Centrafrique : cinq choses à savoir sur Mahamat Kamoun, le nouveau Premier ministre
Ancien conseiller spécial de Catherine Samba-Panza, la présidente de transition, Mahamat Kamoun (53 ans) a été nommé dimanche au poste de Premier ministre. Pourtant, ce spécialiste des finances n’avait pas les faveurs de la communauté internationale.
La démission du Premier ministre André Nzapayeké n’a pas été facile à obtenir. Lorsque Catherine Samba-Panza lui a fait part de sa décision, le 31 juillet, il a admis que son départ était inéluctable. Mais, deux jours plus tard, il s’est montré moins conciliant. S’il a renoncé à récupérer son poste de vice-président de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale, il a exigé, et obtenu, celui d’ambassadeur à Pretoria. L’entourage de la présidente le soupçonne d’avoir organisé en sous-main des manifestations pour dénoncer l’accord conclu à Brazzaville. Et d’avoir tenté de mobiliser une partie du CNT contre l’idée de son départ.
>> Lire aussi : Mahamat Kamoun nommé Premier ministre par Catherine Samba-Panza
Qui est donc son successeur, Mahamat Kamoun, et qu’implique sa nommination ? Réponse en cinq points.
1. Mahamat Kamoun, un Runga de Ndélé
Né à Ndélé (dans l’extrême nord de la Centrafrique) le 13 novembre 1961, Mahamat Kamoun appartient à la famille du sultan de la région. Après des études d’économie à Bangui, Abidjan et Paris dans les années 1980, ce Runga (principale ethnie de cette province) occupe plusieurs postes de fonctionnaire au ministère des Finances et du budget de 2000 à 2006, dont ceux d’inspecteur des finances, de directeur général de budget et le directeur général du Trésor public, sous la présidence de François Bozizé. Membre du conseil d’administration de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) pendant un an, Kamoun quitte fin 2007 la RCA pour les États-Unis, où il obtient un diplôme de troisième cycle en économie de développement de l’Université de Boston.
2. Un intime de Samba-Panza
La présidente de transition et le nouveau Premier ministre se connaissent et s’apprécient depuis une dizaine d’années. C’est Kamoun qui a proposé à Djotodia de la nommer à la mairie de Bangui, deux mois après le coup d’État de mars 2013. Avec sa compagne (qui est aussi une proche de Samba-Panza), il fait partie du petit groupe de personnes qui l’ont aidé à être élue présidente de transition. Depuis, Mme Kamoun, ancienne directrice adjointe des Douanes, a pris la tête de cette administration. Lui est l’un des plus proches conseillers de la chef de l’État.
Le nouveau Premier ministre s’insurge contre les accusations de népotisme lancées contre sa femme : "Elle est fonctionnaire depuis de nombreuses années. Son supérieur a été nommé ministre, c’était assez logique qu’elle soit promue."
3. Des relations compliquées avec la Séléka
Kamoun a été nommé directeur de cabinet de Michel Djotodia peu de temps après le coup d’État. S’il a des liens de parenté avec un ancien ministre issu de la Séléka, Abdallah Kadr, il n’a jamais été membre de l’ancienne coalition rebelle – Djotodia avait surtout besoin de lui pour se doter d’une meilleure image. Ses relations avec l’ex-rébellion se sont rapidement dégradées, au point que lui et sa famille ont été agressés par les hommes du général Arda Akouma peu avant le changement de régime. Le 19 décembre 2013, son domicile privé est braqué et pillé : meubles, ordinateurs, téléphones, tout y passe. Sur le coup, l’ex-président ne fait part d’aucune compassion pour son directeur de cabinet. Et pour cause : les rebelles le soupçonnent depuis le sommet Afrique-France (5,6 décembre 2013 à Paris) de rouler pour Paris.
4. Sa réponse aux allégations de corruption
Son aventure au Trésor sous Bozizé s’est finie en eau de boudin. Accusé à plusieurs reprises de malversations financières, il manque d’être arrêté en novembre 2007 au retour d’un voyage à Paris pour raisons de santé. Si aucune information judiciaire n’est ouverte contre lui, Kamoun se sent menacé et décide de quitter la Centrafrique à la fin de la même année.
Dernièrement, de nouvelles accusations de détournement de fonds ont fleuri dans la presse centrafricaine. On l’accuse d’avoir récupéré une partie des 10 millions de dollars d’aide accordés par l’Angola pour le paiement des salaires des fonctionnaires. Kamoun rejette en bloc ces accusations et s’explique : "L’Angola nous a fait un premier versement en cash de 5 millions de dollars en mars 2014. Nous voulions absolument payer les salaires au plus vite. Mais à Bangui, la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) nous a indiqué qu’elle faisait seulement ses opérations de change en euros. Les banques commerciales de Bangui nous ont, elles, répondu qu’elles n’avaient pas de liquidités suffisantes. C’est pour cela que, en accord avec le bureau central de la Beac à Yaoundé et le Trésor public centrafricain, nous avons procédé au change dans un établissement bancaire de Douala. L’argent a été versé sur le compte du Trésor public à Yaoundé, puis transféré à Bangui."
5. Une nomination accueillie fraîchement
La candidature de Kamoun n’a été portée par aucun des partenaires incontournables de la RCA. Tout le contraire de Karim Meckassoua. Début août, de fortes pressions se sont exercées pour que l’ancien ministre de François Bozizé succède à André Nzapayeké comme Premier ministre. Soutenue par Denis Sassou Nguesso, sa candidature l’était aussi par plusieurs membres de la communauté internationale. Lors d’une réunion avec Catherine Samba-Panza, la France, les Nations unies et l’Union africaine ont mis en avant ses qualités professionnelles. Le 1er août, la présidente a reçu un appel dans le même sens de Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française.
Mais si Samba-Panza disait début août apprécier les qualités de Meckassoua, elle considérait que la nomination de cette forte personnalité, outre qu’elle lui ferait de l’ombre, ne serait pas unanimement appréciée à Bangui. Le 10 août en fin de matinée, quand Samba-Panza, qui n’a pas du tout goûté ces pressions, a convoqué le corps diplomatique pour annoncer son choix, une partie de l’audience fut "pétrifiée", selon les termes d’un diplomate présent.
La nomination de Kamoun n’a pas plu à l’ex-Séléka. Particulièrement divisée, l’ancienne rébellion s’est tout de même fendue d’un communiqué annonçant qu’elle ne participerait pas au futur gouvernement.
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Par Vincent DUHEM
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