Audience de Gbagbo à la CPI : le grand déballage a commencé

Au deuxième jour de l’audience de confirmation des charges pesant contre Laurent Gbagbo, à la CPI, mercredi 20 février, la défense et l’accusation ont débattu à fleurets démouchetés. L’enjeu : l’inculpation formelle de l’ancien président ivoirien et l’organisation de son procès.

Pour le procureur, Laurent Gbagbo a suivi un plan visant à conserver le pouvoir par la violence. © Michael Kooren/AFP

Pour le procureur, Laurent Gbagbo a suivi un plan visant à conserver le pouvoir par la violence. © Michael Kooren/AFP

Publié le 21 février 2013 Lecture : 3 minutes.

Le grand déballage a commencé, au deuxième jour de l’audience de confirmation des charges de Laurent Gbagbo, mercredi 20 février. Les différents intervenants ont donné leur propre lecture de la crise ivoirienne. C’est Paolina Massida du Bureau du conseil public pour les victimes de la Cour pénale internationale (CPI), qui a ouvert les débats.

« Pour comprendre la tentative de coup d’État de septembre 2002, il faut remonter au décès d’Houphouët-Boigny, en décembre 1993, et à la querelle de successions entre Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara », a-t-elle expliqué en guise de rappel historique. Et de pointer du doigt la responsabilité originelle des idéologues du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, parti de Bédié) qui avaient expliqué qu’ « Houphouët-Boigny était le président des Africains et que Bédié serait celui des Ivoiriens ».

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Cette distinction entre nationaux et ressortissants ouest-africains, qui avaient le droit de vote sous le père de l’indépendance, allait leur servir pour réviser le code électoral afin d’exclure Alassane Ouattara du scrutin présidentiel. Une exclusion qui allait aboutir au coup d’État de décembre 1999. Paolina Massida a également reproché aux partisans de Laurent Gbagbo d’avoir surfé sur le thème de l’« ivoirité » pour se faire élire en octobre 2000. Ce qui expliquerait, selon elle, le coup d’État du 19 septembre 2002 « orchestré depuis le Burkina voisin » dont les ressortissants étaient stigmatisés au même titre que les populations nordistes.

Thèmes xénophobes

Elle a ensuite dénoncé la réactivation des thèmes xénophobes durant la campagne électorale de 2010 dans la bouche de Gbagbo et de ses fidèles parlant de Ouattara comme du « candidat pour l’étranger » ou du « candidat étranger ». « Les victimes ont droit à la vérité, à la justice et à la réparation, a-t-elle conclu. La punition des responsables des crimes commis permettra la réconciliation des Ivoiriens ».

La défense a alors pris la parole. L’avocat principal de Gbagbo a comparé les charges présentées par la procureure à « une revue de presse alimentée par les autorités ivoiriennes, les ex-rebelles et la presse pro-Ouattara. (…) Le peuple ivoirien mérite mieux qu’un procès politique », a confié Me Emmanuel Altit.

Laurent Gbagbo a chaudement félicité son avocat, Me Emmanuel Altit, à l’issue de sa plaidoirie.

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Selon lui, les arguments du bureau du procureur ont fondé une « réalité légitimante qui a servi à Ouattara pour prendre le pouvoir ». Et de dénoncer l’utilisation de vidéos tournées au Kenya dans le document de présentation des charges. Cette affaire est aussi celle de Paris, a-t-il rappelé, en relevant une quarantaine d’interventions de l’armée française en Afrique lors des cinquante dernières années.

Laurent Gbagbo a chaudement félicité son avocat à l’issue de sa plaidoirie. À la suite de celui-ci, sa consœur ivoirienne, Agathe Baroan, prenant son exemple personnel, a tenu à décrire la réalité du phénomène migratoire et du métissage de son pays. Issue d’un père malinké ayant migré au sud du pays et s’étant mariée à une femme bété de l’ouest, elle a déploré les amalgames sur la fracture nord-sud. Et appelé à ce que « chaque victime (des deux camps) soit écoutée », une manière de mentionner implicitement les familles ayant subi les exactions de l’ex-rébellion dirigée par Guillaume Soro, aujourd’hui président de l’Assemblée nationale.

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Plan défini

Dernier à prendre la parole, Gilles Durtertre, substitut de la procureure Fatou Bensouda, a détaillé méthodiquement les 45 incidents intervenus entre novembre 2010 et mai 2011. À l’aide de cartes et de vidéos, il a montré les barrages érigés, les attaques et les assassinats d’opposants (parfois brûlés vifs) commis par les Forces de défense et de sécurité (FDS), des miliciens et mercenaires à la solde du pouvoir, ou des jeunes patriotes emmenées par Charles Blé Goudé, l’ancien ministre de la Jeunesse.

« Ces attaques continues et régulières ont duré près de cinq mois, a-t-il indiqué. Elles n’étaient pas confinées à la zone très peuplée d’Abidjan mais aussi au sud-ouest et le long de la côte ». Il s’est ensuite attaché à démontrer le plan savamment réfléchi du clan Gbagbo afin de se maintenir au pouvoir. Un plan défini et orchestré, selon lui, par Laurent Gbagbo lui-même et ses proches : son épouse Simone, l’ex-ministre Charles Blé Goudé, et son neveu et conseiller défense, Kadet Bertin, ainsi que plusieurs responsables militaires dont l’ex-chef d’état-major des armées, le général Mangou. Et de décrire l’enrôlement de nouveaux soldats, le recrutement de mercenaires, la formation de miliciens, les achats d’armes… Et les conséquences du conflit : la mort de près de 700 victimes.

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Par Pascal Airault, envoyé spécial à La Haye

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