qui ont été concernées et disposera de nombreux dossiers venant des services de l’État. Je le répète la commission travaillera en toute indépendance et en toute transparence. Ce n’est pas une commission gouvernementale. Elle a carte blanche pour mener à bien sa mission.

Avez-vous une idée des affaires qui vous attendent ?

Jusque-là, je ne les connais pas plus que d’autres et je ne voudrai pas dans ce domaine dire quoi que soit avant que la commission n’ait fait ses investigations.

On a craint des destructions de preuves dans les administrations ?

Il y a des informations en ce sens mais aussi des rumeurs. Le plus important, c’est la préservation des documents officiels, et toute destruction ou falsification engagera la responsabilité pénale de son auteur. De toute façon, des mesures urgentes ont été prises [pour protéger les documents, NDLR].

Qui est visé par vos investigations ?

La société est concernée, l’État est concerné. Ce qui nous importe c’est l’établissement des faits au-delà de leurs auteurs. Ma mission se veut objective et le sera. Elle sera conduite sans haine ni passion, sans complaisance ni vindicte. Nous allons faire un travail sérieux, objectif et fondé.

Les personnes dont la culpabilité est établie risquent-elles la prison ?

La commission se limite à la transmission au parquet. Mais tout est possible, il ne doit pas y avoir d’impunité.

La commission s’est-elle fixée un calendrier ?

Ce serait aventureux de définir un calendrier. Ce qui est certain c’est que cette commission, qui débutera ses investigations lundi 31 janvier 2010, ne travaillera pas que pour quelques semaines ou quelques mois. Déjà, des dossiers importants nous ont été présentés. Ils ne sont pas d’égale importance ou de sérieux. Il s’agit pour nous de faire en sorte que les faits les plus importants soient saisis.

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Propos recueillis à Tunis par Julien Clémençot.

Un numéro vert est disponible à partir du lundi 31 janvier 2011 pour livrer des témoignages sur la corruption : 80102222

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Liste des membres de la commission :

– Abdelfattah Amor, président

– Néji Baccouche, ancien doyen de la faculté de droit de Sfax, spécialiste de droit public et de droit fiscal.

– Hédi Ben Mrad, ancien doyen de la faculté de droit de Tunis, spécialiste du droit économique et de droit de la concurrence. 

– Mouhamed Affas, haut magistrat, président de chambre au sein de la Cour de cassation.

– Noureddine Zaouali, haut magistrat, expert en matière de contrôle des finances publiques.

– Ezzeddine Saïdene, expert financier.

– Réchid Tamar, expert comptable.

– Imed Belkhamsa, avocat spécialisé en droit pénal et procédure pénale.

– Mahmoud Ben Tkaya, spécialiste en droit foncier.

– Amor Khmissi, avocat spécialisé en affaires douanières.

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