Tunisie : ERT, naissance d’une radio libre
Changement de direction, réorganisation des programmes, formation du personnel… Depuis la chute de Ben Ali, l’ancienne station d’État, l’ERT, apprend à se mettre au service du public tunisien.
Fondé il y a plus de soixante-dix ans, l’Établissement de la radio tunisienne (ERT) est une vénérable maison. Mais la révolution du 14 janvier 2011 a bousculé la donne. Hier perçu comme la voix du maître désormais déchu, l’ERT découvre aujourd’hui une liberté d’expression avec laquelle il doit composer. Changement de direction, formation du personnel, réorganisation des programmes, l’indispensable réforme des quatre fréquences nationales et des cinq fréquences régionales du groupe a imposé un vaste chantier.
Depuis le 25 janvier 2011, le maître d’oeuvre en est Habib Belaïd, voix historique de la RTCI, la chaîne internationale du groupe, rattrapé dans sa retraite par cette mission herculéenne. « Sans attendre la nouvelle Constitution, nous avons dû passer d’une radio d’État à une radio de service public », explique-t-il. Habitués à présenter de lénifiants comptes rendus d’inaugurations, de tournées et de discours d’un président dont il ne s’agissait que d’encenser les mérites, les journalistes de l’ERT ont dû faire leur propre révolution. « Les panégyristes de Ben Ali se sont effacés d’eux-mêmes, nous nous sommes ouverts à la société civile et avons donné la parole aux citoyens », souligne Habib Belaïd. Balbutiant, l’ERT nouveau a convoqué à son chevet des spécialistes internationaux comme la Fondation Hirondelle, ONG suisse de soutien aux médias dans les zones de crise. « Cinquante ans de dictature ne s’effacent pas ainsi, mais les journalistes sont très professionnels et les choses ont pu évoluer rapidement », estime avec optimisme Yves Laplume, délégué de l’ONG auprès de l’ERT.
Le verdict sans complaisance de l’audimètre salue une transition jusqu’à présent réussie. Selon Hassen Zargouni, qui dirige l’agence de sondage tunisienne privée Sigma Conseil, « la Radio nationale voyait ses audiences baisser d’année en année, mais, depuis le 14 janvier 2011, elles sont passées de 450 000 à 830 000 auditeurs par jour ». En un peu plus de un an, la voix du régime est devenue celle du peuple, mais Habib Belaïd met en garde. « Il faut rester vigilant, le retour de manivelle peut venir très vite », dit-il.
"Nous ne recevons plus d’instructions du régime"
Ces derniers temps, l’expression de la démocratie ne semble plus passer par la liberté d’expression. Condamnation du rédacteur en chef du journal Attounsia pour avoir publié en une la photo d’une femme seins nus, procès contre le patron de la chaîne Nessma TV pour « atteinte au culte religieux » après la diffusion du film Persepolis, passage à tabac de journalistes… Le syndicat national de la profession dénonce l’instauration d’un climat de peur. Habib Belaïd se veut pourtant rassurant : « Nous ne recevons plus d’instructions du régime, et il n’y a plus de pressions, ni du pouvoir en place ni des partis politiques. » Mais il concède que, du côté des journalistes, certains réflexes ont la peau dure. « Une certaine autocensure est parfois perceptible sur nos fréquences. Certains peuvent être encore tentés de plaire au pouvoir en place », ajoute-t-il.
L’ERT est aussi confronté au risque inverse, celui des dérapages que peut entraîner l’expression enthousiaste d’une liberté nouvelle. Habib Belaïd reconnaît que les journalistes manquent encore d’expérience pour encadrer les interventions libres d’auditeurs qui peuvent parfois verser dans la diffamation. Enfin, la rumeur s’est imposée dans la Tunisie postrévolutionnaire, et l’ERT s’est fixé l’objectif impératif de la combattre : « Nous en avons pris le contre-pied en lançant une émission, De la rumeur à la réalité, qui choisit un ragot et en décrypte la part de vrai et de faux. » Censure rampante, autocensure persistante, dérapages verbaux, les écueils qui guettent l’ERT dans sa nouvelle mission de service public restent nombreux. Mais les journalistes comptent bien défendre les acquis de la révolution, à l’image de Sonia Attar : « Nous craignons pour l’avenir de notre liberté, mais pourra-t-on revenir en arrière ? Jamais ! » affirme-t-elle.
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Laurent de Saint Périer envoyé spécial à Tunis
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