Abderrahmane Dahmane : « Nicolas Sarkozy a trahi notre confiance » sur la diversité
Secrétaire national chargé de l’immigration, puis conseiller de Nicolas Sarkozy à la diversité, Abderrahmane Dahmane a quitté avec fracas l’UMP en mars 2011. Il est aujourd’hui conseiller à l’Institut musulman de la mosquée de Paris. Interview.
Jeune Afrique : Existe-t-il un vote des minorités dites « visibles » ?
Abderrahmane Dahmane : À la différence des communautés juive et arménienne, les communautés dites visibles ne sont pas structurées en lobby. Elles sont en revanche intégrées à des partis politiques et leur vote, plutôt engagé, fluctue de la gauche vers la droite au gré des promesses ou des réalisations des candidats en faveur de la diversité.
Par exemple, le vote maghrébin, qui se situait traditionnellement à gauche dans les années 1970 et 1980, a commencé à flirter avec la droite sous Jacques Chirac, les discours idéologiques de fraternité et d’égalité de la gauche ne s’accompagnant pas de gestes de reconnaissance de la part du pouvoir. En dix-neuf ans de socialisme (14 ans de mitterrandisme et 5 ans de cohabitation sous Chirac), les Maghrébins n’ont pas reçu le moindre strapontin, ni au sein du parti, ni dans la haute administration, encore moins dans le gouvernement.
En dix-neuf ans de socialisme, les Maghrébins n’ont pas reçu le moindre strapontin.
À la fin des années Mitterrand, c’est-à-dire en 1994, nous avons compris qu’il n’y avait rien à espérer des socialistes en matière de promotion de la diversité. Avant le second mandat de Jacques Chirac, dont le discours nous apparaissait plus volontariste, nous avons monnayé notre soutien à la droite auprès de Michelle Alliot-Marie alors présidente du RPR. Avec Chirac, nous avons donc eu les premiers membres du gouvernement et les premiers délégués interministériels issus de la diversité.
Il y avait pourtant eu Koffi Yamgnane sous Mitterrand…
Mais il était resté au gouvernement tout juste un an. Les socialistes ont mis du temps à reconnaître les Maghrébins et, plus généralement, les minorités « visibles ». Ils ont fini par rectifier le tir après le congrès de Dijon, en 2003. Ils ont ainsi commencé à intégrer au sein de l’appareil socialiste quelques représentants de ces communautés et à les inscrire en position éligible sur les listes électorales. Les socialistes comme tous les autres partis mesuraient désormais l’importance du vote des minorités.
Et ils ont majoritairement voté pour Ségolène Royal en 2007 ?
Ce n’est pas avéré. Aucune étude ne permet de l’affirmer. Le contraire serait plus plausible, compte tenu du discours volontariste du candidat Nicolas Sarkozy sur la diversité. Il ne parlait que de cela depuis 2002. En tant que ministre de l’Intérieur, il avait officiellement créé et soutenu le Conseil supérieur du culte musulman, envisagé de nommer des préfets « musulmans », assisté à tous les diners du Conseil démocrate des musulmans de France.
Si les Français d’origine africaine avaient majoritairement voté pour Ségolène Royal en 2007, elle aurait été élue…
Et, en novembre 2004, lorsqu’il prend la tête de l’UMP, il installe en son sein le Cercle de la diversité républicaine, qui réunit entre autres figures Rama Yade, Dogad Dogoui, Lucien Pambou… Un examen des discours des deux candidats montre que Sarkozy est celui qui se préoccupait le plus de diversité. Je crois objectivement que si les Français d’origine africaine avaient majoritairement voté pour Ségolène Royal, elle aurait été élue…
Pourtant aujourd’hui, vous appelez à ne pas voter Sarkozy…
Parce qu’il y a eu deux Nicolas. Nicolas 1er est l’homme politique français qui a le plus œuvré pour la visibilité des minorités. Nicolas II, celui de l’UMP de Jean-François Copé, a tout foulé au pied. En tant que réseaux d’influence, nous avons un combat clair : faire reconnaître la diversité, obtenir qu’elle soit considérée. C’est un travail de longue haleine et de conviction. Et Nicolas Sarkozy a trahi notre confiance.
Notre plus grosse déception vient du débat sur l’identité nationale. S’il avait été initié par un « Français de souche », nous aurions compris. En tant que fils de Hongrois, de quelle légitimité dispose-t-il pour tenir pareille assise ? Les Français d’origine africaine peuvent se réclamer de Verdun, de Crimée, de Toulon ou de Reims. Dans tous les cimetières de France gisent des Mohamed ou des Diallo. Puis il y a eu le discours de Grenoble, le débat sur l’islam, la Convention sur l’immigration…
Nicolas Sarkozy apparaît désormais comme un Français de souche ? Peut-être. Mais pourquoi ce qui est possible pour un Sarkozy venu de Hongrie, pour un Copé en provenance de Roumanie ou pour un Devedjian (Arménie) ne le serait-il pas pour un Ahmed ou un Diakité ? J’ai quitté l’Élysée parce que je ne pouvais plus supporter de voir 30 années de combat réduites à néant.
Vous avez été limogé…
Je venais de lui faire part de mon intention de mettre fin à notre collaboration, qui devenait contreproductive. Je ne m’attendais pas à ce qu’il me garde après ça. Aucun conseiller du président n’ouvre sa gueule. Je ne pouvais pas plier l’échine face à la dérive droitière de l’UMP. Face aux dérapages contrôlés de Nadine Morano, qu’il ne condamnait pas.
Même si l’UMP revenait aujourd’hui sur ses propos, je crains que cela ne soit trop tard.
Et vous promettez une déroute à Nicolas Sarkozy pour la présidentielle de 2012 ?
Il se met le doigt dans l’œil s’il croit pouvoir compter sur le vote visible. Le discours de Copé à Grenoble a marqué les esprits chez les Maghrébins. Les autres Africains n’ont toujours pas digéré celui du président à Dakar. L’UMP se rend compte aujourd’hui qu’il est allé trop loin. Il tente de se rattraper en nommant au sein du parti des représentants de peu d’envergure issus des rangs de la diversité. Malheureusement ceux-ci ne disposent d’aucun réseau. Pour l’élection de Sarkozy, nous avions mis en route une véritable machine de guerre avec le Cercle des démocrates musulmans que j’avais créé en 2001, le Cercle des Africains, l’Union des Asiatiques…
Il disposait de comités de soutien dans toutes les principales villes du pays, actifs dès 2005. Ces comités ont fait un véritable travail de fourmis, parce qu’il n’y avait pas une organisation comme le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), qui rassemble différentes sensibilités de cette communauté. Nous sommes en négociation avec le parti socialiste, à qui nous proposons le même service. Même si l’UMP revenait aujourd’hui sur ses propos, je crains que cela ne soit trop tard. Ce n’est pas rattrapable. Ils n’ont plus désormais de leaders représentatifs auprès de la diversité.
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Propos recueillis par Clarisse Juompan-Yakam
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