Mbaye Diagne, le héros sénégalais du génocide contre les Tutsi
Dix-neuf ans après sa mort au Rwanda, une association sénégalaise perpétue la mémoire de l’ancien casque bleu sénégalais Mbaye Diagne. Inconnu chez lui, ce « capitaine courage » a pourtant reçu diverses distinctions pour son action courageuse en 1994, pendant le génocide contre les Tutsi.
Dans son propre pays, il demeure un inconnu. Aucune rue de la capitale sénégalaise ne porte son nom et à Pikine, le quartier populaire de la banlieue dakaroise où il a grandi, chacun ou presque ignore ses actes de bravoure et son décès tragique, survenu à Kigali il y a dix-neuf ans, le 31 mai 1994, en plein cœur du génocide.
Au Rwanda, en revanche, le nom du capitaine Mbaye Diagne figure en bonne place parmi les Justes qui ont risqué leur propre vie afin de sauver des civils menacés d’extermination. En juillet 2010, sa veuve et ses deux enfants recevaient des mains du président Paul Kagame le Prix Umurinzi. « Pour votre bravoure et votre sacrifice pendant le génocide du 1994, et pour montrer au monde la vraie signification de l’Ubuntu africain, le peuple rwandais vous sera toujours endetté », pouvait-on lire dans le texte d’hommage remis à sa famille par les autorités rwandaises. En Italie, en octobre de la même année, Mbaye Diagne était célébré par le Jardin des Justes du monde de Padoue. Et en 2011, à l’occasion du dix-septième anniversaire du génocide, il était honoré à titre posthume par la Secrétaire d’État américaine Hillary Clinton.
Exemple de bravoure
En 1994, à l’heure où la communauté internationale fermait les yeux et tournait le dos face au génocide, Mbaye Diagne offrit l’exemple de la bravoure et de l’altruisme, menant de nombreuses opérations de sauvetage hautement aléatoires face à des miliciens incontrôlables. La Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar), dans les rangs de laquelle il avait été incorporé après avoir d’abord servi sous les couleurs de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), était entravée par le mandat exclusivement défensif que lui avait imposé le Conseil de sécurité, sans considération pour la boucherie en cours. De plus, en tant qu’observateur militaire, Mbaye Diagne circulait sans armes. « Nous n’avions même pas droit à un couteau, se rappelle le colonel Mamadou Sarr, qui servit avec lui au Rwanda. Notre seule arme pour sauver des civils, c’était la parole. »
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« Mbaye Diagne était passé maître dans l’art de négocier », rappelle la journaliste britannique Linda Melvern, auteur de plusieurs livres sur le génocide. Il organisait des échanges de prisonniers entre le camp gouvernemental et le Front patriotique rwandais (FPR), tout en menant des opérations hasardeuses de sauvetage, souvent de sa propre initiative. Dès le 7 avril 1994, comprenant que la Première ministre de transition Agathe Uwilingiyimana est menacée par les extrémistes hutus, il se précipite spontanément jusqu’à son domicile. Il ne sera pas en mesure d’empêcher son assassinat par la garde présidentielle mais parviendra tout de même à sauver ses cinq enfants d’une mort certaine en les conduisant à l’hôtel des Mille Collines, l’un des rares lieux partiellement protégés de la capitale rwandaise. Le soir même, un groupe de soldats et de miliciens s’y présente, réclamant qu’on leur livre la progéniture d’Agathe. Mbaye Diagne négocie longuement. La soldatesque finit par quitter les lieux. Et les enfants pourront être évacués vers la Suisse.
La nuit, il partait seul. Et au matin, on retrouvait au stade Amahoro, protégés par les Casques bleus, de nouveaux réfugiés qu’il était parvenu à arracher à la mort.
Pour le général canadien Roméo Dallaire, ancien commandant en chef de la Minuar, « il était le plus courageux de tous ». Tous ceux qui l’ont croisé à Kigali pendant le génocide – journalistes, Casques bleus ou membres d’ONG restés sur place – se souviennent d’un homme jovial, maître de ses émotions face aux barrages de miliciens qu’il franchissait chaque jour au culot. « La nuit, il partait seul, relate l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop, qui prévoit de publier à l’occasion de la 20e commémoration du génocide, en avril 2014, un récit biographique consacré au capitaine. Et au matin, on retrouvait au stade Amahoro, protégés par les Casques bleus, de nouveaux réfugiés qu’il était parvenu à arracher à la mort. »
Héro injustement méconnu
Le capitaine Mbaye Diagne paiera de sa vie son sacerdoce au service des victimes du génocide. Le 31 mai 1994, alors qu’il se trouve à un check-point gouvernemental dans son véhicule aux couleurs des Nations unies, il est tué sur le coup par un éclat de mortier présumé tiré par la rébellion du FPR.
À Dakar, une association en sa mémoire a été lancée en 2010. Présidée par sa veuve, Yacine Mar Diop, l’Association du capitaine Mbaye Diagne pour la culture de la paix (Nekkinu Jàmm, en wolof) entend maintenir vivace son héritage. Outre les deux enfants du capitaine, Cheikh et Coumba, on y retrouve d’anciens frères d’armes comme son vieux complice le colonel Babacar Faye, aujourd’hui responsable de la région militaire de Ziguinchor (sud du Sénégal), mais aussi le journaliste de la BBC Mark Doyle, qui couvrit le génocide et sympathisa avec le capitaine, ou encore le Sénégalais Bacre Waly Ndiaye, auteur en 1993, pour le compte de l’ONU, d’un rapport prémonitoire sur la planification du génocide.
Selon Boubacar Boris Diop, le nom de ce héros méconnu, qui aura contribué à racheter un peu de la mauvaise conscience africaine et internationale face à un génocide que nul ne tenta d’enrayer, a été injustement gommé de la bibliographie relative à cet événement. « Comme le dit à juste titre le journaliste Mark Doyle, je n’ose imaginer ce que le monde aurait dit de lui si ce héros avait été blanc », résume l’écrivain.
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