Rébellion touarègue : Gao, QG de l’armée et dernier rempart avant les combats au Nord-Mali
Reportage à Gao au Mali. C’est là que l’armée a installé son QG. Là qu’affluent des milliers de réfugiés chassés par les combats. Là enfin que pourrait se jouer l’avenir de l’Azawad, ce vaste territoire du Nord où militaires et rebelles touaregs s’affrontent, depuis la mi-janvier.
« Ceux qui ne s’inquiètent pas ne mesurent pas la gravité de la situation. »* Au Mali, Assarid Ag Imbarcaouane est le numéro deux de l’Assemblée nationale. Il est aussi originaire de Gao, aux portes de ce Nord dont les rebelles touaregs revendiquent l’indépendance, depuis qu’ils ont attaqué Ménaka, le 17 janvier. Lui, ce qui le préoccupe, c’est la chute du camp militaire d’Amachach, aux abords de la ville de Tessalit. Réputé imprenable, il est tombé le 10 mars aux mains du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Deux mois et demi de siège qui ont contraint Bamako à solliciter l’aide des États-Unis et de l’Algérie, le 15 puis le 28 février, pour assurer le ravitaillement des militaires et de leurs familles. Une grande victoire pour les combattants du MNLA, dont beaucoup sont d’anciens membres de la Légion verte de Mouammar Kadhafi et dont le drapeau flotte désormais sur le mât de la garnison. L’armée insiste, affirme que c’est « une non-défaite », et maintient que l’évacuation s’est faite pour des raisons humanitaires, mais le choc est rude pour le moral des troupes. Surtout, les yeux se tournent maintenant vers Kidal et Gao, dont les garnisons figurent en tête de la liste des places fortes que convoitent les rebelles.
C’est à Gao justement que l’armée a établi son quartier général (1 100 hommes y sont stationnés). C’est là aussi que sont soignés les militaires blessés au combat – les cas les plus graves sont évacués vers Bamako. Le chef d’état-major des armées, le général Gabriel Poudiougou, a été rappelé dans la capitale malienne le 30 janvier, mais le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Kalifa Keïta, est resté sur place, à la tête de ce camp qui – ironie de l’histoire – porte le nom de Firhoun Ag Alinsar, héros touareg de la lutte anticoloniale.
Ceux qui ne s’inquiètent pas ne mesurent pas la gravité de la situation.
Assarid Ag Imbarcaouane, numéro deux de l’Assemblée nationale
Check-point. Nous sommes en mars et, en dépit de l’heure matinale, un char d’assaut au pot d’échappement fumant est déjà de sortie. Il fait un, deux tours sur le terrain sablonneux qui borde le camp, avant de regagner l’enceinte de la caserne. Une heure auparavant, c’est un avion de reconnaissance qui a pris son envol depuis l’aéroport mitoyen de Korogoussou.
Entre Gao et Bamako, 1 400 km de bitume de qualité inégale. Le voyageur traverse des paysages de plus en plus arides, avant de déboucher sur la bourgade de Wabaria et son check-point. Ensuite, il faut passer le contrôle de gardes méticuleux aux équipements flambant neufs. Le soleil tape, le vent charrie la poussière… On est à la lisière du désert, dans une région où 50 km peuvent séparer deux points d’eau et où l’on peut passer une journée sans croiser âme qui vive.
Il fait encore frais et la ville est aussi paisible qu’à son habitude. En apparence seulement, car derrière le rituel de l’eau offerte au voyageur et les sourires aimables pointe l’inquiétude des Gaois, parmi les premiers à sentir les contrecoups de cette guerre fratricide.
Ici, on évite de parler des tribus qui s’affrontent sur le champ de bataille et l’on préfère rappeler que Songhaïs (plus de 75 % de la population), Arabes, Bozos, Peuls et Touaregs cohabitent en bonne intelligence depuis des siècles. Personne n’aime admettre que les Ifoghas, les Idnanes et les Chamanamasses constituent le gros des troupes du MNLA, tandis que ce sont surtout des Imghads qui combattent dans l’armée malienne. À Gao, on craint de raviver les tensions ethniques. Et il ne viendrait à l’idée de personne de traiter les rebelles de « bandits armés », comme le font les autorités ou la presse locale. « Les gens sont partagés, explique Mahoudou Touré, un instituteur de Gao. Ils ne connaissent pas les tenants et les aboutissants de cette nouvelle rébellion, mais souvent, ils ont un cousin ou un ami qui en fait partie. Tout comme ils ont un cousin ou un ami dans le camp Firhoun. »
Si l’on en croit les chiffres officiels, au moins 18 000 personnes ont trouvé refuge à Gao depuis le début des combats. Elles viennent de toute la région : de Bourem, de Niafunké, de N’tillit ou d’Andéramboukane – des villes attaquées courant janvier, parfois assiégées durant quelques heures seulement, mais dont le MNLA affirme qu’elles sont toujours sous son contrôle. Des déplacés parfois difficiles à identifier et à recenser, « puisqu’ils s’installent souvent auprès de leur famille et qu’ils se débrouillent par leurs propres moyens », explique le chef de la sous-délégation locale du Comité international de la Croix-Rouge, Attaher Zacka Maïga.
Des déplacés comme Yahya, 58 ans, éducateur à Ménaka. Il a déjà vécu les rébellions des années 1990 et de 2006. « En 1991, se souvient-il, les rebelles ont terrorisé les populations. Ils volaient le bétail, tiraient dans tous les sens. Mais cette fois, il y a quelque chose de différent. Ils ne s’attaquent pas directement à la population, mais ils pillent les bâtiments publics, les casernes, les écoles… » Il n’empêche. Cette fois, Yahya a préféré partir. À Gao, où il est arrivé au début du mois de février, il a élu domicile dans une maison sans électricité, en compagnie de sa femme et de leurs cinq enfants. Pas trop le choix : son école a été déplacée à Gao, et, s’il voulait continuer de percevoir son salaire, il fallait déménager. « La direction de l’académie nous a dit que ceux qui restaient à Ménaka ne seraient pas payés », affirme-t-il. Et il avait peur pour ses filles. Bien que le MNLA se défende de telles accusations, Asta (le nom a été changé), une jeune Songhaï de 19 ans, affirme avoir été enlevée et violée par des combattants quand ils ont su qu’elle était en couple avec un militaire bambara. « Ils ont braqué un fusil sur mon père et m’ont fait monter dans leur pick-up pour m’emmener chez leur chef. Il m’a dit qu’à partir de ce jour j’étais sa femme. »
Faire rentrer l’argent. Depuis la fin du mois de janvier, Ménaka est passé sous le contrôle du colonel Iba Ag Moussa (alias Bamoussa), déserteur de l’armée malienne et combattant du MNLA. Une nouvelle administration gère la ville. Chef de bataillon, préfet et agents de police… Tous ont été nommés par le MNLA. Comment sont-ils payés ? Le porte-parole du mouvement élude, évoque les « bonnes volontés au service de la cause » et assure que les plus fidèles – combattants ou membres du bureau politique du MNLA – ont vendu certains de leurs biens pour faire rentrer l’argent. Une chose est sûre, souligne un travailleur humanitaire, « les rebelles essaient d’instaurer une relation de confiance avec les populations. Ils paient leurs achats comme tout le monde, ils ont rétabli l’électricité et ils diffusent des messages à l’intention des Tamasheqs pour qu’ils reviennent chez eux ».
En terrain conquis
Le Mali est-il ouvert aux quatre vents ? Le 11 mars, deux appareils mauritaniens à hélice de type Tucano basés à Néma ont attaqué un convoi de véhicules à 70 km au nord de Tombouctou. Selon Nouakchott, il s’agissait de la colonne d’un émir d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Yahya Abou Hammam. Le raid aurait fait plusieurs morts. Selon deux sources maliennes, les pilotes se seraient trompés de cible et auraient blessé des civils.
Depuis la vaine tentative de libérer l’otage français Michel Germaneau, en juillet 2010, les raids mauritaniens au Mali sont fréquents. Le président malien ne s’en offusque pas. « La clé du succès contre Aqmi, c’est la maîtrise de l’espace, dit-il. Voilà pourquoi j’accepte qu’un détachement mauritanien lancé aux trousses d’un convoi suspect exerce son droit de poursuite sur notre territoire, sans même attendre le feu vert » (L’Express, 26 octobre 2011). Le problème, c’est que ce droit de poursuite ne marche que dans un sens… Christophe Boisbouvier
Car cette fois, les enjeux de la rébellion sont bien différents. Il ne s’agit plus seulement d’obtenir l’intégration de Touaregs dans l’administration et dans l’armée, ou de confier la sécurité du nord du Mali aux Touaregs, comme le prévoient le pacte national signé en 1992 et les accords conclus en 2006 à Tamanrasset (Algérie). En jeu, aujourd’hui, l’indépendance de l’Azawad, terre mythique dont les frontières diffèrent que l’on soit Songhaï ou Touareg. Pour les premiers, le territoire se limite à la région située au nord de Tombouctou. Pour les seconds, il est bien plus vaste et englobe les trois régions de Kidal, Gao et Tombouctou – pas moins de 800 000 km2, soit les deux tiers du pays, pour seulement 1,4 million d’habitants, à peine le dixième de la population malienne. Quelle en serait la capitale ? Serait-ce une république ? « Nous n’avons pas encore tranché sur toutes ces questions, rétorque Mahmoud Ag Ghali, président du bureau politique du MNLA. Chaque chose en son temps. Nous déciderons au moment opportun et dans le pur respect des procédures démocratiques. »
Un point toutefois ne fait d’ores et déjà plus débat : cet État serait islamique. Le MNLA nie toujours s’être allié aux salafistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Il reconnaît en revanche que le groupe islamiste Ansar Dine, fondé par Iyad Ag Ghali, figure historique des précédentes rébellions touarègues, a combattu à ses côtés à Aguelhok, en janvier. Ansar Dine revendique 300 combattants (il les appelle « moudjahidine ») et peut compter sur le soutien d’Alghabass Ag Intalla, fils de l’influent chef des Ifoghas. Par téléphone, depuis son fief d’Abeïbara, Intalla n’hésite pas à dire à Jeune Afrique qu’il se bat pour l’instauration de la charia dans le nord du Mali. À Bamako, où les négociations sont au point mort (des contacts ont été pris mais n’ont pas abouti, les rebelles refusant un cessez-le-feu), beaucoup y voient une preuve supplémentaire des liens entre Aqmi et le MNLA.
À Bamako, on en veut à ces rebelles auxquels on a le sentiment d’avoir tout donné.
Suspicion. Pas étonnant que les Touaregs installés dans la capitale malienne se sentent pris entre le marteau et l’enclume. Considérés comme des traîtres par le MNLA et avec suspicion par le reste du pays, qui a le sentiment « de leur avoir déjà tout donné », ils ont été pris à partie, début février. « Je me sens impuissant, frustré et amer », lâche Mohamed Ag Erlaf, directeur de l’Agence nationale d’investissement des collectivités territoriales (Anict) et coordonnateur du Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement du Nord-Mali (PSPSDN). Lui a fait partie de la première vague de Touaregs nommés ministres après la signature du pacte national. Il a passé dix ans au gouvernement. « En vingt ans, plus de 1 500 milliards de F CFA [2,3 milliards d’euros, NDLR] ont été investis dans le Nord, dans les infrastructures routières, sanitaires ou scolaires, énumère-t-il. Mais la zone est si vaste, les villages parfois si éloignés les uns des autres que certains ont l’impression que l’État ne fait rien. » À demi-mot, il reconnaît aussi que, bien trop souvent, des fonctionnaires mutés dans le Nord ont délaissé leur poste. « Nos régions génèrent malheureusement peu de richesses et l’on se demande de quoi pourrait vivre un État indépendant. »
Des ressources du sous-sol peut-être ? Les prospections menées dans le Nord sont encourageantes. Les 5 bassins sédimentaires du Mali ont été divisés en 29 blocs, dont 5 alimentent les espoirs d’entreprises minières italiennes et anglo-australiennes. Elles rêvent de manganèse, d’uranium, de pétrole et même de gaz, « mais nous n’avons aucune certitude tant qu’il n’y a pas de forages, insiste un expert de l’Autorité pour la promotion de la recherche pétrolière au Mali (Aurep). Et quand bien même il y en aurait, toute cette insécurité n’encouragerait aucun investisseur ».
« C’est bien le drame de ces régions, se désole Malick Alhousseini, secrétaire général du Collectif des ressortissants du Nord (Coren). D’une part, nous blâmons l’État et sa prétendue inaction, de l’autre, nous faisons monter l’insécurité. Nous sommes à la fois les victimes et les bourreaux. »
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Malika Groga-Bada et Baba Ahmed, envoyés spéciaux à Gao
* Ce reportage a été réalisé juste avant le coup d’État du 22 mars au Mali et publié dans le J.A. n° 2671.
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