Niger – États-Unis : une coopération militaire soutenue
Cette semaine Laurent Touchard* revient sur plusieurs décennies de coopération entre le Niger et les États-Unis.
*Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l’histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l’université Johns-Hopkins, aux États-Unis.
Les débuts de l’aide militaire américaine au Niger en matière de sécurité datent d’un accord du 14 juin 1962. En vertu de celui-ci, Washington fournit des équipements et des services à Niamey afin "d’aider à assurer sa sécurité et son indépendance". Dix-huit ans plus tard, le 9 juin 1980, un autre accord est signé. Il donne le droit au Niger d’accéder au programme International Military Education an Training (Imet). L’Imet permet le financement des études et la formation de militaires étrangers, y compris dans les centres et académies aux États-Unis. À l’instar d’autres pays du continent africain, les membres des Forces de défense et de sécurité (FDS) nigériennes en bénéficient tout au long des années 1990. Aide à laquelle viennent s’ajouter d’autres projets d’assistance militaire qui se mettent en place dans le courant des années 2000. L’intérêt de Washington pour l’Afrique se réveille alors.
>> Lire aussi : les défis de la politique de défense du Niger
Global war on terrorism
Discuté avec le Mali, la Mauritanie, le Tchad et le Niger, en octobre 2002, la Pan Sahel Initiative (PSI) est mise sur pied en novembre 2002. Un an après les attentats de New York, la PSI s’inscrit dans la logique de guerre totale contre le terrorisme voulue par l’administration Bush. Elle implique un vaste spectre d’organismes gouvernementaux américains. Néanmoins, les objectifs sont modestes. Avec un budget d’environ 8 millions de dollars, est prévu d’organiser une compagnie antiterroriste dans chacun des pays concernés tandis que des unités régulières et paramilitaires sont entraînées à l’utilisation des armes légères, à la tactique des petites unités, aux transmissions, à la navigation dans le désert… La PSI comprend également un volet opérationnel, via l’Operation Enduring Freddom – Trans Sahara (OEF-TS), contre Al-Qaïda en Afrique. Volet qui concerne de fait le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) qui, depuis 2003, se fait de plus en plus remarquer dans le Sahara.
Si l’implication américaine est discrète, elle n’en est pas moins réelle. Un violent affrontement, le 9 mars 2004, l’illustre. Des jihadistes du GSPC se heurtent à des militaires nigériens et tchadiens, dans la zone frontalière entre les deux pays. Au cours de la bataille, les terrobandits perdent au moins 43 hommes. Nigériens et Tchadiens bénéficient de l’appui américain, en particulier d’éléments du 10e Special Force Group (Airborne) et d’un avion P3 Orion qui effectue des missions ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance) à la manière des Atlantique 2 français dont nous avons parlé précédemment. L’Orion opère alors depuis… l’Algérie ! Plus précisément, à partir de la base de Tamanrasset.
>> Lire aussi : les coulisses de la défense africaine (février-mars 2014)
Changement de politique
En 2005, la Trans-Saharan Couter Terrorism Initiative (TSCTI) succède à la PSI. La liste des pays soutenus s’allonge. Évidemment, le Niger y figure toujours ; l’aide financière et l’assistance militaire de Washington ne s’interrompt donc pas, bien au contraire. En 2006, les prérogatives de la TSCTI sont transférées au Trans-Sahara Counterterrorism Partnership (TSCTP). Le TSCTP ne succède pas à la TSCTI. Il s’agit d’une " extension" de cette dernière, concernant davantage de pays : l’Algérie, le Mali, le Maroc, la Mauritanie, le Nigeria, le Sénégal, la Tunisie et toujours le Niger. Le Burkina Faso est intégré en 2009. L’OEF-TS continue d’exister, mais est renommée par la suite Operation Juniper Shield dont la gestion et l’exécution reviennent à l’Africom. Schématiquement, le TSCTI/TSCTP représente donc le programme dans sa globalité tandis que l’OEF-TS en constitue le volet opérationnel spécifiquement antiterroriste.
L’Africom, c’est cette autre expression de l’évolution de la politique sécuritaire américaine en Afrique. Commandement régional créé le 7 février 2007, totalement opérationnel en octobre 2008, il englobe l’essentiel du continent (à l’exception de l’Égypte). Continent qui auparavant était morcelé en trois zones de responsabilité, chacune affectée à un commandement (Eucom, Centcom et Pacom). Washington se dote ainsi d’une structure militaire panafricaine, dans la logique du concept de " soft power" . Moins agressive, cette politique a pour ambition de contraster avec celle menée en Afghanistan et en Irak. Cette structure se distingue donc, a priori, des autres commandements de par une caractéristique très particulière : son fonctionnement et ses missions se veulent teintés de l’esprit " approche globale" (que nous avons explicitée dans un billet précédent). Malgré tout, les États africains ne sont pas franchement enthousiastes de cette création.
En 2007, l’ennemi principal visé par toutes ces mesures s’émancipe. En effet, le GSPC devient Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Il s’efforce alors de multiplier les actions " visibles" , pour exister dans la région et pour prouver que le mouvement est digne du " label" Al-Qaïda. Le Niger n’est pas épargné tandis qu’une nouvelle rébellion nomade (la précédente date de 1990) éclate. Dans ce contexte, les activités criminelles se développent. La difficulté à contrôler les vastes étendues du désert et d’interminables frontières favorisent malheureusement les infiltrations de terrobandits. L’augmentation du budget du TSCTP, cette même année 2007, traduit bien que Washington a conscience des menaces et des risques qu’ils font peser sur la stabilité. Ainsi, plus de 168 millions de dollars (dollars constants 2014) sont octroyés à l’ensemble des services et agences impliqués dans le programme.
Mener une politique internationale dite des "3D" pour effacer l’image héritée des années Bush.
En novembre 2008, Barack Obama est élu président des États-Unis. Il choisit Hillary Clinton comme Secrétaire d’État. Celle-ci plaide en faveur du principe de la "smart power" que l’on pourrait traduire par "puissance subtile". L’idée est simple : s’appuyer sur l’ensemble des moyens dont disposent les États-Unis afin de mener une politique internationale dite des "3D" : diplomatie, développement et défense. Idée simple, mais enjeu de taille : il s’agit d’effacer l’image qui colle désormais à l’Amérique, héritée des "années Bush". Une Amérique brutale, hégémonique, impérialiste… Et de remplacer cette image par la conviction que le pays de la Liberté est un partenaire respectueux des droits, des cultures. Quant à l’ensemble des moyens dont disposent les Etats-Unis, ils relèvent de la " puissance douce" ou de la "puissance dure". Le principe n’est pas nouveau : le président Theodore Roosevelt en est à l’origine avec sa politique étrangère du "gros bâton" (et, implicitement, "de la carotte" ). Il est ensuite cultivé tout au long de la Guerre froide, avec des fortunes diverses en Asie du Sud-est (au Laos, en Thaïlande) et surtout, en Amérique Centrale et en Amérique du Sud tout au long des années 1970 et 1980.
>> Lire aussi : Maintien de la paix en Centrafrique, Mali, RDC… dernières nouvelles du front
En dépit de ce changement de "mentalité" , des observateurs soulignent qu’au moins jusqu’en 2010-2011, le TSCTI/TSCTP reste par trop focalisé sur la dimension militaire. Les questions de développement économique, d’éducation, de santé sont mal considérées. Il faut attendre 2012 pour que les choses s’équilibrent véritablement et que l’on puisse davantage parler d’approche globale dans le cadre d’une diplomatie de "smart power". Les objectifs du TSCTP sont résumés dans un document officiel américain :
- Renforcer les capacités antiterroristes régionales
- Améliorer la coopération entre les forces de sécurité du Sahel
- Promouvoir les régimes démocratiques
- Discréditer l’idéologie terroriste
- Renforcer les liens militaires avec les États-Unis.
Mais là encore, tout comme pour les programmes européens, le manque de coopération entre les organismes gouvernementaux impliqués dans les projets conjugués à un défaut de concertation nuisent à l’efficacité générale.
Autre programme qui bénéficie au Niger comme à d’autres pays d’Afrique, l’African Contingency Operations Training and Assistance Program (Acota). L’origine de celui-ci remonte à l’ère Clinton. Son administration souhaite alors créer une force d’action rapide africaine qu’organiseraient et entraîneraient les États-Unis. Le continent ne l’accueille pas favorablement. Afin de préserver les susceptibilités souverainistes ("syndrome du colonialisme", par ailleurs fort compréhensible), le projet est maintenu mais sous une forme moins ambitieuse et surtout, plus anodine, désigné African Crisis Response Initiative (Acri). En 2002, l’Acri devient l’Acota. Il encadre l’entraînement des militaires africains aux opérations de maintien de la paix. En 2004, l’Acota dépend de la Global Peace Operations Initiative (GPOI). La GPOI reste centrée sur la préparation aux missions de maintien de la paix. Depuis leur création, l’Acri puis l’Acota ont permis d’instruire 154 500 hommes de 20 nations africaines. Au Niger, ce sont ainsi deux bataillons qui en bénéficient.
Le Niger à défaut du Mali
Le 19 août 2009, les dérives autocratiques du président Tandja conduisent les États-Unis à stopper temporairement tous les programmes d’assistance militaire au profit du Niger. Toutefois, cette parenthèse est de courte durée. À partir du 25 février 2010, quelques jours seulement après le coup d’État qui voit la chute du président Tandja (le 18 février !), des discussions sont discrètement entamées à propos d’une éventuelle implantation américaine dans le pays. À l’instar de Paris, la Maison Blanche et le département d’État cherchent à installer une base au cœur du Sahel. Le refus du Mali conduit naturellement Washington – là aussi, tout comme Paris – à jouer la carte du Niger.
Les soldats occidentaux déployés à l’étranger suscitent un rejet croissant des sociétés locales à mesure qu’augmente la durée de leur présence.
Néanmoins, il faut encore attendre plusieurs mois avant que ce projet n’aboutisse. Certes, en 2012, les États-Unis sont autorisés à utiliser Agadez pour le ravitaillement de leurs Pilatus PC-12. Désignés U-28A dans l’Armée de l’Air américaine, ils mènent des missions ISR au-dessus du Sahel depuis 2007. Au milieu de l’immensité de la région, disposer d’un point d’escale à Agadez est appréciable. Reste que l’Afrique est globalement hostile à une ostensible présence américaine. Les difficultés de Washington pour trouver où installer sur le continent le quartier-général de l’Africom en témoignent. En dehors du Liberia et de rumeurs infondées quant à la Tunisie, personne n’en veut. Il est vrai qu’aux États-Unis même, des voix s’élèvent contre cette installation. À commencer par l’ex-ambassadeur Bob Houdek, pour qui, un complexe comme le QG de l’Africom, avec toutes les contraintes en matière de logement et de sécurité des personnels, ne provoqueraient l’impression d’un "oasis colonial" américain. Analyse qui rejoint celle des travaux de David Kilcullen, spécialiste de la problématique de la contre-insurrection. Selon ses travaux, les soldats occidentaux déployés à l’étranger suscitent un rejet croissant des sociétés traditionnelles locales à mesure qu’augmente la durée de la dite-présence.
"Empreinte légère" mais présence d’importance
Avec le déclenchement de l’opération Serval, les troupes françaises déployées au sol ont un besoin crucial en renseignements tactiques. Pour éradiquer progressivement les terrobandits qui occupaient le nord du Mali, elles doivent d’abord les localiser précisément. Dans un premier temps, Washington semble déployer au moins un drone MQ-1 Predator. Lui succèdent deux MQ-9 Reaper. L’US Air Force compte alors environ 200 hommes au Niger (auxquels s’ajoutent évidemment les personnels de la CIA en poste à Niamey et susceptibles de rayonner dans l’ensemble du pays). Parmi eux, des éléments de sécurité, armés, assurent la protection des hommes et du matériel.
La Maison Blanche confirme leur présence le 22 février 2013, même si elle ne reconnaît qu’une centaine d’hommes. Ils opèrent à la fois en appui des Français, mais aussi pour les besoins propres des autorités américaines. Par rapport aux avions U-28A, les drones Reaper ont de nombreux avantages. Tout d’abord, puisqu’il s’agit d’aéronefs pilotés à distance (RPV), si l’un d’eux vient à s’écraser, aucun équipage ne risque d’être tué ou "pire", capturé par des jihadistes. Ensuite, les Reaper disposent d’une endurance beaucoup plus grande que le Pilatus, tout en emportant des capteurs plus performants. Revers de la médaille, les unités de drones nécessitent des effectifs plus importants pour leur mise en oeuvre. Ainsi, alors qu’une petite trentaine d’hommes – pilotes compris – suffit à faire voler quelques U-28A, il en faut jusqu’à dix fois plus pour une unité de Predator… En outre, contrairement à ce qui prévaut avec les Pilatus, le personnel des unités de drones ne se compose pas de la même proportion de "contractors ", ces personnels civils sous contrats, d’emploi plus souple à l’étranger…
Le 9 avril, un Reaper s’écrase dans le nord du Mali, suite à une panne. Les missions ne s’interrompent pas pour autant. À ce moment-là, Washington prévoit d’envoyer environ 300 hommes au Niger. Fin 2013, certaines sources évoquent le chiffre d’environ 1 000 Américains en majeure partie sur la Base Aérienne 101 (BA 101). Si les Reaper ne sont destinés aux opérations directement offensives, en septembre 2013, Mohamed Bazoum, ministre des Affaires étrangères explique que son pays apprécierait des drones armés… Déclaration qui ouvre des portes à l’administration et aux militaires de Washington. D’autant que les drones armés sont des accessoires majeurs de la stratégie de "l’empreinte légère". Manière de mener la guerre avec une efficacité optimale sans s’impliquer massivement est dans la logique de la "smart power".
Si les matériels ont évolué, que la technologie a pris le pas sur l’humain, les Reaper du Sahel ne sont finalement pas si éloignés des avions américains de la Civil Air Transport (CAT) qui soutenaient les Français au Laos dans le cadre de l’opération Squaw à partir de mai 1953, puis avec Air America toujours au Laos de 1954 à 1974. L’on songera également aux missions au-dessus du Tibet, de la Chine communiste, au-dessus du Nicaragua pour livrer des armes aux Contras… La stratégie de "l’empreinte légère" est nouvelle, mais les États-Unis n’ont pas manqué de l’expérimenter à maintes reprises aux quatre coins du monde… À propos de cette "nouvelle mode", nous recommandons la lecture de l’excellent travail de Maya Kandel.
Outre les RPV sur la BA 101, les Américains contribuent de concert avec la France au renforcement du potentiel des FDS. En juillet 2013 sont fournis 2 Cessna 208 Grand Caravan, d’une valeur de 11 millions de dollars (incluant la formation des pilotes, l’entretien des appareils). Dix Toyota sont livrés dans le même temps, précédant un lot de camions citernes (carburant et eau), valant au total 4,2 millions de dollars. Ces camions améliorent sensiblement les capacités logistiques des FDS. Ils permettent d’assurer le ravitaillement des patrouilles motorisées loin des casernes, autorisant ainsi des raids beaucoup plus longs. Un prochain billet présentera en détails les matériels et l’organisation des FDS.
>> Lire aussi : les FDS et la démocratie
À l’été 2013, l’ambassadrice des États-Unis au Niger, Bisa Williams, annonce la livraison d’autres équipements afin d’aider les FDS à accomplir leurs missions, en particulier au sein de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali). En effet, un bataillon nigérien de 850 hommes est alors sur le point d’intégrer le dispositif international. Enfin, l’exercice Flintlock 2014 commence le 19 février. Prévu jusqu’au 9 mars, il se déroule pour l’essentiel au Niger dans les zones d’Agadez, de Diffa et de Tahoua. Y participent plus de 1 000 hommes de 18 pays d’Afrique et d’Europe (dont la France et les Pays-Bas), aux côtés des États-Unis.
À l’évidence, l’entente est excellente entre Niamey et Washington. Bonne entente que facilite paradoxalement la crispation discrète des relations avec Paris : dossier Areva, souvenir mécontent de l’intervention française en Libye… De fait, la France cristallise un certain mécontentement qu’augmente sa présence militaire non négligeable, "détournant" ainsi l’attention des Américains.
_________
>> Retrouver tous les articles du blog défense de Laurent Touchard sur J.A.
>> Pour en savoir plus : consulter le blog "CONOPS" de Laurent Touchard
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Maroc-Algérie : que contiennent les archives sur la frontière promises par Macron ?
- La justice sénégalaise fait reporter l’inhumation de Mamadou Moustapha Ba, évoquan...
- Une « nouvelle conception de l’autorité » : Mohamed Mhidia, un wali providentiel à...
- Les sextapes de Bello font le buzz au-delà de la Guinée équatoriale
- Sextapes et argent public : les Obiang pris dans l’ouragan Bello