Madagascar : petites bonnes en mauvais État
Les témoignages de jeunes femmes malgaches victimes d’abus sexuels et d’esclavage moderne en Arabie saoudite ou au Koweït se multiplient. Le rôle des autorités malgaches dans le scandale reste trouble.
Fatouma n’a ni chaussures ni vêtements propres lorsqu’elle pose les pieds sur le tarmac d’Ivato, l’aéroport d’Antananarivo, le 8 février dernier. Ses cheveux sont ébouriffés, son visage boursoufflé, par les sanglots peut-être. La jeune femme de 26 ans revient d’Arabie Saoudite. Sa place de domestique dans une grande maison moyennant 200 dollars par mois n’avait rien de l’eldorado promis.
« Dès le début, je travaillais jour et nuit, parfois sans manger. Puis, mon patron a voulu que je couche avec son fils. J’ai refusé. Et ils m’ont violée sous la douche. J’ai fini par m’enfuir lorsque je les ai aperçus en train d’aiguiser des couteaux. » Pour payer ses études d’anglais, Fatouma s’était laissée convaincre par la promesse d’un salaire qu’elle n’a jamais touché.
À Madagascar, l’histoire de Fatouma est loin d’être un cas isolé. Officiellement, elles sont 340 à travailler en tant que domestiques dans ce pays, et près de 1 700 au Koweït. « Petites bonnes maltraitées », « Domestiques abusées », font régulièrement les gros titres de la presse malgache. Mais les vagues retombent aussi vite qu’elles se lèvent.
Responsabilité des autorités
Pourtant la responsabilité de l’État semble directement engagée. « Les agences de placement qui envoient ces filles sans assurer leur sécurité poussent comme des champignons. Elles sont 24 à être agrémentées », se désole Norotiana Jeannoda, président du Syndicat des professionnels diplômés en travail social, qui aide les victimes. Et qui les recense aussi. Au cours des trois derniers mois de l’année 2012, 275 départs vers le Koweït et 110 vers l’Arabie Saoudite ont été enregistrés par l’association.
Les contrats de travail sont tamponnés et donc validés par le ministère de la Fonction publique. Mais leur forme « légale » ne masque pas le scandale, puisqu’ils stipulent : « La durée de travail ne doit pas excéder 15 heures par jour » ; ou encore : « l’employée a droit aux sorties accompagnées de l’employeur, sauf avis contraire de l’employeur »…
« Ces agences créent 1 500 emplois par an. C’est un dilemme pour nous », reconnaît Tabera Randriamantsoa, le ministre de la Fonction Publique. En théorie, les autorités malgaches pourraient facilement se dégager de toute responsabilité dans ces histoires qui prennent trop souvent la forme d’esclavage moderne. Il suffirait de retirer les agréments accordés aux agences pour rendre leurs pratiques illégales ou de ne plus valider les contrats de travail vers les destinations à risque. L’affaire Fatouma a d’ailleurs entrainé la suspension de l’envoi de domestiques au Koweït et en Arabie Saoudite. Pour un mois seulement… Et pas pour toutes.
Liens étroits avec le pouvoir
« Depuis cette décision, il y a quand même neuf filles qui sont parties car leurs dossiers avaient été validés avant », indique Jean Brunelle Razafintsiandraofa, le chef de la police de l’air et des frontières. De même, les « dérogations exceptionnelles » sont régulièrement accordées aux agences qui en font la demande. « Il faut dire que c’est un business lucratif. Les agences reçoivent entre 2 000 et 3 500 dollars par employée envoyée », estime Norotiana Jeannoda.
« Les liens sont étroits entre ces agences et les plus hauts responsables de l’Etat », confie une source ministérielle qui a requis l’anonymat. Au moins un employé du ministère de la Fonction publique est aussi à la tête d’une agence de placement. La première a d’ailleurs été créée dès le milieu des années 1990… par un ancien ministre de l’Économie.
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Par Arnaud Froger, à Antananarivo
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