« Les Africains pourraient menacer de rompre leurs relations diplomatiques avec Israël »
En poste à Dakar depuis 2008, Abdalrahim Alfarra, ambassadeur de l’État de Palestine pour le Sénégal, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Burkina Faso et le Cap-Vert, a pu mesurer la solidarité dont bénéficie la cause palestinienne en Afrique de l’Ouest. Mais il souhaite que l’Afrique s’engage davantage afin de peser sur les autorités de Tel Aviv.
Comme chaque année, il avait prévu de retourner passer ses vacances en famille à Khan Younès, dans la bande de Gaza, d’où il est originaire. Les réservations d’avion pour l’Égypte étaient faites mais Abdalrahim Alfarra a dû les annuler in extremis après le déclenchement par Israël de l’opération "Bordure protectrice" contre la bande de Gaza, le 8 juillet. Vingt jours plus tard, date de l’Aïd el-Fitr, l’ambassadeur de l’État de Palestine au Sénégal reçoit Jeune Afrique dans sa résidence privée, alors que le bilan des pertes palestiniennes s’élève à 1 062 victimes dont 92 % de civils.
Le vendredi précédent, un grand rassemblement de solidarité s’est tenu à Dakar. À cette occasion, le diplomate a battu le pavé aux côtés des principales familles confrériques, des organisations de la société civile et des représentants de divers partis politiques. Un réconfort pour celui qui répète à l’envi que l’opération de "l’armée d’occupation" israélienne relève d’une "agression barbare" et qui a lui-même perdu plusieurs membres de sa famille dans les bombardements.
Jeune Afrique : Depuis le début de l’opération "Bordure protectrice", quel type de soutien avez-vous reçu de la part des pays ouest-africains ?
Abdalrahim Alfarra : Au Sénégal, ce soutien est très large. Depuis qu’a débuté l’agression israélienne contre les populations civiles de la bande de Gaza, j’ai reçu de nombreuses personnalités issues du monde politique, des grandes familles religieuses, des organisations de défense des droits de l’homme et de la société civile en général. Dès le premier vendredi qui a suivi l’agression, les principales confréries, les partis politiques, la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho) ou encore le M23 (Mouvement du 23 juin) ont organisé un rassemblement devant ma résidence en signe de solidarité. Ils m’ont remis à cette occasion une lettre collective traduisant le soutien du peuple sénégalais.
Jamais, depuis le président Senghor jusqu’au président Macky Sall, la solidarité du Sénégal n’a fait défaut.
Depuis, la mobilisation s’est poursuivie à travers divers forums, et elle a culminé le 25 juillet avec une manifestation entre la Grande mosquée de Dakar et la place de l’Obélisque. Là, les représentants des nombreuses organisations présentes ont pris la parole à tour de rôle pour appeler Israël à mettre un terme aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité perpétrés dans la bande de Gaza. La télévision palestinienne a d’ailleurs consacré un reportage à cette mobilisation.
La solidarité manifestée par la société civile sénégalaise est-elle relayée par les autorités ?
Le gouvernement sénégalais a diffusé dès le 12 juillet un communiqué sans ambiguïté dans lequel il "condamne les tueries et les destructions de biens", "appelle le gouvernement israélien à la retenue" et "réaffirme sa solidarité et son soutien constants à la cause palestinienne". Puis à l’occasion d’un conseil interministériel, le soutien de Dakar aux populations de Gaza a été réaffirmé. J’ai notamment reçu un appel téléphonique du ministre des Affaires étrangères, M. Mankeur Ndiaye, et un autre du président de l’Assemblée nationale, M. Moustapha Niasse. Tous deux m’ont témoigné le soutien du Sénégal. Jamais, depuis le président Senghor jusqu’au président Macky Sall, cette solidarité n’a fait défaut. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui où le Sénégal préside le Comité des Nations unies pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien.
Qu’en est-il des autres pays de la sous-région ?
La Gambie a diffusé un communiqué pour dénoncer l’agression israélienne, même si ce texte avait tendance à renvoyer dos à dos les deux parties, peut-être par manque d’information. Dans le cas du Burkina-Faso, la mobilisation est forte au sein de la société civile mais les autorités n’ont pas manifesté de soutien particulier. En Guinée Conakry, un pays qui n’entretient pas de relations diplomatiques avec Israël, la solidarité avec le peuple palestinien est totale. Les nouvelles autorités de Guinée-Bissau ont, elles aussi, eu des mots très justes pour condamner l’agression israélienne. Quant au Mali, le président Ibrahim Boubacar Keïta a fait du 25 juillet une journée de deuil national, ce que nous avons beaucoup apprécié. Je pourrais également citer l’Afrique du Sud, où s’est tenu un gigantesque rassemblement et où les autorités ont traduit concrètement leur solidarité.
L’Afrique dispose-t-elle d’un poids politique qui lui permettrait de peser sur le cours des événements ?
L’Afrique a un rôle important à jouer. L’Union africaine pourrait envoyer un message fort, par exemple en menaçant Israël d’un boycott de ses produits sur le continent. L’Afrique du Sud a pris la décision, bien avant la dernière agression en date, de boycotter les produits en provenance des colonies israéliennes. Si Israël n’entend pas raison, les pays africains pourraient aussi menacer de rompre leurs relations diplomatiques avec ce pays qui ne comprend que le rapport de force.
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Propos recueillis à Dakar par Mehdi Ba
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