Rwanda : Kayumba et Karegeya, révélations ou mystifications ?

Énième rebondissement dans l’affaire des transfuges du Front populaire rwandais (FPR) accusant Paul Kagamé d’être impliqué dans l’attentat du 6 avril 1994 au Rwanda. Deux ex-militaires, désormais opposants exilés en Afrique du Sud, Faustin Kayumba Nyamwasa et Patrick Karegeya, prétendent aujourd’hui disposer de preuves incriminant l’actuel président rwandais.

Patrick Karegeya et Faustin Kayumba Nyamwasa. © DR/AFP/Montage J.A.

Patrick Karegeya et Faustin Kayumba Nyamwasa. © DR/AFP/Montage J.A.

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Publié le 9 juillet 2013 Lecture : 4 minutes.

Dans une double interview à RFI, diffusée et publiée sur le site de la radio le 9 juillet, deux opposants en exil issus des rangs de l’Armée patriotique rwandaise (APR, ancienne rébellion majoritairement tutsie) prétendent apporter de nouvelles révélations au sujet de l’attentat commis le 6 avril 1994 au Rwanda contre l’avion de l’ancien président (hutu) Juvénal Habyarimana. Dix-neuf ans après cet attentat qui allait servir de déclencheur au génocide contre les Tutsis, ses auteurs et commanditaires n’ont jamais été formellement identifiés. Une information judiciaire ouverte au pole antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris depuis mars 1998, aujourd’hui confiée aux juges Marc Trévidic et Nathalie Poux, s’efforce de faire la lumière sur cet événement.

Dans le long entretien qu’ils ont accordé à RFI, Faustin Kayumba Nyamwasa et Patrick Karegeya, opposants déclarés au président Paul Kagamé, dont ils furent pendant plusieurs années les compagnons de route, prétendent connaître toute la vérité au sujet de l’attentat. Des révélations tonitruantes qui méritent néanmoins d’être prises avec la plus grande circonspection, tant celles précédemment apportées par différents transfuges de l’APR devenus entre-temps opposants ont été depuis discréditées par le travail des juges Trévidic et Poux.

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Si le chef des services de renseignement extérieur du Rwanda, Patrick Karegeya (qui n’avait jamais affirmé par le passé détenir d’informations sur cet attentat), évoque l’affaire de manière superficielle, Faustin Kayumba Nyamwasa, ancien chef d’état major de l’armée rwandaise, s’appesantit longuement sur le drame. « J’étais en position de savoir qui est responsable de l’attaque, déclare-t-il à RFI. […] Et les Français, s’ils le souhaitaient, auraient pu venir me parler. Et même maintenant, […] je suis prêt à leur apporter toutes les preuves dont je dispose. »

Kayumba soupçonné

Le cofondateur du FPR tait pourtant certaines informations qui incitent à prendre son récit avec prudence. En novembre 2006, lorsque le juge Jean-Louis Bruguière a rédigé l’ordonnance de soit-communiqué dans laquelle il désignait Paul Kagamé comme le commanditaire de l’attentat, émettant neuf mandats d’arrêt contre divers personnalités officielless issues de l’APR ou du FPR (Front patriotique rwandais, la branche politique du mouvement), Faustin Kayumba Nyamwasa figurait en deuxième position sur la liste des Rwandais soupçonnés d’avoir trempé dans l’attentat. Il faut dire que l’ancien officier, alors ambassadeur du Rwanda en Inde, a été mentionné par la quasi-totalité des transfuges de l’APR sur lesquels le juge Bruguière s’appuyait pour étayer sa thèse.

Pendant la décennie 2000, il a été cité successivement comme étant « impliqué dans la préparation de l’attentat » par Sixbert Musangamfura, ancien responsable des services de renseignement rwandais, mais aussi par l’ancien rédacteur en chef du journal extrémiste hutu Kangura, Hassan Ngeze, ou encore par les principaux transfuges entendus dans la procédure Bruguière, de Aloys Ruyenzi à Abdul Ruzibiza en passant par Evariste Musoni (qui ira jusqu’à préciser : « Par contre, en ressortant [d’une réunion préparatoire à l’attentat, NDLR], j’ai vu le colonel Nyamwasa Kayumba prendre la parole et dire "qu’il n’y a pas d’autre façon de faire que de tirer sur son avion" ».)

Le jour où il sera entendu par le juge Trévidic, c’est d’abord au sujet des accusations pesant sur sa personne que Faustin Kayumba Nyamwasa devra s’expliquer.

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Son implication supposée est également mentionnée dans le rapport de Michael Hourigan (un enquêteur de l’ONU qui a brièvement enquêté sur l’attentat à la fin des années 1990) ou dans l’ordonnance du juge espagnol Andreu Merelles, dont le travail s’avère un décalque de l’ordonnance du juge Bruguière. Comme on le voit, le jour où il sera entendu par le juge Marc Trévidic, c’est d’abord au sujet des accusations lancées entre 2000 et 2006 contre sa personne que Faustin Kayumba Nyamwasa devra s’expliquer. Et dans la mesure où il les conteste, le résultat de son audition pourrait au contraire avoir tendance à démontrer le caractère fantaisiste des vagues successives d’accusations sur lesquelles s’est construite la thèse Bruguière.

La proposition de Trévidic

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Au micro de RFI, l’opposant rwandais ne fait pas davantage mention de la proposition qu’il a faite au juge Trévidic, il y a déjà de nombreux mois, d’être entendu sur procès-verbal. Réfugié en Afrique du Sud, il avait alors préféré passer par un intermédiaire rwandais pour informer le magistrat parisien qu’il avait des révélations à faire sur l’attentat et qu’il se tenait à sa disposition. Le magistrat lui avait alors fait répondre qu’il était prêt à l’entendre à Paris. Mais depuis lors, Kayumba Nyamwasa n’a pas donné signe de vie à la justice française. Il est vrai qu’il n’avait pas obtenu la garantie qu’il ressortirait libre du Palais de justice. Pour un homme accusé par de nombreux témoins d’être l’un des instigateurs du crime, le risque était grand de se voir placé sous mandat de dépôt.

Pour l’avocat belge Bernard Maingain, qui défend, avec le Français Lef Forster, les huit Rwandais encore mis en examen dans ce dossier, « on ne peut pas dire que le juge Trévidic ne s’intéresse pas aux témoignages de ces opposants. Il a d’ailleurs auditionné Théogène Rudasingwa qui porte des accusations similaires ». Mais ce dernier, comme l’a relevé Jeune Afrique, a été infiniment moins loquace devant le magistrat instructeur que dans ses déclarations aux médias. « D’ailleurs, je m’interroge sur ces personnes qui n’avaient rien à dire jusque là et qui pointent le doigt vers Paul Kagamé dès qu’ils deviennent opposants », ajoute l’avocat, selon qui « un témoin qui ne peut être entendu par le juge a la possibilité de communiquer par courrier les éléments de preuve qu’il détient ».

Dans sa longue interview à RFI, Faustin Kayumba Nyamwasa, le dernier témoin miracle en date d’une longue procession entamée en 2000, n’évoque aucun élément tangible à l’appui de ses dires. Kigali n’a pas souhaité réagir pour le moment.

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