Génocide au Rwanda : les enjeux de la déclassification des archives de l’Élysée
Vingt et un ans après le génocide des Tutsis, François Hollande va rendre accessibles aux chercheurs les archives de la présidence de la République française sur le dossier rwandais. Une initiative accueillie positivement même si elle reste très prudente.
L’annonce a valeur de symbole. Mardi 7 avril, jour marquant la 21e commémoration du génocide des Tutsis du Rwanda, l’Élysée faisait savoir que les archives de la présidence de la République française portant sur le Rwanda de 1990 à 1995 seraient déclassifiées. La décision a été signée par le secrétaire général de l’Élysée, Jean-Pierre Jouyet, et contresigné par l’ancienne ministre Dominique Bertinotti, mandataire des archives de la présidence de François Mitterrand.
Le recensement des documents concernés, qui comprennent des notes des conseillers diplomatiques et militaires de l’Élysée, des comptes rendus de conseils restreints de défense ou de réunions ministérielles, aurait commencé il y a un an, sous la houlette du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Les archives de la Mission parlementaire d’information présidée par Paul Quilès en 1998 seront également déclassifiées.
"Graves erreurs d’appréciation"
Le matin même, dans une tribune parue dans le quotidien Libération, une cinquantaine de personnalités dénonçaient, dans une lettre ouverte à François Hollande, "le silence officiel [des autorités françaises] sur le génocide contre les Tutsis, en particulier sur les responsabilités d’une poignée d’anciens hauts responsables français". Rappelant que Nicolas Sarkozy est, depuis 1994, le seul président de la République à avoir admis les "graves erreurs d’appréciation" commises par les autorités françaises de 1990 à 1994, les signataires appelaient son successeur à "énoncer, avec clarté, la vérité sur le génocide contre les Tutsis au Rwanda en 1994".
Il est peu probable que les documents portent sur les aspects les plus compromettants du soutien de Paris aux régimes qui ont préparé puis mis en œuvre le génocide.
"C’est plutôt bon signe", estime Patrick de Saint-Exupéry, rédacteur en chef de la revue XXI et auteur de Complices de l’inavouable (éd. Les Arènes), qui porte sur l’implication de la France au Rwanda. Signataire de cette tribune, le journaliste estime toutefois que c’est "un geste prudent, puisqu’il aura fallu un an de préparatifs avant d’en arriver à cette annonce", non sans relever qu’"aucun officiel français n’était présent cette année à Kigali pour la commémoration du génocide".
De fait, si la décision annoncée hier par l’entourage du chef de l’État va dans le sens d’une plus grande "clarté", un long chemin reste à parcourir avant d’espérer faire toute la lumière sur l’implication controversée des autorités françaises au pays des Mille collines. Il est en effet peu probable que les archives en voie de déclassification, qui seront accessibles aux chercheurs et aux associations de victimes, portent sur les dimensions les plus compromettantes du soutien de Paris aux régimes rwandais qui ont préparé puis mis en œuvre le génocide.
Le sceau du secret-défense
L’association Survie, qui avait remis en 2014 au ministère français de la Défense une pétition signée par plus de 7 000 personnes demandant la déclassification des archives portant sur ces quatre années, rappelle ainsi que dans le cadre des dossiers instruits par le pôle "crimes contre l’humanité et génocide" du tribunal de grande instance de Paris contre des militaires français de l’opération Turquoise, tout comme dans celui de l’attentat du 6 avril 1994, instruit au pôle anti-terroriste, des demandes de déclassification formulées par les magistrats se sont heurtées à un refus. De larges pans du dossier franco-rwandais sont en effet classés secret-défense.
Par ailleurs, une part conséquente du fond d’archives de la présidence de la République sur le Rwanda, conservé à l’Institut François Mitterrand, a déjà fuité depuis le milieu des années 2000. On y trouve notamment les notes adressées à l’ancien chef de l’État par ses principaux conseillers en charge du dossier, le verbatim de plusieurs conseils restreints de défense ainsi que divers télégrammes diplomatiques. Si ce filon permet de prendre la mesure de l’aveuglement idéologique des plus hautes autorités françaises, acquises à la cause des extrémistes hutus et farouchement hostiles au Front patriotique rwandais (FPR, la rébellion (majoritairement tutsie) alors commandée par Paul Kagamé), il n’évoque pas, en revanche, les aspects les plus sensibles de la politique française au Rwanda.
Dimension secrète de l’opération Turquoise
Au nombre de ceux-ci, l’engagement militaire français aux côtés de l’armée gouvernementale rwandaise entre 1990 et 1993, le rôle joué par des coopérants ou militaires français dans l’entraînement des milices extrémistes hutues, les livraisons d’armes au régime génocidaire entre avril et juillet 1994, les découvertes effectuées par les soldats français présents sur le site du crash de l’avion présidentiel rwandais dans les heures qui ont suivi l’attentat du 6 avril 1994… Ou encore les dimension secrètes de l’opération Turquoise, officiellement destinée à sauver les "civils menacés d’extermination" mais dont plusieurs observateurs considèrent qu’elle avait pour véritable objectif d’empêcher la déroute militaire du camp génocidaire.
"Un certain nombre de documents sont déjà accessibles mais cette déclassification devrait permettre de combler certains “trous” chronologiques, notamment en ce qui concerne les conseils restreints, analyse Patrick de Saint-Exupéry. Reste à étendre cette initiative à d’autres fonds d’archives comme ceux de la DGSE [Direction générale de la sécurité extérieure], de la DRM [Direction du renseignement militaire] ou du ministère de la Coopération."
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