Génocide au Rwanda : quel bilan pour le TPIR, vingt ans après sa création ?
Après 20 ans de travail et 61 condamnations, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) s’apprête à fermer ses portes. Avec un bilan en demi-teinte.
Créé par l’ONU en 1994, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) fermera ses portes dans quelques mois, la date du 31 décembre 2014 ayant été repoussée afin de permettre la tenue de derniers procès en appel.
Quelque 92 personnes, surtout des hauts responsables politiques ou militaires en fonctions au moment du génocide y ont été mis en accusation. Parmi elles, 61 ont été condamnées, dont sept attendent encore leurs procès en appel.
Bilan en trois points clés de vingt années de procédure :
- Un rôle réconciliateur minime ?
Lente, coûteuse, mal au fait de la réalité rwandaise, pas assez proche des victimes, qui n’ont pu y intervenir qu’en tant que témoins et n’ont jamais pu obtenir réparation… le TPIR s’est attiré de nombreuses critiques
Le Rwanda n’avait ainsi pas souhaité l’accueillir sur son sol, en désaccord avec son mandat, qui couvrait aussi d’éventuels crimes commis par le Front patriotique rwandais (FPR), lors de son offensive ayant mis fin au génocide.
61 personnes ont été condamnées, dont sept attendent encore leurs procès en appel.
Kigali a aussi systématiquement fustigé les acquittements qui y ont été prononcés et le procureur général rwandais, Richard Muhumuza, déplore encore aujourd’hui "le petit nombre de suspects" jugés à Arusha. Le président de l’association des rescapés Ibuka, Jean-Pierre Dusingizemungu, regrette quant à lui que neuf accusés, dont l’argentier présumé du génocide Félicien Kabuga, soient encore en fuite.
D’autres estiment qu’en ne jugeant que les responsables du génocide et aucun cadre du FPR, le TPIR – comme les juridictions rwandaises – est passé à côté du rôle réconciliateur qu’il aurait pu avoir. Une critique que le procureur actuel du TPIR, Hassan Bubacar Jallow, balaie, expliquant avoir dû "se concentrer" sur les crimes de génocide par souci d’efficacité.
- Un mandat trop restreint ?
En 20 ans, le Tribunal n’a jamais tranché la question de la planification et de la préparation du génocide. Son mandat débutait d’ailleurs au début de l’année 1994, ce que dénonçait aussi Kigali, pour qui le génocide avait été préparé dès 1990, voire même dès les premiers pogroms antitutsi des années 50.
Mais tous reconnaissent qu’il aura au bout du compte réalisé un travail colossal en décortiquant le déroulement du génocide et en produisant des montagnes d’archives. Il aura permis de mettre fin à l’impunité dont bénéficiaient jusque-là hauts responsables politiques et militaires coupables des crimes les plus graves.
Ceux qui ont tenté de fuir, le TPIR a mis la main dessus, et les a jugés.
Au final, le Tribunal aura "quand même fait son travail" résume Bonaventure Higaniro, gardien du mémorial du génocide de Kamonyi, à une trentaine de kilomètres au sud de Kigali. L’homme aurait préféré que l’ancien maire de la commune, Jean-Paul Akayesu, premier condamné du TPIR, et les accusés suivants, soient jugés au Rwanda.
"Cela aurait été mieux qu’il soit jugé ici (…) car ici les gens le connaissaient et auraient pu donner plus d’informations", glisse Bonaventure. Mais, reconnaît-il, sans le TPIR, l’ancien maire, qui avait fui en Zambie après le génocide, et bien d’autres n’auraient jamais été arrêtés. "Ceux qui ont tenté de fuir, le TPIR a mis la main dessus, et les a jugés", ajoute-t-il.
- Une justice politique ?
Première – et à ce jour la seule – juridiction internationale à avoir jugé, en Afrique, des crimes aussi graves, le TPIR n’est cependant pas nécessairement un modèle à répliquer, estiment ses principaux acteurs.
Le problème d’une telle juridiction est qu’elle "est coûteuse et porte en elle ses propres limites", estime son greffier, Bongani Majola : privé de police propre, le TPIR reposait exclusivement sur la coopération, pas toujours évidente, de pays tiers pour arrêter les fugitifs.
Cette juridiction est coûteuse et porte en elle ses propres limites.
Pour le greffier, l’avenir sera sans doute davantage à des procès organisés aux niveaux national ou régional, "où il y aura peut-être plus de coopération" entre États, à l’exemple de la juridiction spéciale créée en 2012 à Dakar par un accord entre l’Union africaine et le Sénégal pour juger l’ex-dictateur tchadien Hissène Habré.
La justice internationale aura cependant toujours "un grand défaut", estime Carla del Ponte, ex-procureur du TPIR écartée, dit-elle, pour avoir tenté d’enquêter sur des responsables du FPR : elle a beau constituer "le bon chemin", elle dépendra toujours "de la volonté politique de la communauté internationale".
(Avec AFP)
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