Au Nord-Mali, les groupes armés touaregs et arabes font un pas vers l’unité
Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) et le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) ont publié, le 9 août, une déclaration commune. Le début de la réconciliation ?
Le 9 août, pendant que les équipes de campagne d’Ibrahim Boubacar Keïta et de Soumaïla Cissé jetaient leurs dernières forces dans la bataille électorale à Bamako, une parcelle de l’avenir du pays s’est jouée à un millier de kilomètre de là, à Nouakchott. Deux jours avant le second tour de l’élection présidentielle au Mali (remportée par Keïta), les trois principaux groupes armés actifs dans le nord du pays ont publié, depuis la capitale mauritanienne, leur première déclaration commune.
Dans ce document resté relativement confidentiel, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) – deux groupes à dominante touarègue – et le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) font état de leur unité retrouvée et de leur volonté de parler d’une seule voix lorsque les négociations avec le nouveau gouvernement malien débuteront dans quelques semaines. « Conscients (…) de l’impérieuse nécessité (…) d’unir les fils du peuple de l’Azawad (Songai, Touaregs, Arabes, Peuls) dans un même croisement pour préserver leur vie et leurs droits » et « convaincus que tout instant de discorde qui intervient entre les Azawadis est un cadeau offert sur un plateau d’argent aux ennemis de l’Azawad », ils affirment vouloir ouvrir « une nouvelle page de l’histoire de l’Azawad ».
Il n’est pas question d’indépendance du Nord-Mali dans ce document. Sur ce point, les avis divergent. Le MNLA continue (en coulisses) de défendre cette voie, mais les deux autres groupes sont plus mesurés. « L’indépendance, c’est un objectif à long terme, mais tout le monde nous dit qu’il ne faut pas en parler et qu’il faut d’abord viser l’autonomie », affirme Alghabass Ag Intalla, un des leaders du HCUA qui a participé aux discussions à Nouakchott. « Nous demandons une large autonomie », indique de son côté Mohamed Ramadan, du MAA, qui se trouve également en Mauritanie.
La déclaration commune reste d’ailleurs très vague sur les revendications politiques de ces trois groupes armés qui ont vu le jour ces deux dernières années (2011 pour le MNLA, 2012 pour le MAA, 2013 pour le HCUA). « Il n’y a rien de concret, et c’est normal : on n’en est pas encore là, explique un fin connaisseur du dossier qui a suivi de près les négociations. Avant d’aborder le fond du problème, il fallait régler les différends qui opposent essentiellement le MNLA et le MAA. C’est pour ça que le président mauritanien les a fait venir à Nouakchott. » Un acteur des négociations l’admet : « Aujourd’hui, le principal danger qui nous guette, ce sont les guerres internes. »
Guerre interne
Voilà plus de cinq mois que le MAA et le MNLA s’affrontent dans le désert, plus particulièrement dans la région administrative de Tombouctou. Escarmouches sporadiques, mais violentes. « C’est un conflit de représentativité : les Arabes ne reconnaissent pas aux Touaregs le droit de représenter toutes les communautés de l’Azawad, explique notre expert. C’est aussi un conflit de personnes. Mais c’est surtout un conflit d’intérêts. »
Le début des hostilités entre ces deux groupes remonte à la fin du mois de février. En pleine offensive française, le MAA avait attaqué des positions tenues par le MNLA dans la région d’In-Khalil, à la frontière avec l’Algérie. L’armée française avait riposté en bombardant la zone (le MNLA était à l’époque un allié de la France dans la traque aux jihadistes et la quête aux otages). Puis des hommes du MNLA avaient pillé les biens de familles de commerçants arabes qui, ayant fui les combats dans la région de Tombouctou, prenaient la direction de l’Algérie. Depuis, le MAA réclame réparation à coups de fusils. Et le MNLA riposte. À coups de fusils lui aussi – de nombreux affrontements ont eu lieu ces derniers mois, notamment dans la région de Ber, une enclave touarègue en pays arabe située près de Tombouctou. Mais aussi à coups de communiqués. Le groupe armé touareg accuse notamment le mouvement arabe d’avoir des accointances avec le Mouvement pour l’unité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), qui a tenu la ville de Gao pendant dix mois. « Il n’y a là aucune preuve », rétorque un agent des renseignements malien. Comme le MNLA, que le Mujao avait combattu à Gao, le MAA avait été chassé de Tombouctou lorsqu’Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) tenait la ville.
« Ceux qui ont été pillés doivent être dédommagés », insiste Mohamed Ramadan. Il s’agit de la première étape vers l’unité, ajoute-t-il. Pour ce faire, une commission tripartite a été mise en place à Nouakchott. Elle devra évaluer les dégâts et comptabiliser le montant des biens pillés. Première séance prévue sur le terrain le 20 août.
Une plate-forme politique doit également être mise sur pied dans les semaines à venir. Et l’idée de mettre en commun les forces armées des trois entités est avancée. Le HCUA et le MNLA l’ont déjà mise en œuvre à Kidal. En attendant, ce 15 août, une partie des Arabes du Nord-Mali se retrouveront en congrès à Nougnoza, une base du MAA située à la frontière avec l’Algérie. Un congrès des Touaregs devrait également se tenir à Kidal très prochainement. « Le temps presse, explique notre expert. Dans deux mois, les négociations avec l’Etat malien débuteront. Pour les groupes rebelles, il est impératif de s’unir s’ils veulent obtenir gain de cause. »
Gain de cause ou appât du gain ? « L’autonomie est une de leurs revendications, l’argent aussi », estime un diplomate européen en poste à Bamako, rejoint dans cette analyse par un homologue mauritanien. « C’est toujours pareil dans ce genre de processus, c’est une histoire de gros sous, indique le premier. Lorsque les négociations vont débuter, il sera question de statut, d’amnistie, de désarmement, mais surtout d’argent. Il y a de grosses sommes en jeu. Il n’est pas impossible que ces groupes tentent d’obtenir réparation dans le cadre de ces discussions. » « Les hommes du MAA sont avant tout des commerçants qui défendent leurs intérêts économiques », poursuit le second.
Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Il a fallu une dizaine de jours pour que les discussions aboutissent à Nouakchott. « Cela a été dur », admet un négociateur. Et les pourparlers, sur le terrain, risquent d’être plus tendus encore.
Rémi Carayol, envoyé spécial à Bamako
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