Dr Fatoumata Nafo-Traoré : « Nous sommes à un tournant de la lutte contre le paludisme »
Samedi 25 avril a lieu la Journée mondiale de lutte contre le paludisme. L’occasion pour le Dr Fatoumata Nafo-Traoré, directrice exécutive de l’organisme Roll Back Malaria, de faire le point sur la situation en Afrique.
Dans le monde, plus de trois milliards de personnes sont exposées au paludisme, une maladie souvent mortelle transmise par la simple piqûre d’un moustique. En 2013, l’Organisation mondiale de la santé a enregistré plus d’un demi-million de décès dans 97 pays. Mais c’est en Afrique où la maladie fait le plus de victimes : neuf cas mortels sur dix sont recensés sur le continent. Malgré des progrès, la lutte contre le paludisme demeure fragile en raison d’un manque de financement.
Jeune Afrique s’est entretenu avec le Dr Fatoumata Nafo-Traoré, directrice exécutive de Roll Back Malaria, une plate-forme de coordination internationale contre le paludisme. Pour elle, les progrès, réels, accomplis ces dernières années, sont menacés. Interview.
Le Dr Fatoumata Nafo-Traoré, directrice exécutive de Roll Back Malaria. © Roll Back Malaria
Jeune Afrique : Quels sont les progrès accomplis dans la lutte contre le paludisme au cours des dernières anneés ?
Dr Fatoumata Nafo-Traoré : Des progrès remarquables et substantiels ont été réalisés. Depuis le lancement des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), 4,3 millions de vies ont été sauvées en 15 ans mais la lutte n’est pas terminée. Le nombre de malades et de décès a été réduit de moitié. Cependant, ces gains sont aujourd’hui menacés si nous n’obtenons pas assez de financement dans les prochaines années. Il ne faut surtout pas lâcher la lutte contre le paludisme puisque nous sommes à un tournant.
En moyenne, les pays africains perdent 1,3 % de leur produit national brut à cause du paludisme et au total, le continent perd 12 milliards de dollars par année.
Le financement n’est pas suffisant ?
Pas du tout. Nous aurions besoin de 5,1 milliards de dollars pour vaincre efficacement le paludisme dans une centaine de pays du monde. Actuellement, nous disposons de moins de la moitié de ce financement. Paradoxalement, il faut savoir que les pertes économiques liées au paludisme sont énormes. En moyenne, les pays africains perdent 1,3 % de leur produit national brut et au total, le continent perd 12 milliards de dollars par année.
L’Objectif du millénaire pour le développement 6C, qui prévoyait, d’ici à 2015, d’avoir enrayé la propagation du paludisme et commencé à inverser la tendance actuelle, ne sera pas atteint. Quel est l’état des lieux ?
C’est vrai, malheureusement. Toutefois, environ six pays sur dix sont en voie de l’atteindre. Ce n’est pas idéal mais au moins des progrès sont réalisés et nous donnent de l’espoir. Quand le paludisme recule, les taux de mortalité néonatale, infantile et maternelle ainsi que le taux d’absentéisme à l’école reculent aussi. De plus, une diminution des cas de paludisme permet aux communautés d’être plus productives donc plus fortes au plan économique.
Lire aussi : Un premier vaccin contre le paludisme en 2015 ?
Est-ce que vous sentez un désintérêt pour la lutte contre le paludisme?
Le paludisme est une maladie plusieurs fois millénaire. Il y a une lassitude qui s’est installée et une certaine passivité qui existe. La maladie peut être prévenue, traitée et guérie. Elle ne fait pas aussi peur que d’autres affections terribles. Le travail doit se poursuivre pour que les communautés puissent comprendre que le paludisme n’est pas un problème mineur. Le message doit passer du haut vers le bas, des décideurs politiques jusqu’aux enfants.
Qui sont les premières victimes du paludisme ?
Plus de 90 % des victimes en Afrique sont des enfants de moins de 5 ans.
Plus de 90 % des victimes en Afrique sont des enfants de moins de 5 ans. Des voix qui ne sont pas entendues… ils souffrent en silence ! De plus, le paludisme est intimement lié à la pauvreté. On peut parfaitement calquer la carte du paludisme à la carte de la pauvreté en Afrique pour évaluer l’incidence de la maladie. Les personnes les plus pauvres n’ont souvent pas accès à l’éducation. Elles ont ainsi de la difficulté à comprendre les différents messages et à frapper aux bonnes portes pour se faire soigner.
Comment le continent africain se positionne-t-il par rapport au reste du monde ?
C’est le continent le plus affecté par le paludisme : 80 % des cas d’infection sont concentrés en Afrique. En 2014, les gouvernements ont augmenté leur budget de lutte contre la malaria de 4 % mais cela reste insuffisant. C’est possible d’arriver à zéro décès et de sauver des vies humaines mais pour y arriver, cela nécessite l’attention des donateurs, des communautés et un plus grand intérêt du secteur privé qui doit s’impliquer en matière de financements. Plusieurs pays africains ont rendu le traitement du paludisme gratuit pour les femmes enceintes et les enfants, et je crois qu’il est important de reconnaître ces efforts.
Quelle est la prochaine étape dans la lutte contre le paludisme ?
En septembre prochain, les Nations Unies adopteront des Objectifs de développement soutenables pour faire suite aux Objectifs de développement du millénaire. Nous espérons réussir à maîtriser le paludisme en 2030.
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