Côte d’Ivoire : blogueurs contre brouteurs !
À l’occasion des premières assises de la sécurité informatique en Côte d’Ivoire, qui se sont tenues du 23 au 25 novembre à Abidjan, les acteurs du web ivoirien, y compris les réseaux de blogueurs, se sont penchés sur les solutions à apporter à la cybercriminalité. Escroqueries toujours aussi nombreuses, techniques d’arnaques de plus en plus sophistiquées, dérives mafieuses… Face à la multiplication des risques, les blogueurs peuvent-ils vraiment contribuer à faire tomber les « brouteurs » de leur piédestal ?
Mis à jour le 25/11 à 10h46.
Plus de trois milliards de F CFA. Selon la police scientifique ivoirienne, c’est le montant total des préjudices financiers dus à la cybercriminalité en Côte d’Ivoire rien que pour l’année 2012. Une somme colossale qui place, dans l’imaginaire collectif, le web ivoirien comme un véritable "paradis numérique" pour les escrocs en tout genre, expression reprise dans un rapport de la police du début de 2013. En Afrique de l’Ouest, où le Nigeria a longtemps fait figure de référence dans le domaine, c’est Abidjan qui a aujourd’hui plus mauvaise e-réputation, les autorités policières évoquant un la nécessité d’un "quartier général pour porter atteinte aux réseaux internationaux".
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"Nous avons souffert d’une surexposition médiatique due à la crise socio-politique que nous avons vécue et cela a donné une image catastrophique du web ivoirien", explique Edith Brou, blogueuse. "Mais nous n’avons pas inventé la cybercriminalité et nous sommes bien loin de certains pays d’Europe de l’Est ou même des États-Unis", tempère-t-elle. En Côte d’Ivoire, on préfère en effet les arnaques aux particuliers à celles de grande envergure sur des institutions bancaires et étatiques. Et c’est donc logiquement les brouteurs, et non les hackers, qui font la loi.
Gare aux sentiments…
Pour contrer le phénomène, qui apparaît de plus en plus comme un réseau de criminalité organisé, l’État ivoirien a pourtant lancé, au sortir de la crise postélectorale, une unité spéciale : la Plateforme de lutte contre la cybercriminalité (PLCC), dirigée par Stéphane Konan, qui collabore avec son homologue française, l’Office centrale de lutte contre la criminalité liée aux techniques de l’information et de la communication. Division de la police scientifique, la PLCC, composé de personnels civil, chargé des aspects techniques, et policier, pour l’investigation, peut se targuer d’un bilan honorable. En 2012, selon un rapport que Jeune Afrique a consulté, elle a ainsi reçu de la population 1 846 mails d’alerte et a enregistré 692 plaintes, de Côte d’Ivoire, de France ou encore de Belgique et du Canada, la majorité d’entre elles (environ 40%) portant sur une "arnaque au sentiment".
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Bilan : 69 arrestations suite à des enquêtes menées auprès des fournisseurs d’accès internet, des sociétés de transfert d’argent ou encore des opérateurs de téléphonie mobile, pour 51 personnes déférées au parquet ivoirien. Et l’année 2013 risque d’être aussi chargée. Rien que pour le premier semestre, les préjudices financiers ont presque atteint la somme de 1,9 milliards de francs CFA dont plus de 500 millions pour les seules arnaques aux sentiments. "Des efforts ont été faits par les autorités dirigeantes, mais les effectifs et les moyens mis à disposition restent très insuffisants vu les enjeux de la lutte", concède Vladimir Aman, cybercriminologue à la PLCC.
Empêcher "une nouvelle génération de cybercriminels"
Si les autorités ivoiriennes ont pris conscience du problème, en adoptant le 14 mai 2013 une loi condamnant les cybercriminels à une peine d’emprisonnement de 1 à 20 ans avec une amende de 500 000 à 100 millions de F CFA, les brouteurs ne semblent, au moins pour le moment, pas outrageusement ébranlés. "Nous pouvons dire que la volonté y est, reste à la mettre en application de façon ferme", explique Vladimir Konan. "L’inefficacité actuelle des mesures prises est due à une réflexion inversée du système", analyse pour sa part Edith Brou. "Il est nécessaire de sanctionner mais il est aussi important de créer les conditions afin qu’une nouvelle génération de cybercriminels ne naissent pas".
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Et c’est à ce niveau que les blogueurs entrent en piste. La communauté ivoirienne du web collabore avec la police scientifique et le CI-CERT (Côte d’Ivoire – Computer Emergency Response), qui offre une assistance concernant les problèmes ayant trait à la sécurité des systèmes d’information. Mais elle tente, surtout, d’engager une action pédagogique à travers des formations, des concours, des conférences… Elle a organisé les premières assises de la sécurité informatique ivoirienne (ASII), du 23 au 25 novembre, à Abidjan. L’objectif de l’événement, expliqué par le maire du web ivoirien, Emmanuel Assouan : "regrouper plusieurs experts en sécurité informatique [afin de] procéder à un état des lieux, enquêter sur les acteurs de la cybercriminalité, découvrir des raisons qui expliquent son expansion, et enfin réfléchir à des solutions idoines".
Vaste programme pour une réforme qu’Edith Brou espère globale. En commençant d’abord par l’école, et en y introduisant l’utilisation des technologies de l’information et de la communication "pour en montrer les bons et les mauvais usages", confie-t-elle. Et de conclure : "C’est une chimère de croire qu’on peut tuer la criminalité dans un pays par le contrôle. Nous devons créer une société avec des chances égales et un niveau de vie acceptable pour que les jeunes ne voient pas en l’ordinateur un moyen de se faire de l’argent rapidement". Blogueurs contre brouteurs, le match ne fait que commencer.
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Par Mathieu OLIVIER
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