Algérie : Bouteflika, seul maître à bord ?
Par un remaniement gouvernemental et différentes nominations au sein de son équipe de campagne, le président algérien Abdelaziz Bouteflika veut démontrer qu’il reste bien aux commandes du pays. En dépit de ses problèmes de santé.
"Bouteflika met son clignotant à gauche, mais tourne à droite : il a toujours procédé ainsi…". Cet ancien ministre du chef de l’État, proche parmi les proches depuis plus de trente ans avant de s’éloigner quand il a compris qu’un 4e mandat se profilait à l’horizon, résume assez bien ce qui se passe en Algérie depuis maintenant plusieurs mois. Après des semaines d’attente, de rumeurs ou de silences, et alors qu’on le disait manipulé voire contraint par son entourage, dont son frère Saïd, de poursuivre son bail à la tête d’El-Mouradia, (la présidence, NDLR), mais aussi sous la menace du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) du général Mohamed Médiène, il semble bien qu’Abdelaziz Bouteflika demeure le seul décisionnaire en Algérie. À preuve, le dernier remaniement du gouvernement mais aussi la composition de son staff de campagne.
Il aura fallu attendre le 13 mars, soit dix jours après l’officialisation de sa candidature, pour y voir enfin clair. D’abord, avec la démission du Premier ministre Abdelmalek Sellal, remplacé par Youcef Yousfi, l’ex-ministre de l’Énergie et des Mines. Sellal prend la direction de la campagne électorale du président, comme en 2004 et en 2009. Une nomination attendue, même si l’intéressé lui-même laissait planer le doute, nous expliquant fin février qu’il ne "savait pas encore ce que le président avait décidé", mais qu’il "se tenait à sa disposition, quel que soit son choix".
Retours surprenants
Plus surprenants sont les grands retours d’Abdelaziz Belkhadem et, surtout, d’Ahmed Ouyahia. Deux anciens Premiers ministres et épines dorsales des derniers mandats présidentiels, limogés par "Boutef", mais aussi deux dirigeants écartés sans beaucoup de ménagement de la direction des plus importantes formations politiques du pays, le Front de libération nationale (FLN) et le Rassemblement national démocratique (RND), membres de l’alliance présidentielle. Tous deux obtiennent le rang de ministre d’État, Belkhadem étant nommé conseiller spécial et Ahmed Ouyahia… directeur de cabinet du chef de l’État. Un poste jadis hautement stratégique en Algérie, qui fut occupé, par exemple, par le très influent général Larbi Belkheir (jusqu’en 2006).
Ouyahia n’est pas homme à être dirigé par des cabinets de l’ombre et sera désormais la courroie officielle de transmission entre le président et le reste des institutions.
En nommant Ouyahia, qui a longtemps fait figure de successeur potentiel mais dont les relations avec le "raïs" n’ont jamais été un long fleuve tranquille, Bouteflika entend démontrer que, contrairement aux rumeurs, c’est toujours lui qui décide. Une pierre dans le jardin de son frère Saïd, présenté par certains comme le président-bis : Ouyahia n’est pas homme à être dirigé par des cabinets de l’ombre et sera désormais la courroie officielle de transmission entre le président et le reste des institutions. Un rôle occupé de manière informelle jusqu’à récemment soit par son secrétaire particulier Mohamed Roughab, soit par Saïd lui-même, depuis l’AVC de son frère en avril 2013.
"Organisation normale"
"On revient enfin à une organisation normale, avec des rôles bien définis, des personnes-ressources identifiées et des prérogatives claires", explique un haut cadre d’El Mouradia. Trois Premiers ministres aux avant-postes pour entamer la campagne électorale, une équipe gouvernementale en appui, dont les deux autres ténors de l’alliance présidentielle, Amara Benyounes (président du Mouvement populaire algérien, MPA) et Amar Ghoul (président du parti islamiste TAJ), une cohorte de supplétifs en réserve : Bouteflika a sorti les grands moyens. Il en faudra, car ce n’est évidemment pas lui qui sillonnera le pays ou défendra son bilan.
L’enjeu n’est cependant pas sa réélection, qui ne fait guère de doute. Il se situe, à court terme, dans le taux de participation au scrutin et, surtout, à plus long terme, au-delà du 17 avril. En l’absence du passage de témoin attendu entre la génération d’Abdelaziz Bouteflika, celle de l’indépendance, et les suivantes, le pouvoir va devoir démontrer, résultats à l’appui, qu’il a eu raison de vouloir prolonger l’aventure. Et donc, répondre aux nombreuses aspirations des Algériens : profondes réformes, ouverture, emploi, libéralisation de l’économie, modernisation du pays, social, etc. Quant à l’après-Bouteflika, il faudra bien un jour se pencher dessus…
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Marwane Ben Yahmed
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