Avec l’intervention en Libye, l’ONU a démontré sa partialité légendaire
Oumar Thiam, juriste sénégalais et doctorant à l’université de Reims (France), se livre à une critique de l’intervention militaire en Libye. Au-delà de la légalité internationale des frappes occidentales qu’il dénonce, ce spécialiste du droit public décèle dans le dossier libyen le signe d’une instrumentalisation des Nations unies par les grandes puissances.
L’Organisation des nations unies (ONU) a pour but principal de développer la coopération multilatérale et les relations amicales entre les États, mais surtout maintenir la paix et la sécurité internationales. Toutefois, en dépit de l’existence de cette organisation, l’idéal d’un monde sans guerre reste toujours un mirage. Le Conseil de sécurité ainsi que le système de sécurité collective qui correspondent « à une tentative d’institutionnalisation et d’universalisation du gouvernement de fait des grandes puissances, n’est orienté vers le respect du droit ni dans la façon dont il est conçu, ni dans la façon dont il fonctionne »1.
Ainsi, le Conseil a tendance à transformer ses résolutions et décisions en règle générale au détriment du droit international. Autrement dit, à travers ce Conseil de sécurité, les grandes puissances transforment leur volonté en légalité internationale. Il est clairement et facilement constatable que « la primauté du système s’enracine avant tout dans la puissance de ceux qui le dominent. Son fonctionnement n’est que peu encadré par le droit puisque, au-delà des procédures, la qualification des situations comme pouvant justifier son intervention est discrétionnaire et donc tributaire de l’accord des États qui composent le Conseil. Celui-ci peut donc devenir tout à fait arbitraire, voire être bloqué, ce que l’on a abondamment observé […] Il peut aussi être contourné ou impuissant à soumettre les plus puissants »2.
Ainsi, avec la crise libyenne et la résolution 1973, l’ONU, à travers le Conseil de sécurité, a démontré une nouvelle fois sa partialité légendaire.
L’inégalité de traitement des situations justifiant des interventions extérieures
Il est clair qu’il existe dans le monde des situations dans lesquelles des populations civiles sont soit massacrées soit soumises à des conditions justifiant la mise en œuvre, de la part de la soi-disant communauté internationale, du principe de la responsabilité de protéger.
Depuis juin 2007, après l’arrivée au pouvoir du Hamas, Israël a décrété un blocus dans la bande de Gaza. Cette situation apparaît plus comme une « punition collective » qu’une garantie de la sécurité israélienne. À la fois, elle constitue un crime contre l’humanité et menace la paix et la sécurité internationales. Au-delà du blocus, Israël se fait remarquer plus par son mépris du droit international et des résolutions des Nations unies. On reproche à Kadhafi de n’avoir pas respecté le cessez-le-feu imposé par la résolution. Combien de fois les Israéliens ont foulé aux pieds les résolutions du Conseil de sécurité. Mais dans le cas israélien, nous n’avons entendu personne parmi ces gens qui s’agitent aujourd’hui pour demander quoi que ce soit.
En Côte d’Ivoire, depuis novembre 2010, quotidiennement des civils non armés sont massacrés par des forces pro-Gbagbo. Certainement des crimes contre l’humanité y sont commis. Mais là encore, au-delà des condamnations usuelles et alors même que des milliers de Casques bleus et de soldats français étaient sur place, les Occidentaux n’ont pas daigné nous sortir cette responsabilité de protéger, sinon in extremis. Pourquoi ? Parce que le cacao ivoirien ne vaut pas plus que les puits de pétrole libyens.
L’indifférence de la soi-disant communauté internationale au sort des Gazaouis (pendant des années) et des Ivoiriens (pendant des mois) et son attention subite à l’égard des Libyens attestent qu’elle n’est pas une communauté en tant que telle mais une société interétatique foncièrement divisée par des intérêts qui n’ont rien à voir avec l’éthique et l’idéal humaniste comme on veut le faire croire. Elle reste une société internationale où les plus forts décident en fonction de leurs intérêts.
La différence de traitement des situations justifiant la saisine de la CPI
Indéniablement, des actes pouvant relever de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) sont commis en Libye. Mais, nous disons que, tant dans un passé récent qu’actuellement, des crimes relevant de la compétence de la CPI sont commis dans diverses régions du monde : Israël, Irak, Guantanamo, Darfour, Côte d’Ivoire, Afghanistan, Syrie, Yémen, etc. Mais jusqu’à présent, dans la plupart des cas, la Cour n’a eu à se saisir ou n’a été saisie que des cas africains (Ouganda, RDC, Darfour, Kenya, Libye, etc.). Il est constatable que le deux poids deux mesures est très en vogue dans ce domaine.
Cela traduit une fois de plus, l’idée que l’Occident instrumentalise les Nations unies pour régler ses comptes avec Kadhafi. Quoi qu’on puisse reprocher à ce dernier, nous pensons que dans le cas d’espèce, il s’agit plus d’une volonté de règlement de comptes avec Kadhafi que d’une action salutaire pour sauver des civils. Les Occidentaux utilisent les révoltes des populations comme prétexte pour le liquider.
La présence d’États arabes dans la coalition n’enlève en rien la nature exclusivement occidentale et impérialiste de cette intervention.
Au total, en dépit du caractère condamnable de la répression opérée par les troupes pro-Kadhafi, l’intervention occidentale en Libye traduit plutôt le pouvoir de la puissance occidentale dans le fonctionnement du système international et la création de la légalité internationale. Les Nations unies en général et le Conseil de sécurité en particulier, demeurent des instruments au service des puissants qui les utilisent pour créer des règles censées protéger les intérêts de la « communauté internationale » mais qui, en réalité, ne servent qu’à conforter leur domination du monde.
Nous ne sommes pas contre le principe de la responsabilité de protéger mais il faut qu’elle s’applique à tous et sans arrière-pensée. Si la soi-disant communauté internationale a le droit ou devoir d’intervenir pour protéger des civils, cela doit être appliqué partout dans le monde lorsque les situations l’exigent. Or, ce n’est pas encore le cas. En effet, la réalité des relations internationales fait que les arrière-pensées politiques, économiques, idéologiques et stratégiques sont toujours déterminantes sur le poids des décisions des différents acteurs. C’est pourquoi les ingérences extérieures s’appliquent de manières différentes « selon que vous soyez puissant ou misérable ».
Du coup la responsabilité de protéger apparaît plus comme l’habillage d’une ingérence pour faire tomber un dictateur et installer un régime démocratique à la solde des Occidentaux, le tout avec la complicité aberrante des médias occidentaux.
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1. Héléne Ruiz Fabri, Le droit dans les relations internationales, Politique étrangère, 3-4/2000, p. 662
2. Hélène Ruiz Fabri , ibid, p. 662
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