Mali : pourquoi ATT est tombé
Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l’histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l’université Johns-Hopkins, aux États-Unis. Premier volet d’une série sur l’histoire militaire récente du Mali : la chute d’ATT.
L’attaque du camp de Ménaka par le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA), le 17 janvier 2012, marque le début de la crise militaire au Mali, déclenchement logique d’un conflit qui conduira à la prise de contrôle du nord du pays par les irrédentistes touaregs, puis par des groupes armés islamistes, et enfin à l’intervention franco-africaine, un an plus tard.
Dès la fin de l’année 2011, de nombreux signes auraient dû alerter Bamako sur la gravité de la tempête à venir, mais Amadou Toumani Touré (ATT), chef de l’État malien, ne prend que des mesures en demi-teintes : des éléments sont bien déployés au nord (plusieurs compagnies motorisées regroupant notamment 120 4×4, une trentaine de blindés de reconnaissance BRDM-2 ainsi que 18 véhicules blindés de transport de troupe BTR-60PB), mais ils restent insuffisants pour un territoire aussi vaste, tandis que l’état de préparation des unités n’est pas optimum, loin s’en faut.
Il s’agit pour le président de ménager les susceptibilités touarègues tout en se donnant a minima les moyens de parer à toute éventualité. Une indécision relative (des opérations sont parfois menées) qui fait écho tant à la personnalité de l’homme qu’à son expérience des soulèvements nomades dans le nord du Mali : lors des précédentes rébellions, les mouvements irrédentistes n’ont eu de cesse de se désagréger, de se recomposer, de se combattre. C’est dans ce contexte qu’Iyad Ag Ghali, à la tête du Mouvement populaire de l’Azawad, a d’ailleurs affronté d’autres organisations rebelles entre 1994 et 1995, après avoir été des leurs.
Lors des précédentes rébellions, les mouvements irrédentistes n’ont eu de cesse de se désagréger, de se recomposer, de se combattre.
En outre, l’Algérie et la Libye sont intervenues, aussi bien lors de la crise de 1990-1995 que de celle qui débute en 2006 puis se calme avant de reprendre en 2008. À chaque fois, ces pays tiers négocient l’arrêt des combats avec plus ou moins de succès, sur la base d’accord plus ou moins réalistes car sans la capacité matérielle pour les appliquer. Au début de 2012, c’est donc en toute logique qu’ATT joue la carte de l’inaction, ou peu s’en faut : elle convient à son caractère, le temps qui s’écoule s’est jusqu’à présent retourné contre les Touaregs.
Certes, désormais, Kadhafi n’est plus. Inutile, donc, de compter sur lui. Mais reste toujours l’Algérie pour payer les pots cassés. Le Mali sollicite également la France par le biais de son ministre des Affaires étrangères, Soumeylou Boubèye Maïga, la diplomatie malienne estimant que cette situation est la conséquence directe de l’intervention en Libye.
Malheureusement pour ATT (et le Mali), le MNLA dispose du renfort de « soldats perdus » de Kadhafi : des éléments touaregs revenus de Libye quelques semaines auparavant, aux ordres du colonel Ag Najem. Dans leur sillage viennent d’autres groupes armés, qui eux, affirment se battre pour l’islam : Ansar Dine, Aqmi et le Mujao. Les quelques mesures ordonnées par ATT ou prises par l’état-major ne suffisent pas : les garnisons isolées tombent les unes après les autres, les opérations de secours échouent dans la désorganisation la plus totale. Avec le coup d’état du 22 mars, la chaîne de commandement se brise. L’armée malienne s’effondre.
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