Tunisie : de Tunis à Dubaï, le génie pâtissier de Moufida Masmoudi

Les pâtisserie de la Tunisienne Moufida Masmoudi sont dégustées dans le monde entier. Une réussite familiale devenue internationale dont l’histoire a commencé il y a quarante ans dans la ville de Sfax.

La patissière tunisienne Moufida Masmoudi. © Laurent de Saint-Périer pour J.A.

La patissière tunisienne Moufida Masmoudi. © Laurent de Saint-Périer pour J.A.

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Publié le 27 février 2012 Lecture : 4 minutes.

Des yeux qui crépitent de malice, un sourire gourmand, une sérénité et une simplicité qui vous font fondre le cœur comme un bonbon dans la bouche : à côté d’elle, les portraits en carton de la Grand-mère cafetière et de la Bonne Maman aux confitures font pâles figures. Dans sa modeste cuisine tunisienne de Sfax transformé en atelier de pâtisserie, Moufida Masmoudi, 79 ans, a fondé il y a juste quatre décennies, un empire international en sucre et en pâte d’amande. Un jardin des délices dont les plates-bandes fleurissent du boulevard Saint-Germain sur les bords de Seine aux établissements d’Alfons Schuhbeck, le chef allemand étoilé. A l’heure du thé,  le palace parisien du Plaza-Athénée les présente aux princes d’Arabie comme des émaux à dévorer sans retenue.


"Délices" de Moufida Masmoudi ravissent les fins palais du monde entier.

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© Laurent de Saint Périer

Alchimies sfaxiennes

En moins d’un demi-siècle, les douceurs Masmoudi ont conquis les palais des plus fins gourmets. Leur légèreté, leur diversité viennent bousculer l’image de la pâtisserie orientale dont on imagine toujours les épais feuilletages trempés de sirops et de miel. Des perles de pâte d’amande nacrées de rose et de blanc, des bouquets de jasmin en pistache et pignons, des petites flûtes fourrées à la noisette, des dômes de sorgo aux éclats de fruits secs, des nougats couverts de pétales de roses : la gamme des confiseries Masmoudi compte aujourd’hui 130 provocations au péché de gourmandise. La boîte à bijoux d’Hansel et Grettel dont chaque joyau a été dessiné par Amel, la fille de Mme Masmoudi.  

Tout a commencé un beau jour de l’an 1948, quand la jeune Moufida décide d’aller passer quelques temps chez sa cousine à Tunis. Celle-ci, n’ayant pas d’enfant, préparait des gâteaux du matin au soir pour passer le temps. Le parfum de ses alchimies sfaxiennes était parvenu jusqu’à la Cour et le Bey l’avait prise à son service. « C’était la fête ! » s’exclame Mme Masmoudi en se rappelant son royal apprentissage. « Je me souviens très bien avoir préparé les gâteaux pour le mariage du fils du Bey ! » Une fois initiée aux secrets des kâak (biscuits), baklavas et autres douceurs, Moufida regagne sa cité natale où elle se marie en 1957 avec un chef cuisinier. Pour les fêtes et les cérémonies, elle met sa nouvelle science au service de sa famille, de ses amis et ses voisins.

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Sa réputation se répand dans la ville, les commandes s’accumulent et la chef décide de faire négoce de ses talents culinaires : elle fonde en 1972 la première maison de pâtisserie tunisienne. « Elle a créé un métier : auparavant les gâteaux étaient faits maison et il ne serait venu à l’esprit de personne d’aller les acheter », souligne son fils Ahmed. « Mon capital de départ : cinq kilos de produits. Les débuts ont été difficiles, je passais des nuits dopée au Nescafé à râper les noix à la main pour aller au petit matin faire cuire les gâteaux chez le boulanger du quartier », poursuit Mme Masmoudi.

Ouverture prévue au Dubaï Mall

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Toute la famille finit par mettre la main à la pâte. L’entreprise Masmoudi, qui fait aujourd’hui travailler 480 personnes, ne compte à l’époque que six artisans : papa, maman, et leurs quatre enfants. « On posait nos cartables en rentrant de l’école pour filer travailler à la cuisine et nos vacances étaient consacrées à la pâtisserie », se souvient Ahmed. « Au lieu d’aller jouer au foot, on ramenait nos amis à la maison et on pétrissait dans une joyeuse ambiance. » Se doutait-elle que la modeste industrie familiale deviendrait un jour un succès international, avec onze boutiques en Tunisie, six en France, des ouvertures prévues au Dubaï Mall et Djeddah, des commandes internet pour les cinq continents et la reconnaissance des meilleures toques ? « Je ne lis pas dans le marc de café, mais je vous promets avoir eu une prémonition : une nuit, j’ai rêvé cette réussite et elle ne me surprend pas du tout » dit-elle avec le plus grand sérieux.

Les variations sur les neuf recettes apprises dans les cuisines beylicales ont composé une symphonie de friandises et la maison Masmoudi est aujourd’hui la reine des pâtisseries maghrébines. En 1992, trois des enfants  de Mme Masmoudi ont pris le relais et assuré le développement international du groupe. Rachouen, Ahmed et Khalil se chargent respectivement des ressources humaines, du marketing et des finances. L’identité visuelle de la marque a été repensée par Gérard Caron, créateur de l’agence Carré noir (SNCF, Auchan, Oxbow, Vivendi…). La cuisine où ont été préparés les premiers kaâk a été transformée en boutique de luxe. Mais Mme Masmoudi habite toujours la même maison, décorée avec goût et modestie : « L’argent ?! L’important, c’est la famille, et la qualité des gâteaux », confie-t-elle.

A quelques pas de là, le pompeux siège du RCD a été incendié de fond en comble en janvier 2011, mais aucun activiste Sfaxien n’aurait eu l’idée sacrilège d’aller piller les trésors entreposés dans les frigos de la pâtisserie. Et la révolution, Mme Masmoudi ? « Je suis très contente, un vrai dictateur a été éliminé ! Mais j’ai aussi été choquée de découvrir qu’il y avait eu autant de régions, autant de gens délaissés par le pouvoir. C’est la première année de la démocratie, puisse-t-elle avoir longue vie ! » Vous aussi, Mme Masmoudi.

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Laurent de Saint Périer, envoyé spécial à Sfax
 

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