Côte d’Ivoire – CPI : Laurent Gbagbo demande sa libération, décision le 28 mars

L’audience de confirmation des charges pesant contre Laurent Gbagbo s’est ouverte à La Haye, mardi 19 février. Les débats vont durer une dizaine de jours.

Laurent Gbagbo au Tribunal pénal international de La Haye, le 19 février 2013. © AFP

Laurent Gbagbo au Tribunal pénal international de La Haye, le 19 février 2013. © AFP

Publié le 19 février 2013 Lecture : 5 minutes.

Échanges musclés à l’ouverture de l’audience de confirmation des charges de Laurent Gbagbo, à La Haye, le 19 février. Les avocats de l’ex-président ivoirien ont demandé aux juges de prononcer l’irrecevabilité de l’affaire, de suspendre définitivement les procédures engagées contre leur client et d’ordonner sa mise en liberté immédiate. Une décision sera rendue le 28 mars prochain.

La juge principale Silvia Fernandez de Gurmendi a ouvert l’audience à 14h30. Vêtu d’un costume bleu nuit, d’une chemise ciel et d’une cravate rayée, l’ancien président, assis derrière ses défenseurs, est apparu en bonne forme. Après plus de quatorze mois d’incarcération dans sa cellule de Scheveningen, Gbagbo semble avoir repris du poil de la bête. Il affichait une mine réjouie et a salué les journalistes et ses nombreux amis venus assister à sa comparution. Les horaires sont aménagés avec des pauses toutes les heures pour lui permettre de suivre les débats dans les meilleures conditions.

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Après des rappels préliminaires sur la tenue des débats qui vont durer une dizaine de jours, la juge principale de la chambre préliminaire a demandé au greffier de rappeler les charges. À 67 ans, l’ancien dirigeant est soupçonné d’être « co-auteur indirect » de plusieurs crimes contre l’humanité, à savoir : meurtres, viols, persécutions et autres actes inhumains, commis pendant les violences postélectorales de 2010-2011. Des crimes qui auraient provoqués, selon l’accusation, des centaines de morts et qui découleraient du refus Gbagbo de reconnaître la victoire électorale, le 28 novembre 2010, de son rival Alassane Ouattara, aujourd’hui au pouvoir.

Éléments de preuve

Ces journées d’audience doivent permettre aux juges d’évaluer la solidité des éléments de preuves rassemblés par l’accusation dans la perspective de la tenue d’un procès. Quatre jours avant l’ouverture des débats, la défense avait déposé une requête en irrecevabilité, qu’elle est venue défendre ce 19 février.

La défense a remis en cause le processus de complémentarité de la CPI, évoquant des poursuites à l’encontre de Gbagbo en cours en Côte d’Ivoire pour crimes économiques.

Et c’est le professeur Jacobs, de l’Université de Leiden, qui l’a soutenue à la demande de Me Emmanuel Altit, avocat principal de Laurent Gbagbo. L’universitaire a notamment remis en cause le processus de complémentarité de la CPI, évoquant des poursuites à l’encontre de Gbagbo en cours en Côte d’Ivoire pour crimes économiques. Il a également expliqué que Simone Gbagbo, son épouse, Charles Blé Goudé et plusieurs de ses anciens ministres étaient poursuivis par la justice ivoirienne. Des arguments qui, selon lui, portent préjudice à la crédibilité de la CPI, qui a demandé l’extradition de Simone Gbagbo.

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« Si la Chambre préliminaire devait déclarer l’affaire recevable, cela aurait pour conséquence d’envoyer un message à tous les États, comme c’est le cas de la Côte d’Ivoire, qu’ils sont libres d’utiliser la CPI comme une Cour de convenance, au gré des fluctuations politiques nationales », a-t-il expliqué. Le professeur Jacobs a encore dénoncé la « modestie des preuves » du procureur et a même suggéré que Laurent Gbagbo puisse se défendre et être jugé en Côte d’Ivoire.

Il a rappelé les propos d’Alassane Ouattara qui « préfère dorénavant juger les auteurs des crimes postélectoraux dans son pays ». La défense a enfin fait remarquer que la France, l’ONU et les autorités ivoiriennes devaient, du fait de leur présence en Côte d’Ivoire, disposer d’éléments importants permettant d’étayer les allégations du procureur. Pour les avocats de Gbagbo, les audiences à venir, et l’éventuel procès, seront historiques. Selon eux, tous les protagonistes devront être appelés à la barre. Ce qui a eu le don d’irriter le bureau du procureur.

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Gagner du temps

Eric Mc Donald, le substitut de Fatou Bensouda, qui était bien présente dans la salle où elle a surtout pris des notes avant de s’exprimer à la clôture des débats (voir ci-dessous), a dénoncé une requête tardive dont l’objectif ne serait que de gagner du temps. « On déborde le cadre d’une requête en procédure ! » a-t-il affirmé devant les juges. En réponse, Me Altit a rappelé le caractère contradictoire des débats. Des échanges vifs qui ont fait sourire l’ex-chef d’État.

Jacobs a ensuite achevé sa démonstration en comparant l’audience de Laurent Gbagbo à la pièce de l’italien Luigi Pirandello, « Six personnages en quête d’auteurs ». Selon lui, si les juges autorisent la tenue d’un procès, cela servira à déconstruire la réalité. « Vous avez une noble tâche, a-t-il dit aux magistrats de la cour. Faites que cette audience n’accouche pas d’un mensonge ». Une plaidoirie qui a visiblement réjoui les pro-Gbagbo – entre 300 et 700 personnes selon les estimations – qui ont fait le déplacement de La Haye.

Arborant des chapeaux orange, perruques et drapeaux aux couleurs ivoiriennes, ils ont demandé la libération du président Gbagbo devant la police néerlandaise et la garde équestre. « Gbagbo a de bons avocats, explique Mireille, une Franco-Ivoirienne qui a fait le déplacement. Il n’y a rien dans le dossier du procureur ». La défense a visiblement marqué des points durant cette première journée en prenant de cours les différents protagonistes et en allant jusqu’à remettre en jeu la compétence de la CPI. Mais les prochains jours devraient être à l’avantage du procureur Bensouda qui a présenté sommairement toutes les charges à retenir, selon elle, contre Laurent Gbagbo à la fin de l’audience du jour. Et qui doit les développer dans les prochains jours.

Propos liminaires de Fatou Bensouda, procureur de la CPI :

« En décembre 2010, au travers d’élections pacifiques, le peuple ivoirien avait l’occasion de se rassembler et de choisir la personnalité qu’il voulait voir à la tête du pays. Mais il a été privé de cette possibilité par, entre autres, M. Gbagbo, qui a eu recours à la violence contre des civils pour rester au pouvoir… Nous sommes là pour envoyer un message fort à ceux qui prévoient, essaient d’accéder au pouvoir ou de s’y maintenir en ayant recours à la violence et à la brutalité : ils devront dorénavant répondre de leurs actes. » (…)

« M. Gbagbo a mobilisé les forces qui lui étaient subordonnées et leur a ordonné de mettre en oeuvre la politique visant à le maintenir au pouvoir par la force. Concrètement, il a ordonné de faire cesser les manifestations et a fait déployer des militaires lourdement armés, qui ont eu recours à la force létale contre des manifestants non armés dans la rue. » (…)

« M. Gbagbo est accusé en tant que coauteur indirect, des crimes contre l’humanité suivants ou, subsidiairement, d’avoir contribué à la commission de ces crimes, soit : le meurtre d’au moins 166 personnes, le viol d’au moins 34 femmes et jeunes filles et le fait d’avoir infligé à 94 personnes au moins des atteintes graves à l’intégrité physique et de grandes souffrances ou, à titre subsidiaire, d’avoir attenté à leur vie. En outre, M. Gbagbo doit répondre du crime contre l’humanité de persécution pour des motifs d’ordre politique, national, ethnique et religieux à l’encontre d’au moins 294 victimes ».

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Par Pascal Airault, envoyé spécial à La Haye
 

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