Afrique du Sud : une réforme agraire complexe et sous haute tension

L’heure est à la réforme en Afrique du Sud. Ou plutôt devrait l’être. Promise depuis la fin de l’apartheid, et en particulier depuis deux ans par le président Zuma, la redistribution des terres a fait l’objet jeudi d’une proposition du gouvernement. Mais, rien n’est joué pour autant. Car si la réforme semble indispensable sur le plan politique, elle est financièrement presque impensable.

Julius Malema milite avec véhémence pour une expropriation des fermeiers blancs sans compensation. © AFP

Julius Malema milite avec véhémence pour une expropriation des fermeiers blancs sans compensation. © AFP

Publié le 1 septembre 2011 Lecture : 3 minutes.

L’événement est de taille. Vingt ans après la fin de l’apartheid, deux ans après l’arrivée de Jacob Zuma au pouvoir, le ministre de la Réforme agraire, Gugile Nkwinti, a rendu public, jeudi 31 août, un projet de redistribution des terres, dont les détails précis n’ont pas été dévoilés. Objectif : restreindre la propriété foncière privée et l’achat de terres par des étrangers mais, surtout, transférer des terres appartenant aux Blancs à des agriculteurs noirs.

L’État sud-africain est pour le moment bien loin de ses promesses en la matière. L’objectif initial, présenté par le président Zuma lors de son élection, visait à faire passer 30% des terres « blanches » dans les mains des fermiers noirs d’ici 2014.  Or, mi-2011, sur 24,6 millions d’hectares, seuls 2 millions environ avaient été transférés. Soit, en lieu et place des 30% espérés, un faible 8%. Et, selon d’autres estimations, le score serait même inférieur, aux alentours des 5%.

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Eviter la dérive zimbabwéenne

Les raisons ne manquent pas pour expliquer ce relatif échec. La première : la volonté de l’État d’éviter l’effondrement de la production. En effet, à de nombreuses reprises, les nouveaux acquéreurs se sont révélés incapables de maintenir des rendements équivalents à ceux des anciens propriétaires, en arrivant même, parfois, signe d’un terrible aveu d’échec, à leur revendre leurs terres.

L’exemple du Zimbabwe voisin est à ce titre révélateur. En 2000, le président Mugabe lançait sa propre réforme agraire, n’hésitant pas à saisir purement et simplement les terres des agriculteurs blancs, sans aucune contrepartie. Mais, quelque 5 000 expropriations  plus tard, l’agriculture zimbabwéenne est en pleine chute libre : en dix ans, la réforme agraire a coûté 12 milliards de dollars et la production a perdu 70% en volume et 69% de sa valeur.

Financièrement "difficile"

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De fait, même si les sanctions des puissances occidentales contre le régime de Mugabe viennent accentuer la chute libre de la production agricole, l’exemple zimbabwéen ne peut que pousser l’Afrique du Sud à la prudence. Le gouvernement de Jacob Zuma tente ainsi d’éviter l’expropriation et cherche à baser sa réforme sur le consentement des vendeurs.

Une volonté louable qui n’est cependant pas sans contrepartie financière. Dans un pays où 40 000 blancs possèdent 90% des terres agricoles, une telle mesure se paiera inéluctablement au prix fort. Pour atteindre les 30% escomptés, qui tiennent toujours davantage de l’objectif inatteignable, le gouvernement devrait débourser aux alentours des 5 milliards d’euros. Une somme rondelette qui rend la promesse politique de Zuma quasi-inenvisageable. Ce que le ministre de la réforme agraire a évidemment bien compris, expliquant qu’il serait sans doute « difficile », euphémisme, de réunir le pactole.

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Sous la pression de Julius Malema

Ainsi, l’intérêt de l’annonce de Gugile Nkwinti, qui n’aura sans doute que peu de suites pratiques, est avant tout politique. Pour Jacob Zuma, il s’agit en premier lieu de calmer l’opposition d’une partie de la population, agitée par les jeunes de l’ANC (Congrès National Africain) et en particulier par Julius Malema.

Le leader de la Jeunesse de l’ANC prône ainsi une réforme agraire radicale, c’est-à-dire la saisie des terres « blanches » par la force et sans aucune rétribution, suivant ainsi l’exemple de Robert Mugabe. Une mesure qui peut paraître excessive, notamment au vu de l’échec zimbabwéen, mais qui jouit d’une forte popularité auprès de la majorité pauvre du pays.

Ainsi, si Jacob Zuma ne peut à l’évidence pas se permettre de débourser des milliards dans sa réforme agraire, il ne peut pas davantage ignorer la grogne populaire pilotée par Malema. Le casse-tête est donc de taille. Et il y a fort à parier qu’une simple annonce sans grand effet sur le terrain ne le résoudra pas.
 

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