Ballaké, l’une des grandes voix d’Afrique s’est éteinte
Le chanteur Burkinabè Ballaké s’est éteint. Florent Mazzoleni rend hommage cet artiste qui comptait parmi les dernières grandes voix africaines.
Le parcours d’Amadou Traoré dit Ballaké résume pratiquement à lui seul l’histoire de la musique d’Afrique de l’Ouest, des indépendances à aujourd’hui. Son itinéraire musical à travers l’ancien empire mandingue illustre une curiosité artistique inouïe, exprimée en quelques albums et une poignée de singles parus essentiellement entre le début des années 1970 et le milieu des années 1980. Homme du peuple, Ballaké chantait la vie autour de lui, les bonheurs et les malheurs du quotidien, sans fard mais avec une acuité rare, que seul le congolais Franco pouvait lui envier sur le continent africain.
Homme du peuple, Ballaké chantait la vie autour de lui, (…) avec une acuité rare.
Amadou Ballaké a enregistré au Ghana, au Bénin, au Nigeria, au Burkina, au Mali ou en Côte d’Ivoire, mais aussi à New York ou à Paris, multipliant les rencontres musicales et les expériences culturelles. Sa musique doit autant aux rythmes afro-cubains qu’à la tradition mandingue ou au funk américain. Souple et énergique, sa voix s’adapte parfaitement au registre musical utilisé, devançant des instruments qu’elle semble littéralement hypnotiser.
Originaire de Ouahigouya, au nord du Burkina Faso, où il naît le 8 mars 1944, Amadou Traoré étudie à l’école coranique. Il n’apprendra jamais à lire, préférant jouer des percussions. Il quitte une première fois son pays pour devenir apprenti chauffeur à Mopti, au Mali, en 1957, avant de retourner à Ouagadougou en 1959, où il devient l’un des premiers chauffeurs de taxi du pays, un métier qui lui inspirera son plus grand succès, à Abidjan en 1978, avec le sémillant tube panafricain Taximen. En 1963, après un passage par le Grand Hôtel de Bamako, Ballaké joue déjà à Abidjan durant plusieurs mois en compagnie d’un orchestre cubain.
Taximen (1978).
En 1964, il quitte la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny pour la Guinée de Sékou Touré. Âgé de vingt ans, il effectue un nouvel apprentissage musical au sein d’orchestres guinéens. Il devient chanteur au sein de l’orchestre du dancing Jardin de Guinée, où il se lie d’amitié avec le jeune guitariste Mangue Kondé. De retour au pays en 1968, Amadou Traoré gagne vite un nouveau surnom tiré de son interprétation de Ballaké, l’un des plus grands morceaux du Bembeya Jazz, sommet de la carrière de la formation guinéenne. En 1970, il forme les Cinq Consuls du Don Camillo, un dancing réputé de la capitale voltaïque. Deux ans plus tard, Ballaké repart en Côte d’Ivoire afin d’y enregistrer son premier 45 tours avec l’aide du saxophoniste nigérian Dexter Johnson.
Dans les cimetières, il n’y a pas de dancings, ni de jolies femmes !
Musicien vétéran à l’approche de la trentaine, il persévère à vivre de sa musique, en dépit du manque de considération à l’égard des musiciens. Il transcende cette lutte permanente pour sa musique en 1974 sur Bar Konon Mousso, une ode funk urbaine aux belles de nuit en goguette, au son du mercure liquide et à la guitare en or massif. "Musicien, c’est pas quelqu’un" chante Ballaké, évoquant de manière empirique la difficulté des musiciens africains à vivre de leur art.
Au cours des années 1970, il mélange rhythm’n’blues, funk, afrobeat, pop à une langue dioula qu’il maîtrise désormais comme un vrai griot. Sur un titre comme Renouveau, Ballaké revêt ses plus beaux habits de jeli, multipliant les louanges qu’il semble chanter pour lui-même, comme en lévitation autour de sa propre voix. L’alcool et les filles sont également des sources d’inspiration importantes au fil des morceaux qu’il compose avec son complice guinéen Mangue Kondé. Comme il aime le rappeler, il vit alors ses passions musicales intensément : "Dans les cimetières, il n’y a pas de dancings, ni de jolies femmes !".
Renouveau.
"Je cherche Fanta au bal, je cherche Fanta au cinéma, je la trouve finalement dans une 504 avec un autre monsieur" chante-t-il sur Fanta, anticipant la moindre syncope de ses musiciens, la voix pleine de défiance et de morgue à l’endroit de celle qui lui a fait faux bond. Avec son groove irrésistible, Fanta est sans doute l’un des morceaux les plus puissants enregistrés en Afrique dans les années 1970.
Dès qu’il se met à chanter, un respect immédiat s’installe chez ses musiciens, prêts à suivre et à anticiper la moindre de ses arabesques mélodiques. En tant que percussionniste, Ballaké possède un sens inné du rythme, qu’il marie à merveille avec son chant. Peu de chanteurs, africains ou non, manient avec autant d’élégance que Ballaké les syllabes. Ses performances vocales sont d’autant plus remarquables qu’il apprend ses chansons à l’oreille. Quittant le Burkina en 1978, il navigue entre Abidjan, New York et Paris, pour une carrière de salsero au long cours.
Fanta
En 1985, il est remarqué par Coluche alors qu’il chante du flamenco dans un bistrot de Montreuil. Celui-ci propose de produire un album, qu’il n’aura pas le temps de réaliser. Ballaké retourne alors au Burkina Faso. Au milieu des années 1990, il refait surface au sein de la formation panafricaine Africando dont il devient, au fil des années, l’une des voix principales par la volonté du producteur Ibrahima Sylla. Il y revisite des standards de son répertoire, tout en laissant libre cours à ses influences afro-cubaines initiales.
En 2013, il enregistre à Ouagadougou un album testament, à paraître cet automne. Amadou Ballaké était tout simplement l’une des dernières grandes voix africaines, ayant laissé une marque vocale indélébile sur une grande partie du continent.
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