Kenya : le gouvernement accusé de « désinvolture » face aux menaces d’attentat
Le gouvernement kényan est accusé par des sources sécuritaires d’avoir pris « avec désinvolture » des menaces sur un risque élevé d’attentat peu avant l’attaque sanglante contre le centre commercial Westgate de Nairobi, il y a tout juste une semaine. Une soixantaine de personnes restent portées disparues après le carnage commis par un commando islamiste qui a fait au moins 67 morts et 240 blessées, selon un bilan provisoire.
Des sources sécuritaires de haut niveau ont affirmé à l’AFP qu’un rapport du renseignement kényan, le NIS, avait été diffusé à plusieurs ministères et aux chefs des différents services de sécurité avant le drame, prévenant d’un projet d’attaque de grande ampleur courant septembre. Parmi d’autres, "Israël avait prévenu d’attaques possibles contre ses intérêts économiques" au Kenya, mais "à part transmettre (le rapport du NIS) d’un bureau à l’autre, rien n’a été fait", a asséné une de ces sources.
Depuis fin 2012, plusieurs autres rapports du NIS avaient déjà fait état "de menaces sur des objectifs précis, y compris le Westgate", a précisé un autre responsable sécuritaire de haut rang sous couvert d’anonymat, "mais personne ne semblait les prendre au sérieux".
"Désinvolture"
"Personne ne peut dire qu’on n’avait pas été prévenus", a souligné ce haut responsable. La première source sécuritaire enfonce le clou: "Ce type de rapports est diffusé à l’ensemble du gouvernement (…) mais ils les prennent toujours avec désinvolture. Ils doivent tirer une leçon de tout ça et commencer à prendre les choses au sérieux".
Ces accusations tombent alors que l’opinion publique critique de plus en plus l’impréparation des autorités kényanes. Des députés kényans veulent relever de ses fonctions Michael Gichangi, chef du NIS, parce qu’il n’a pu prévenir l’attaque. Ils doivent l’auditionner lundi.
Samedi matin, les trois principaux quotidiens kényans, Le Nation, le Standard et le Star, publiaient des extraits du rapport du NIS sur l’imminence d’un attentat, dont le contenu a été confirmé à l’AFP par les sources sécuritaires. Ce document contient des avertissements d’Israël et "d’autres partenaires étrangers en matière de renseignement", d’après ces sources. Outre Israël, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont les principaux partenaires sécuritaires du Kenya.
Selon le quotidien Nation, les ministères des Finances, de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de la Défense, ainsi que le chef de l’armée, avaient notamment reçu le rapport, qui pointait "un risque élevé de terrorisme" courant septembre. Le rapport ajoute que l’ambassade d’Israël à Nairobi avait directement informé le gouvernement kényan des projets d’attaques contre des intérêts israéliens.
Le Westgate est partiellement détenu par des capitaux israéliens et était depuis longtemps cité par les sociétés de sécurité comme une cible potentielle de groupes liés à Al-Qaïda – tels les insurgés islamistes somaliens shebab qui ont revendiqué l’attaque, l’expliquant comme des représailles à la présence militaire du Kenya en Somalie. Les services israéliens jouent un rôle important dans l’enquête en cours sur l’attaque du Westgate.
Nombreuses questions en suspens
Après trois jours de deuil national, des cellules de soutien psychologique continuaient samedi d’accueillir des survivants et des proches de victimes du Westgate. Il y a tout juste une semaine, un commando armé avait attaqué à l’arme automatique et à la grenade le luxueux centre commercial, abattant employés et clients et s’y retranchant avec des otages. Au moins 61 civils et six membres des forces kényanes ont péri. La fin des opérations militaires contre les assaillants ont été annoncées officiellement mardi soir. La confusion régnait toujours samedi sur le sort de la soixantaine de personnes portées disparues depuis l’attaque.
Des informations contradictoires ont filtré toute la semaine sur la présence de cadavres sous les décombres du bâtiment dévasté par les balles, les explosions et les flammes. "Aux premières heures de l’attaque ce samedi fatidique, nous sommes allés" au centre commercial, et "nous avons trouvé des survivants mais aussi de nombreux cadavres", a raconté le chef de la Croix-Rouge kényane, Abbas Gullet. "Le sens commun vous dit d’aider les survivants (…) et que vous pourrez venir chercher les cadavres plus tard", a-t-il poursuivi. "Et c’est ce qui s’est passé", a-t-il ajouté. "Donc maintenant nous avons des cadavres là-bas". Même s’ils sont enfouis sous les blocs de bétons qui se sont effondrés.
Les enquêteurs kényans, aidés par des enquêteurs occidentaux et Interpol, continuent de passer au peigne fin les étages du Westgate dont une partie, frappée par un violent incendie pendant le siège, s’est effondrée. La confusion des Kényans vient de ce que le ministre de l’Intérieur, Joseph Ole Lenku, assure depuis mercredi qu’il ne reste qu’un nombre "marginal" de corps dans le bâtiment. Le sort des disparus n’est pas la seule question sans réponse.
L’identité et le sort des assaillants restent inconnus. Cinq ont péri pendant le siège. Des informations de presse ont fait état de l’implication d’une Britannique, Samantha Lewthwaite, veuve d’un des kamikazes des attentats de Londres en 2005. Des sources diplomatiques ont indiqué que pour l’instant, aucune preuve n’existait de son implication. L’attaque du Westgate est le pire attentat au Kenya depuis celui contre l’ambassade américaine en 1998, au cours de laquelle plus de 200 personnes étaient mortes.
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