Tunisie : quand le « citoyen Belhassen Trabelsi » presente ses excuses au peuple

« Rongé par le mal du pays », Belhassen Trabelsi, le beau-frère en exil de l’ex-président Ben Ali s’est adressé dans une lettre ouverte à « tous les Tunisiens » pour leur présenter ses excuses, le 12 avril. Depuis le Canada où il s’est réfugié avec sa famille depuis la chute de l’ancien régime début 2011, il se dit prêt à comparaître devant la justice tunisienne. Ce mea culpa, authentifié par son avocat à Tunis, plaide déjà avec vigueur et émotion pour la réhabilitation complète de son auteur.

Belhassen Trabelsi, beau-frère de Ben Ali, est sous le coup d’un mandat d’arrêt international. © AFP/Fethi Belaid

Belhassen Trabelsi, beau-frère de Ben Ali, est sous le coup d’un mandat d’arrêt international. © AFP/Fethi Belaid

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 19 avril 2012 Lecture : 4 minutes.

Le seul péché qu’il confesse ? Son patronyme, un nom « chargé de haine », et qui a été cause de « mal et d’injustice ». Trabelsi : un nom porté au Capitole avant d’être voué aux gémonies par la grâce de sa sœur Leïla, épouse honnie de l’autocrate déchu. Le pénitent implore le peuple et la justice tunisienne de « ne pas s’attarder sur (son) nom et sur (son alliance) ». Car il le concède : en raison de ses rapports familiaux avec le président, « les portes s’ouvraient devant (lui) ». Passif dans l’obtention des privilèges, Belhassen se présente ainsi comme la victime de celle qu’il ne nomme pas, sa sœur. Qui, espère-t-on, prendra la peine de lui répondre dans les mémoires qu’elle prévoit de publier prochainement.

Passif dans l’obtention des privilèges, Belhassen se présente ainsi comme la victime de celle qu’il ne nomme pas, sa sœur.

Victime de son nom, il serait devenu l’innocent bouc-émissaire des péchés présidentiels, par la faute de « certains médias » et de « certains de (ses) associés » qui lui ont « attribué les pratiques d’autres individus ». Ceux-ci ont-ils injustement excité la haine des foules qui ont assiégé, assailli envahi, saccagé et enfin incendié sa demeure, lui imposant, pour préserver ses enfants, de « quitter temporairement le pays (…) de manière tout à fait légale » ? Car celui qui a cherché asile au Canada l’affirme : il ne s’est en aucun cas enfui. Le « citoyen Belhassen Trabelsi », comme il signe sa lettre, insiste d’ailleurs pour venir en Tunisie faire la preuve de son civisme « devant n’importe quelle instance judiciaire ».

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La vérité qu’il veut rétablir ? Celle d’un homme humble issu d’un milieu modeste, d’un travailleur acharné, d’un self made man dont le succès a été acquis « non par le pillage des richesses du pays, mais grâce à (son) labeur, à (ses) efforts et aux investissements consentis pour le bien de l’économie de son pays ». Hier victime, aujourd’hui bouc-émissaire, il était en réalité un bienfaiteur de la Tunisie, faisant travaillant 4 000 personnes, réinvestissant tous ses gains dans sa patrie et payant ses impôts rubis sur l’ongle. Ceux qui prétendent qu’il a pillé les richesses du pays obéissent, selon lui « aux haines aveugles, aux vengeances sourdes, aux mensonges, aux fausses allégations, à la vendetta et aux intrigues », dont l’esprit s’oppose à l’essence d’un « peuple fidèle à sa tradition de clémence et de pardon » qu’il invoque.

Une vérité contestée

Cette touchante confession semble cependant très loin du souvenir qu’a laissé en Tunisie le beau-frère de Ben Ali, et détonne avec l’image qu’on en avait à l’étranger. Révélé en 2010 par WikiLeaks, un câble américain de 2008 le définissait ainsi : « Le frère de Leïla, Belhassen Trabelsi, le membre de la famille la plus célèbre, est réputé avoir été impliqué dans une large gamme d’affaires de corruption, du remaniement récent du conseil d’administration de la Banque de Tunisie à l’expropriation de biens et l’extorsion de pots de vin. »

Et si, dans son courrier, Trabelsi assure que «l’essentiel de (sa) fortune pour ne pas dire sa totalité se trouve en Tunisie », la Télévision suisse-romande ne semble pas totalement partager ce point de vue, comme elle l’indiquait sur son site, le 18 septembre 2011 : « La TSR a ainsi appris que HSBC Private Bank (Suisse) avait eu d’étroites relations d’affaires, durant des années, avec Belhassen Trabelsi, le beau-frère notoirement corrompu du président déchu tunisien Ben Ali. Au point de lui ouvrir un compte en banque sur les bords du Léman, compte qui abrite aujourd’hui plus de 11 millions de francs. »

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Mais Belhassen évoque des « documents », des « dossiers », des « renseignements » et des « détails » qui rétabliront la vérité sur ses nobles intentions et sur la rosserie de ses détracteurs. Sans doute ces preuves étaient-elles tellement nombreuses que le citoyen Trabelsi n’a pu les rassembler à temps pour venir les produire au procès qui l’a condamné, par contumace, à quinze ans et deux mois de prison fin septembre 2011. Ou peut-être le mandat d’arrêt international transmis à Interpol lui a permis de réaliser, depuis le Canada, l’étendue de l’injustice dont il était victime.

Préparer un retour forcé ?

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« Certains médias » tunisiens voient dans cet acte de contrition public un moyen de préparer son retour forcé en Tunisie et de sonder les dispositions de l’opinion et des autorités à son égard. Le 17 avril, cinq jours après la publication de sa lettre ouverte, Mohamed Askri, chargé de mission auprès du ministre tunisien de la Justice déclarait en effet que l’extradition de Trabelsi était imminente, toutes les procédures ayant été accomplies – dont l’envoi, le 18 avril, du dossier contenant les preuves justifiant l’extradition – auprès des autorités canadiennes depuis le 14 avril.

Je veux rentrer dans mon pays pour faire face à mon destin

Plus troublant encore, celui qui crie son mal du pays doit passer en audience le 23 avril devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié au Canada afin de récupérer son statut de résident permanent au Canada, perdu pour n’y être pas resté assez longtemps avant son installation forcée. Mais son casier judiciaire international risque de ne pas plaider en sa faveur et les autorités canadiennes pourraient très vite accéder à la demande d’extradition de Tunis.

Cela ne pourrait mieux tomber pour le pénitent qui déclare aux Tunisiens : « Je veux rentrer dans mon pays pour faire face à mon destin ». Et il fait bien de s’en remettre à la Tunisie « libre et indépendante » pour faire triompher ses qualités de bienfaiteur et couper court aux calomnies dont il est victime : Samir Dilou, le ministre tunisien de la Justice l’a assuré, « nous nous engageons à traiter Belhassen Trabelsi, beau-frère du président déchu, dans le respect de la loi et à lui assurer un procès équitable. »

 

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