Sénégal : la révolution linguistique en marche avec le wolof
Le français est en recul au Sénégal. De moins en moins utilisée, la langue de Molière laisse place au wolof, qui s’impose dans les entreprises, les écoles ou les débats politiques. Sous l’impulsion des jeunes Sénégalais, le mouvement a même gagné Internet, jusqu’à influencer Google ou Mozilla Firefox.
Le Sénégal est-il encore cette perle de l’Afrique francophone qui a donné naissance au « père de la Francophonie », Léopold Sedar Senghor, ou au dirigeant actuel de cette organisation, Abdou Diouf ? Force est de constater que non. Dans les rues de Dakar, le français a perdu de son influence et nombreux sont ceux qui ne l’utilisent, voire ne le parlent, plus du tout. Sauf à le mélanger au wolof, lequel monte en puissance dans le monde de l’entreprise, dans les écoles ou encore à la radio et à la télévision où les émissions francophones se font de plus en plus rares.
Originalement issue de l’ethnie du même nom, qui représente 45% de la population sénégalaise, le wolof joue aujourd’hui le rôle véhiculaire d’une « lingua franca », c’est à dire de la langue de communication majoritaire, en empruntant le plus souvent des mots à l’anglais, à l’arabe et au français.
"Salut, lou bess ?"
Dans une étude parue en 2010*, le Norvégien Kristin Vold Lexander citait par exemple une conversation par Internet dans laquelle le premier interlocuteur se présentait ainsi : « Salut, lou bess sister » (Salut, comment ça va ma sœur ?).
Le genre de construction linguistique que l’on retrouve dans le champ politique. « On assiste à une « désethnicisation » de la langue ainsi qu’à l’émergence d’une société wolof de niveau national au Sénégal », estiment ainsi Sasha Kesseler, Anna Diagne et Christian Meyer dans un ouvrage récent**. Un bouleversement qui doit beaucoup à la radicalisation du climat politique depuis quelques années. Oumar Sankharé, enseignant à l’université de Dakar, explique ainsi à Slate Afrique que nombre de Sénégalais « affirment que ce n’est pas leur langue ». Et d’ajouter : « Un étrange nationalisme s’est développé ces dernières années. »
Le wolof est donc devenu un atout politique indispensable. Dernier exemple en date, dans la contestation citoyenne qui touche le Sénégal depuis fin 2010, Karim Wade se voit systématiquement reprocher par les jeunes, entre autres, son faible niveau dans cette langue.
Internet, la consécration ?
Mais les hommes politiques ne sont pas les seuls à avoir observé cette conversion linguistique avec intérêt. Depuis peu, de grands noms de l’Internet ont entrepris une manœuvre de séduction envers le Sénégal, où près de 90% de la population parlerait wolof et où la jeunesse surfe toujours plus sur la Toile. Du moins quand les coupures d’électricité ne l’en empêchent pas…
Google a ainsi lancé, en 2011, une plate-forme spécifique. « La recherche sur Internet était surtout réservée aux lettrés en français ou en anglais, désormais presque toute la population alphabétisée pourra l’utiliser », déclare la firme américaine dans un communiqué. Et le navigateur Firefox est prêt à lui emboîter le pas. L’un des responsables de Mozilla a annoncé lors d’une conférence de presse en avril dernier qu’une version en wolof pourrait bien voir le jour dès l’année 2012.
Ces annonces ne sont pas anecdotiques. S’il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions, le fait que les Sénégalais puissent utiliser au quotidien le wolof sur Internet pourrait amener celui-ci à devenir la langue de communication écrite de l’ensemble du pays. Au détriment du français, of course…
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*« Le wolof et la communication personnelle médiatisée par Internet à Dakar », Revue de sociolinguistique en ligne n° 14 – janvier 2010
**« Communication wolof et société sénégalaise », L’Harmattan, 2011
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