Côte d’Ivoire – FPI : paroles d’anciens exilés
Ils ont été ministres ou conseillers spéciaux de Laurent Gbagbo. Tous ont quitté la Côte d’Ivoire après son arrestation, le 11 avril 2011. De retour à Abidjan, quatre anciens exilés membres du Front populaire ivoirien (FPI) ont accepté de raconter leur histoire, trois ans après la crise postélectorale.
Voho Sahi, rentré le 14 février 2014
Nous sommes le 14 avril 2011. Ministre de la Culture du gouvernement de Gilbert Marie N’gbo Aké, Voho Sahi décide de quitter la Côte d’Ivoire. "Après l’arrestation de Laurent Gbagbo (le 11 avril), certains ont choisi de rejoindre le Premier ministre et d’autres membres du gouvernement à l’hôtel de la Pergola qui était sous la protection de l’Onuci. J’ai préféré partir", explique-t-il. Réfugié dans le quartier Riviera III, Voho Sahi quitte la capitale économique sur une pirogue par la lagune et rejoint Grand-Bassam. Un ami viendra le chercher pour l’accompagner au Ghana, puis au Togo. Il y séjournera jusqu’au 14 février 2014.
Voho Sahi au siège de sa fondation, le 9 mai 2014. Crédits : Emilie Regnier pour J.A.
Militant du Front populaire ivoirien (FPI) et collaborateur de Gbagbo depuis les années 1990, Voho Sahi fut son conseiller spécial chargé de l’éducation et des affaires culturelles pendant dix ans et son représentant auprès de l’Organisation internationale de francophonie (OIF).
À Lomé, il fait tout pour s’intégrer dans la vie culturelle du pays, organise des spectacles, participe à un cercle de poésie (Le Cénacle) et écrit même un recueil de contes. "Il fallait que je reste actif sur le plan intellectuel. On est à l’aise lorsque l’on fait ce qu’on aime. Être entouré de gens qui ont les même centres d’intérêts est apaisant".
>> Lire aussi : pro-Gbagbo exilés au Ghana, la revanche dans la peau
Comme beaucoup d’exilés, la libération du président du FPI, Affi N’Guessan, et des autres cadres du parti en août 2013 a été le détonateur. "Ça voulait dire que la guerre avait cessé". Plusieurs mois passent avant qu’il ne se décide à prendre contacts avec le président de son parti. Il regagnera Abidjan peu de temps après à bord d’un avion Air Côte d’Ivoire.
Depuis, il a retrouvé son poste de professeur de philosophie à l’université de Cocody et intégré le cabinet d’Affi N’Guessan.
Anne Gnahouret, rentré en décembre 2013
Ambassadeur en Angola (2002-2207), puis au Mexique et à Cuba, Anne Gnahouret intègre le gouvernement de Gilbert Marie N’gbo Aké en décembre 2010. Elle est nommée ministre en charge de la Solidarité, de la Reconstruction et de la Cohésion sociale.
Le 30 mars 2011, sa maison est détruite. Gnahoré se réfugie dans un quartier proche de la résidence de Laurent Gbagbo. "J’entendais tout. À chaque fois que les bombes tombaient, ma maison tremblait", explique-elle, assise dans une annexe de l’ancienne demeure d’Affi N’Guessan que ce dernier met à disposition du parti. La maison a été pillée pendant la crise. Aujourd’hui des ouvriers s’affairent pour lui donner une seconde vie.
Anne Gnahouret poursuit : "Après l’arrestation du président, nous étions tous recherchés, alors j’ai fui au Ghana dans la précipitation à bord de la voiture d’une connaissance de sa fille. Au départ, on ne savait pas qui était parti. On ne s’était pas concerté, chacun cherchait à se mettre à l’abri. C’est au bout de quelques mois que l’on a découvert que tel ou tel connaissance était aussi en exil".
Anne Gnahouret, dans l’ancienne résidence de Pascal Affi N’Guessan le 9 mai. Crédits : Emilie Regnier pour J.A.
À Accra, elle est hébergée par une amie ivoirienne, aidée financièrement par sa famille et des proches. Deux ans plus tard, en décembre 2013, l’ancienne diplomate met fin à son exil. "J’ai considéré que je serai en sécurité en Côte d’Ivoire. Les difficultés financières, la libération des cadres du FPI ont également pesées", confie-t-elle.
Aujourd’hui, sa maison a été libérée, mais ses comptes sont encore bloqués.
Alain Dogou, rentré le 26 janvier 2014
Dernier ministre la Défense de Laurent Gbagbo, Alain Dogou, quitte Abidjan par la route le 12 avril. Dans un premier temps à bord de sa voiture personnelle, puis en loue une autre après s’être enregistré au poste frontière avec le Ghana. À Accra, où il séjourne pendant deux semaines, il retrouve de nombreux militaires pro-Gbagbo. Direction le Togo où il séjournera jusqu’en juin 2012, date de l’arrestation à Lomé de Lida Kouassi (VOIR CI-DESSOUS). Dogou décide alors de retourner au Ghana.
"J’ai eu très rapidement envie de rentrer. En exil, on a peur de son ombre, on se cache dès qu’une voiture avec une plaque ivoirienne passe", dit-il. Début 2014, il informe le président, le secrétaire général et le vice-président chargé des questions de sécurité de son intention de revenir au pays. Ce qu’il fait le 26 janvier. "Je suis rentré. Tout s’est bien passé. C’est un acquis extrêmement important".
>> Lire aussi : La guerre de leadership des chefs pro-Gbagbo exilés au Ghana
Militant de base du FPI depuis les années 1990, Dogou était également membre du comité central du parti. Il explique prendre son temps pour s’impliquer à nouveau activement dans la vie politique. Sous le coup d’un mandat d’arrêt pour détournement de deniers publics depuis juin 2011, il n’a pas encore été convoqué par la justice.
Gbamnan Djidan Félicien, rentré en juin 2011
L’ancien maire de Yopougon, bastion du FPI, est l’un des premiers membres importants du parti de Laurent Gbagbo à être rentré d’exil. C’était en juin 2011. Gbamnan Djidan Félicien avait quitté Abidan le 29 mars, juste avant l’entrée des Forces nouvelles dans Abidjan.
"Dans ma tête, l’exil allait durer une semaine. La seule condition était que ma sécurité soit assurée et que ma maison soit libérée. Ce qui a été fait", confie-t-il dans sa nouvelle résidence luxueuse de la Riviera. Sa décision a été contestée par son parti. "La veille de mon retour, des membres du FPI ont tenté de me persuader de rester en exil, argumentant que c’était trop dangereux en Côte d’Ivoire. On m’a accusé de mettre allié au pouvoir, d’être conseiller à la présidence".
Il est aujourd’hui très critique sur la politique de son parti. "Le FPI n’a pas de ligne claire, je suis un peu perdu. On n’a pas fait le bilan de nos erreurs et de nos faiblesses. Personnes ne veut reconnaître que nous avons des responsabilités dans ce qui est arrivé à notre pays".
Gbamnan Djidan Félicien estime dans le même temps que le dialogue instauré par le gouvernement est biaisé. "C’est simplement pour plaire à la communauté internationale". Et de conclure : "La Côte d’Ivoire n’a pas changé. Personne ne se fait confiance. Je me demande où nous allons".
Gbamman Djidan Félicien, le 9 mai à Abidjan. Crédits : Emilie Regnier pour J.A.
Lida Kouassi, arrêté au Togo en mai 2012
Le cas de Lida Kouassi est un peu différent. Son exil à Lomé a pris fin prématurément le 6 mai 2012. Ce jour-là, les gendarmes de la brigade d’investigation débarquent à son domicile pour l’arrêter. Accusé de se livrer à des "activités subversives", visant à "déstabiliser" le régime d’Abidjan, il est extradé dans la foulée. Direction les locaux de la Direction de la surveillance du territoire (DST) où il est détenu pendant 13 jours, dont "8 d’interrogatoire musclé". Lida Kouassi est ensuite transféré à Bouna, dans le nord de la Côte d’Ivoire, où il rejoint Michel Gbagbo et Affi N’Guessan. Les trois hommes sont incarcérés dans l’aile de la prison réservée aux femmes –"qui avaient été relocalisées", précise-t-il. Il partage la cellule de Michel Gbagbo. Drôle de clin d’oeil de l’histoire pour celui qui fut déjà le compagnon de cellule de son père en 1992 à la Maca. Les trois membres du FPI seront libérés en août 2013.
Lida Kouassi, e 6 Mai 2014. Abidjan .Crédits : Emilie Regnier pour J.A.
Ministre de la Défense en septembre 2002, lors du coup d’État manqué des rebelles venus du Nord ivoirien, puis conseiller chargé des questions de sécurité auprès de Laurent Gbagbo, Lida Kouassi est resté auprès de l’ancien président ivoirien jusqu’à sa chute. 1 heure 30 après l’arrestation de ce dernier, des militaires se pointent à son domicile de Cocody, l’arrêtent et blessent deux de ses gardes du corps. "Nous faisons 100 mètres, puis ils me demandent de sortir du véhicule, pointent leurs armes vers moi, me demandent de faire mes dernières prières. Et là tout d’un coup, ils décident de m’épargner. Aujourd’hui, j’ignore encore pourquoi", raconte-t-il. Encore sonné, il regagne son domicile et conduit ses gardes du corps aux urgences. Là, des médecins le déguisent en médecin. Lida Kouassi quitte Abidjan pour le Ghana, puis se rend à Lomé, où un opérateur économique togolais lui louera une maison.
Ancien secrétaire général adjoint du FPI, il est aujourd’hui 6e vice-président du parti et dirige sa cellule de veille stratégique. Sa maison de Cocody est toujours occupée par un opérateur économique ivoirien.
>> Pour aller plus loin : Au FPI, le souvenir de Laurent Gbagbo s’estompe
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Par Vincent DUHEM
>> Retrouvez le dossier sur Laurent Gbagbo, le FPI et les anciens exilés dans Jeune Afrique n°2783, à paraître le 18 mai 2014 <<
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