La propagande de Daesh et le fantasme de la venue du Mahdi, « sauveur des musulmans »
Qui est Al-Mahdi, « le sauveur de tous les musulmans » dont de nombreuses vidéo de propagande jihadiste prophétisent la venue prochaine ? Décryptage de l’islamologue Soheib Bencheikh.
Depuis quelque temps, les jihadistes de Daesh multiplient les vidéos concernant la venue d’Al-Mahdi, le "sauveur" de tous les musulmans. Si certains d’entre eux voient Abou Bakr Al-Bagdadi, le calife auto proclamé de l’État islamique, comme le Mahdi, d’autres attendent encore son apparition. Sur Twitter et Youtube, quelques message évoquent même une arrivée imminente qui coïnciderait avec la mort du roi Abdallah d’Arabie Saoudite, survenue le 23 janvier dernier. Un non-sens pour l’islamologue Soheib Bencheikh qui décrypte le mahdisme et son utilisation par les djihadistes.
Jeune Afrique : D’où vient la figure d’Al-Mahdi, qui est-il ?
Soheib Bencheikh : Le terme Mahdi est en arabe un "adjectif-participe passé" qui signifie : "le bien-guidé" (par Dieu). Le mahdisme est la croyance en la venue prochaine d’un rédempteur qui – selon la formule consacrée – "remplira la terre de justice de la même manière qu’elle a été remplie d’injustice". Des textes éparpillés dans le gigantesque corpus du Hadith, attribués au Prophète longtemps après sa mort, annoncent et décrivent non sans contradiction l’avènement très prochain d’un agent eschatologique dénommé "Al-Mahdi" qui mènera l’ultime bataille contre les "forces du mal" et établira la "justice divine". Il est tantôt assimilé au Messie – qui n’est autre que Jésus fils de Marie – tantôt l’annonciateur et le préparateur de la venue de celui-ci.
Les jihadistes voient en Al-Baghdadi, calife auto-proclamé de Daesh, l’incarnation d’Al-Mahdi. Qu’en pensez-vous ?
Je ne sais pas si Al-Baghdadi s’est auto-désigné Mahdi ou si les jihadistes le voient comme tel. Ce qui est sûr, c’est qu’Al-Baghdadi assure un califat selon une méthode bien prophétique. Un hadith très obscure et longtemps délaissé réapparaît depuis quelques mois. Il stipule que le Prophète aurait dit : "Le prophétat [gouvernement du Prophète] restera parmi vous tant qu’il plaira à Dieu, ensuite le califat sera établi selon une méthode prophétique ; ensuite le royaume mordant ; puis le royaume tyrannique ; puis recommencera le califat selon la voie prophétique". Les jihadistes de Daesh identifient ce dernier gouvernement évoqué dans ce hadith au califat d’Al-Baghdadi.
Auparavant, y a-t-il eu des hommes qui se sont désignés comme le Mahdi ? Est-ce récurrent ?
Personne n’est en mesure d’établir une liste exhaustive des mahdis qu’a connus l’histoire de l’islam. Beaucoup de hérauts politiques ou de formateurs religieux ont porté le surnom mais la nature de leur référence au mahdisme reste invérifiable. On porte le titre par "conviction névrotique", par mégalomanie, par tactique politicienne afin de rallier la foule bigote, etc. ; mais on le porte aussi pour en tirer seulement un bon augure.
Cette dimension eschatologique peut-elle être qualifiée de "sectaire" ?
Ce sujet est très complexe et extrêmement douloureux. Il met l’ensemble du monde sunnite face à ses responsabilités. Il interpelle les musulmans sur cette énorme frilosité par rapport à leur passé et qui bloque en eux toute démarche réformatrice visant à revisiter les textes dits sacrés, vérifier leur historicité et les relire selon les exigences éthiques et civilisationnelles de notre temps. Hormis son extrême brutalité, Daesh applique à la lettre ce que les sunnites ont toujours pris pour religion.
Selon une logique formelle, les factions de Daesh et d’Al-Qaïda sont dans le monde sunnite les plus cohérents : cohérents avec eux-mêmes, avec leur archaïsme et surtout avec l’unique version théologico-juridique en vigueur, sacralisée et promue par tous, par l’islam officiel en premier. Aucun docteur du fiqh (droit musulman) ou du Hadith ne peut contredire vraiment une pratique "daeshienne" ou la qualifier de non-musulmane. Il ne peut que dire: "pas comme ça, pas maintenant, pas dans ces circonstances". Mais il ne dira rien sur le bien-fondé ou la raison d’être de ces pratiques. Il ne dira rien, parce que lui-même croit – ou feint de croire – que tout ce que les hagiographies du Prophète et les recueils du Hadith attribuent à la première génération de l’islam jouit religieusement d’un statut législatif et dicte la norme à tous les musulmans de tous les temps.
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