Les experts de l’ONU pointent le rôle ambigu du Tchad en Centrafrique
Les experts de l’ONU sur la Centrafrique ont rendu public, le 1er novembre, leur rapport final dans lequel ils pointent notamment le rôle ambigu joué par le Tchad depuis le retrait des soldats de la Misca (la force africaine) en avril.
Souvent pointé du doigt depuis le coup d’État du 24 mars 2013 à Bangui, le Tchad voit cette fois son rôle en Centrafrique bien documenté par les experts de l’ONU. Dans leur rapport final rendu public le 1er novembre, ceux-ci accusent notamment les autorités tchadiennes d’avoir détenu pendant plusieurs mois, et sans raison valable, trois dignitaires centrafricain d’une ville frontalière.
Le 1er mai, un groupe armé non identifié attaque Markounda (Nord-Ouest) provoquant l’exode d’une partie de la population en territoire tchadien. Le 17, le sous-préfet de la ville, le secrétaire général et le directeur d’une école publique décident de se rendre sur place. C’est alors, rapportent les experts onusiens, qu’ils sont arrêtés, transférés à N’Djamena puis condamnés avec d’autres citoyens centrafricains à une détention d’au moins trois mois. Selon plusieurs sources, les trois représentants de Markounda ont été libérés fin octobre.
>> Pour aller plus loin : Centrafrique – Tchad, la déchirure
Les experts de l’ONU rapportent également que deux de membres de leur groupe ont été détenus pendant quatre heures par les forces de défense et de sécurité, lors d’une mission en RCA le long de la frontière tchadienne. Enfin poursuit le rapport, des soldats tchadiens ont participé à l’attaque, le 20 mai, de trois villages centrafricains proches de la frontière (Bembéré, Békaye et Bédoua 3), attaque lors de laquelle trois personnes ont été emmenées de force au Tchad et dont on est aujourd’hui sans nouvelle.
Ces incidents sont "les exemples les plus symboliques de la situation" au nord-ouest de la Centrafrique, où les experts onusiens ont documenté de nombreuses attaques de groupes armés venant du Tchad depuis que N’Djamena a retiré, le 16 avril, ses troupes de la Misca (la force africaine intégrée aujourd’hui au sein de la Minusca).
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Le document de l’ONU présente un autre détail troublant sur l’implication du Tchad dans le pays. Après les combats de Boguila (proche de la frontière tchadienne), en mai, entre l’armée française et les éléments du général de l’ex-Séléka Mahamat Alkhatim – aujourd’hui coordonnateur adjoint de l’Unité pour la Centrafrique (UCP, branche dissidente de la Séléka) -, les soldats de Sangaris ont saisi un fusil d’assaut israélien Gali, armement inédit dans l’arsenal des rebelles. L’arme "faisait partie d’un lot vendu en 2008 au ministère tchadien de la Défense, qui était accompagné d’un certificat d’utilisateur final garantissant que ces armes ne seraient pas transférées à un pays tiers", précisent les experts qui s’étonnent d’avoir "vu des fusils analogues au Tchad, portés par le personnel des services de sécurité interne de la Direction générale des services de sécurité des institutions de l’État (DGSSIE)". "Des fusils identiques ayant été saisis dans d’autres régions de la République centrafricaine", poursuit le rapport.
Enfin, les experts font d’autres constats importants, au nombre de quatre. Les voici :
- Bilan macabre
Selon le rapport, plus de 3 000 personnes et 22 travailleurs humanitaires sont morts entre le 5 décembre 2013 et le 14 aout 2014. Sur cette période, les anti-balaka ont été responsables de la mort de 854 civils et de 7 travailleurs humanitaires. Les attaques menées par des combattants assimilés à l’ex-Séléka ont causé la mort de 610 civils et de 7 travailleurs humanitaires. Pour les experts de l’ONU, le général Alkhatim et ses 600 hommes demeurent la menace principale à la paix et à la sécurité en Centrafrique. Les deux groupes armés sont également accusés de perturber le déploiement de l’aide humanitaire.
- Début de coopération entre la Séléka et LRA
Un groupe de la LRA (Armée de libération du seigneur, de Joseph Kony), dirigé par le capitaine Okello Palutaka, et de la Séléka, sous le commandement du colonel Amed Shérif, ont coopéré sur plan logistique dans la sous-préfecture de Nzako (sud-est), écrivent les experts. On peut ainsi voir les deux hommes bras dessus, bras dessous sur une photo présente dans l’annexe du rapport.
- Contrebande de minerais
Le trafic de minerais ne faiblit pas en RCA, contribuant indirectement au financement des différents groupes armés – anti-balaka à l’ouest, ex-Séléka à l’est où ces derniers ont imposé des taxes aux collecteurs et aux bureaux d’achats de diamants et d’or. Les experts de l’ONU ont noté, grâce à des images satellites, que la production de diamants avait explosé ces derniers mois à Sam-Ouandja, ville du nord-est de la RCA contrôlée par les l’ex-Séléka où aucune force internationale n’est présente. À Ndassima, mine proche de Bambari (Centre) également aux mains des rebelles, ces derniers tentent même d’organiser la production en distribuant, par exemple, des cartes "d’artisan minier" aux collecteurs.
- Toussaint, l’étrange mercenaire belge
De novembre 2013 à février 2014, François Toussaint, un mercenaire belge habitant au Gabon et condamné pour meurtre dans son pays, a officié comme conseiller militaire pour Révolution et justice, un groupe armé présent dans le nord-ouest de la Centrafrique. RJ a été fondé en octobre 2013 par un capitaine des Forces armées centrafricaines (Faca), Armel Sayo. Composé d’anciens éléments de l’APRD (Armée populaire pour la restauration de la démocratie), le groupe a mené des opérations contre des groupes peuls et les ex-Séléka. Toussaint était en charge de l’entraînement et de la stratégie militaire. Il a été arrêté le 7 juillet à Bouar par la Misca et est depuis détenu à Bangui. Signataire de l’accord de Brazzaville, Armel Sayo a, lui, été nommé ministre de la Jeunesse et des Sports, le 22 aût par le Premier ministre Mahamat Kamoun.
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Par Vincent DUHEM
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