RDC : opération coup de poing contre les « kuluna » de Kinshasa

Pour mettre un terme aux agissements des groupes de délinquants armés, appelés « kuluna », Kinshasa a opté pour la manière forte en lançant une opération coup de poing. Au risque de commettre des bavures et de créer la polémique en RDC.

Un groupe de Kuluna à Kinshasa en 2012. © AFP

Un groupe de Kuluna à Kinshasa en 2012. © AFP

Publié le 29 novembre 2013 Lecture : 4 minutes.

15 novembre. La police de Kinshasa lance l’opération "Likofi". Coup de poing, en lingala. La cible sont de jeunes délinquants surnommés "kuluna", reconnaissables à leurs pantalons portés à mi-fesses, leurs tatouages ou leurs locks sur la tête. En bande et souvent armés de machettes, ils dépouillent les passants de leur argent, sac, téléphone, bijoux… "Une nuit, ils m’ont pris tout mon argent, 80 dollars, se souvient Marc*. Heureusement, un militaire est arrivé, et ils ont fui." Et résister mène à risquer sa vie : certaines victimes ont été grièvement blessées ou même tuées.

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Il n’est pas rare que des kuluna – parmi lesquels se trouvent même des fils et filles de militaires et de policiers – arrêtés à plusieurs reprises soient parfois libérés au bout de quelques jours. Pour la plus grande frustration et colère des quelque 10 millions de Kinois, qui pour beaucoup survivent dans la misère. Alors, pour éviter les agressions, beaucoup choisissent de se terrer chez eux le soir. "Et quand il pleut, n’osez même pas sortir ! Comme il y a peu de circulation, que les gens ne sortent pas beaucoup, les kuluna savent que vous n’aurez pas d’aide…", prévient Olivier, un chauffeur de taxi.

D’année en année, "ce phénomène a pris de l’ampleur, c’est comme s’il n’y avait pas d’État", confesse le colonel de police Pierre Mwana Mputu, chef de la cellule média de l’opération Likofi. C’est pourquoi, pendant le conseil supérieur de défense du 26 octobre à Kinshasa et du 6 novembre à Lubumbashi (Sud-Est), le président Joseph Kabila a demandé à la police "d’éradiquer ce phénomène", explique le colonel. Et la population est mise à contribution : des numéros de téléphone ont été mis en service pour inciter les citoyens à dénoncer les délinquants.

Le président Joseph Kabila a demandé à la police "d’éradiquer ce phénomène"

Résultat, les troubles-faits changent de look pour se fondre dans la masse. Ils tentent de cacher leurs tatouages, ont rasé leurs locks, portent leurs pantalons à la taille… Certains ont traversé le fleuve Congo pour se réfugier à Brazzaville, capitale du Congo voisin. Selon le colonel Mwana Mputu, "45 kuluna ont été renvoyés à Kinshasa par la police des Brazzaville" dans le cadre d’un accord régional entre les polices d’Afrique centrale. En revanche, d’autres sont parvenus à s’exiler dans des provinces frontalières de Kinshasa : le Bandundu et le Bas-Congo.

La chaîne publique diffuse en boucle les images de policiers arrêtant des dizaines de kuluna présumés. Elle montre aussi comment le colonel Célestin Kanyama, commandant de l’opération Likofi, fait passer le message de fermeté au sein même des forces de sécurité lors d’une tournée dans six camps policiers et militaires de Kinshasa : "Écoutez-moi bien, (…) si votre enfant est arrêté, le traitement sera identique à celui infligé aux civils. Je parle d’un traitement judiciaire et juridique ! Et en plus de ça, la famille sera expulsée du camp et traduite devant la justice".

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Exécutions extrajudiciaires ?

L’opération, prévue jusqu’au 15 février, soulage mais crée la polémique. "’Au moins une vingtaine de personnes, dont 12 enfants, auraient été tuées", se sont inquiétées mercredi l’Unicef et la Mission de l’ONU (Monusco), qui demandent une enquête. Le Réseau national des ONG des droits de l’homme (Renadhoc) – qui veut une commission d’enquête indépendante – estime que "plusieurs dizaines" de kuluna présumés ont été victimes de "policiers et autres agents de sécurité", qui les ont "parfois (exécutés) en public".

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Marc affirme avoir été témoin d’une telle exécution extrajudiciaire. "Un jeune a été dénoncé par des gens puis arrêté. La police l’a ramené chez lui, on a appelé ses parents. "Puis, quand ils sont sortis [de la maison], on l’a abattu. La police a ensuite embarqué son corps." Une source proche des milieux militaire et policier rapporte pour sa part que de nombreux jeunes "embarqués dans des camions ont été assassinés et jetés dans le fleuve Congo". Le colonel Mwana Mputu a fermement démenti toute exécution, "la main sur le cœur".

"S’il y a eu dérapage, il y aura des sanctions, a-t-il insisté. Dans notre cellule de crise, il y a des magistrats militaires qui ne sont pas là pour se tourner les pouces ! S’il y a bavure, ils interpelleront les responsables. Mais tant qu’il n’y en n’a pas, n’en parlons pas !"

Excédés par les kuluna, certains Congolais ne s’émeuvent pas que de tels agissements puissent avoir lieu. "La bible dit : ‘qui tue par l’épée mourra par l’épée’. Je suis désolée pour les familles, mais les autorités doivent arrêter le phénomène", lâche Marie. "Qu’on exécute les chefs des kuluna en public" s’emporte Glody, convaincu qu’il faut faire des exemples pour dissuader les suiveurs. Les droits de l’homme ? "Et quand les kuluna nous tuaient, où étaient les organisations des droits de l’homme?", rétorque Marc.

*Les prénoms ont été changés

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Habibou Bangré, à Kinshasa
 

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