Tunisie : controverse sur les sondages politiques

Liberté politique ne rime pas avec anarchie… Plusieurs voix s’élèvent en Tunisie pour protester contre le manque d’encadrement légal des sondages en politique, et contre le danger qu’ils représentent pour la jeune démocratie dans ces conditions.

Le ministère de l’Intérieur, le 15 août 2011 à Tunis. © Fethi Belaid/AFP

Le ministère de l’Intérieur, le 15 août 2011 à Tunis. © Fethi Belaid/AFP

Publié le 19 août 2011 Lecture : 3 minutes.

« Nous devons suspendre la publication des sondages politiques jusqu’au vote de l’assemblée constituante », assène Rida Kéfi, membre de l’Instance nationale de réforme de l’information et de la communication (INRIC). « Tant qu’il n’y a pas de loi, tant que le métier n’est pas organisé, il faudra surseoir à leur recours », argue-t-il.

Une vision que partage Hichem Guerfali, directeur du cabinet 3C études, l’un des six instituts à s’être lancé sur le marché politique tunisien (/pays/tunisie/tunisie.asp). « Nous n’avons aucune expérience en matière de sondage politiques. Sans historique d’élections libres, sans références, nous n’avons aucun moyen de redresser les résultats ».

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Reste que ces sondages apportent aux instituts un nouveau marché. Entre 10 à 15 % du chiffre d’affaires de cette année pour l’institut Sigma Conseil (ISC), par exemple. « Nous sommes dans une période d’effervescence politique », explique Hassen Zargouni, patron de ISC. Il faut donc en profiter, en ces temps de difficultés économiques.

Manque de crédibilité

Malgré cet argument purement économique, les critiques se multiplient (comme en France) à l’encontre des instituts de sondage, dont les méthodologies sont jugées opaques. Notification aléatoire du commanditaire, échantillonnages peu représentatifs, questionnaires orientés… La liste des griefs est longue.

« Plusieurs experts estiment que les échantillonnages de certains sondages ne sont pas crédibles », affirme ainsi Rida Kéfi. Les critères comme l’appartenance sociale ou géographiques ne sont pas pris en compte cars ils ne sont pas recensés dans les statistiques officielles, poursuit-il. Quant à la marge d’erreur des sondages, elle est selon lui trop souvent minimisée par les instituts.

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Ali Ben Yehia, directeur du bureau d’études ID Claire, récuse ces arguments, préférant insister sur les similitudes existant entre politique et business. « L’analyse est différente entre les sondages d’opinions et les études marketing, dit-il, mais les techniques, les moyens et les équipes terrain sont les mêmes ». Ben Yehia rejette également les accusations de clientélisme avec certains partis politiques friands de sondages : « procès d’intention », estime-t-il.

Pratiques douteuses

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Ben Yehia reconnait toutefois l’existence de « un ou deux instituts ayant des connivences avec certains partis », sans plus de précision. Son concurrent, Hichem Guerfali, avoue quant à lui que le milieu doit faire face à certaines pratiques douteuses. « Les instituts sont tentés de modifier les résultats moyennant promesses aux partis », affirme-t-il. Une pratique qui, selon le journaliste Imed Bahri, vient de l’absence d’un cadre légal. « Tant qu’il n’y aura pas d’encadrement, il n’y aura aucun moyen de vérifier et on continuera à s’interroger sur l’argent qu’il y a autour de ces études », estime-t-il.

Autre problème posé par la nouvelle utilisation des sondages en politique : les abus auxquels se livrent les médias. « On assiste à une surenchère dans la presse depuis la révolution », s’insurge Rida Kéfi. « Les journalistes ne savent pas utiliser les sondages », déplore de son côté le représentant de l’instance de réforme des médias, qui a commencé à dispenser des formations à l’analyse des sondages. Mais jusqu’à présent, les journalistes ont été très peu nombreux à y assister.

Si la chute de Ben Ali a ouvert la voie à de nouvelles libertés, les instances de réformes mises en place devront se prononcer prochainement sur l’encadrement légal des sondages en politique. « Il faudra que les instituts aient un minimum de salariés, d’enquêtes à leur actif et aient la capacité technique et financière requise », préconise Hassen Zargouni. Mais pour ce dirigeant comme pour la plupart des acteurs du marché, pas question d’entendre parler de suspension. « Soit on accepte d’être assez mûrs pour la démocratie et ses corollaires, soit on arrête tout », tranche-t-il.

(Avec AFP)

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