Séisme : Haïti a échappé au pire
Jean Marie Théodat est Géographe, enseignant à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et à l’École normale supérieure de Port-au-Prince.
Le chaos attendu ne s’est pas produit. Peu à peu, Port-au-Prince reprend visage humain. Ses habitants recommencent à aller au cinéma, à chanter, à lire et à créer. La capitale haïtienne a toujours été extrêmement gaie. Profondément ancrés dans la culture locale, l’optimisme et l’appétit de vivre ont certes été profondément éprouvés par le séisme, mais n’ont pas disparu. Les critiques contre la lenteur de la reconstruction sont nécessaires pour aller de l’avant, mais il faut faire l’effort de voir les Haïtiens à hauteur d’homme, non avec un regard méprisant venu d’en haut – qui est souvent celui de la presse internationale. C’est à ce prix qu’il est possible de mieux comprendre la situation du pays.
Deux ans après le tremblement de terre, il est beaucoup trop tôt pour dresser un bilan de la reconstruction. D’abord, à cause de l’ampleur de la catastrophe, qui a fait 300 000 morts et réduit en poussière 75 % de Port-au-Prince et 80 % de Léogâne. Elle a jeté à la rue 1,5 million de personnes, contraintes de vivre dans des abris provisoires, sous des bâches écrasées de soleil. Alors que 80 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour, comment ces deux villes pourraient-elles être déjà reconstruites ?
Ensuite, parce que la communauté internationale, qui a décaissé 5 milliards de dollars sur les 10 milliards promis, a ses propres difficultés. Les États européens, et notamment la France, l’un de nos principaux partenaires économiques, financiers et culturels, sont confrontés à une crise de leur dette souveraine. Nous ne pourrons donc plus compter à l’avenir sur la seule générosité internationale. La tâche sera longue et difficile. Le chemin parcouru est certes insuffisant, mais aurions-nous pu aller plus vite avec nos pauvres moyens ?
À force de présenter Haïti à la fois comme un État effondré et comme le champ d’action par excellence des organisations non gouvernementales, on a eu tendance à attendre de ces dernières qu’elles fassent des miracles. Or je ne connais pas de pays qui se soit relevé uniquement à coups de dollars. Je ne donne pas non plus dans la chorale ingrate qui reproche à de jeunes gens leur engagement civique et fraternel. Si les ONG n’avaient pas été là, la situation aurait été pire, mais il est évident que ce n’est pas avec elles seules que nous reconstruirons notre pays. Les Haïtiens n’ont d’ailleurs pas attendu leur arrivée pour commencer à déblayer les décombres. Lorsque je traverse Port-au-Prince, je vois un peuple courageux, qui a pris en main son destin, qui travaille huit heures par jour pour un maigre salaire et qui, armé de burins et de marteaux, s’acharne à démolir des édifices en ruine.
Je ne connais pas de pays qui se soit relevé uniquement à coups de dollars.
Enfin, j’estime que l’action de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti, dont le mandat a pris fin en octobre, a été globalement positive. Mais il était temps que cette instance internationale passe le relais au pouvoir haïtien.
Donnons du temps au président Martelly. Ne disposant d’une majorité ni à l’Assemblée des députés ni au Sénat, il lui a fallu quatre mois pour former un gouvernement. Tous les membres de la haute administration, dans les directions générales ou les cabinets techniques, n’ont pas encore été nommés. Il serait donc, là encore, prématuré de dresser un bilan et de condamner un gouvernement qui n’en est qu’à ses balbutiements. Michel Martelly a eu le courage de s’engager et de faire des promesses. Il faut lui donner une chance de les tenir. Pour l’instant, les décisions prises vont dans la bonne direction. La moitié des 10 000 tonnes de gravats qui encombraient Port-au-Prince ont été déblayés, et l’épidémie de choléra a été jugulée. Sur le plan éducatif, un programme de scolarisation de 200 000 enfants a été engagé. Le président n’a peut-être pas tous les moyens de ses ambitions, mais les Haïtiens ont enfin l’impression que quelqu’un au Palais se penche sur leurs problèmes.
Le pessimisme est dans l’air du temps. Mais je n’ai jamais cru qu’Haïti soit victime d’une malédiction. Il paraît parfois avoir été ramené au Moyen Âge, il faudra être patient, mais les Haïtiens croient profondément que leur avenir sera meilleur.
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