Livres : regards croisés sur la guerre d’Algérie
À l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, de nombreuses publications reviennent sur le conflit armé qui l’opposa à la France. Décryptage.
Fin 2011, on annonçait qu’entre 100 et 150 ouvrages consacrés de près ou de loin à la guerre d’Algérie devaient paraître en France avant la célébration du 50e anniversaire de l’indépendance début juillet. Arrivé à la mi-temps de cette période, la promesse paraît en voie d’être tenue, voire dépassée. Une bonne moitié des ouvrages publiés évoquent l’exode et, plus généralement, le sort des pieds-noirs à la fin de la guerre, comme "Ni valise ni cercueil", de Pierre Daum, qui rappelle utilement qu’un petit quart des « Européens » (environ 200 000) ont fait le pari de l’Algérie algérienne à l’été 1962, ou Oran, 5 juillet 1962, de Guillaume Zeller, et Un silence d’État, de Jean-Jacques Jordi, qui se penche sur les victimes civiles européennes d’attentats ou de tueries à la mi-1962. Les autres se répartissent entre essais et documents moins « ciblés » – inédits ou réédités, avec notamment les livres des Éditions de Minuit interdits pendant la guerre – dont les auteurs sont plus souvent des journalistes ou des témoins de cette guerre que des historiens.
On attendait surtout avec curiosité le livre de mémoires de Bertrand Le Gendre, Confessions du no 2 de l’OAS, entretiens avec Jean-Jacques Susini. Ce jusqu’au-boutiste de l’Algérie française fut la tête pensante de l’Organisation de l’armée secrète (OAS). Sans véritables révélations fracassantes ou obligeant à relire différemment l’histoire de la fin de la guerre d’indépendance, ce récit saisissant décrit de l’intérieur la genèse, la création, l’organisation et la « vie quotidienne » de l’OAS. Il confirme surtout, au-delà de tout ce que l’on pouvait imaginer, l’aspect fanatique, coupé de toute réalité, des activités de ses dirigeants, civils ou ex-militaires.
Bibliographie sélective
Oran, 5 juillet 1962, de Guillaume Zeller, Tallandier, 272 pages, 16,90 euros
Un silence d’État. Les disparus civils européens de la guerre d’Algérie, de Jean-Jacques Jordi, Éditions Soteca, 200 pages, 25,40 euros
Confessions du no 2 de l’OAS, entretiens de Bertrand Le Gendre avec Jean-Jacques Susini, Les Arènes, 192 pages, 17,50 euros
La Guerre de l’ombre, de Laurent Chabrun, Éditions Jacob-Duvernet, 208 pages, 19,90 euros
L’Arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie, de Matthew Connelly, Payot, 512 pages, 30 euros
Algérie : des « événements » à la guerre, de Sylvie Thénault, Le Cavalier bleu, 208 pages, 18 euros
Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale, de Sylvie Thénault, Odile Jacob, 384 pages, 26,30 euros
Ni valise ni cercueil, de Pierre Daum, Actes Sud, 432 pages, 24 euros
Jacques Chevallier, l’homme qui voulait empêcher la guerre d’Algérie, de José-Alain Fralon, Fayard, 312 pages, 20 euros, à paraître le 9 mai
Guerre d’Algérie : mémoires parallèles, Le Monde hors-série, 100 pages, 7,50 euros
Harkis, 1962-2012, Les Temps modernes n° 666, 318 pages, 19,50 euros
S’agissant, d’abord, de la préparation du putsch militaire de 1961 qui entendait refuser le choix de leur destin par l’autodétermination aux Algériens, on apprendra à quel point ceux de ses promoteurs qui étaient, comme Susini, réfugiés en Espagne ont reçu l’appui des plus extrémistes parmi les Franquistes. On pourra être surpris ensuite par l’amateurisme incroyable de ces généraux et de leur entourage qui ont cru pouvoir défier le pouvoir à Alger comme à Paris sans même s’assurer le soutien effectif de l’armée française, qui, dans sa grande majorité – le principal régiment étranger de parachutistes mis à part -, refusera de suivre les auteurs du pronunciamiento et restera fidèle à de Gaulle.
La politique de "terre brûlée" de l’OAS
Susini, qui ne manifeste jamais ne serait-ce qu’une esquisse de remords pour les victimes, paraît avoir joué un rôle « modérateur » dans la politique de « terre brûlée » menée par l’OAS entre mars et juin 1962. À la veille de l’indépendance, voyant que le combat était définitivement perdu, il proposa au Front de libération nationale (FLN) de passer un accord de cessez-le-feu en échange d’une sorte de reconnaissance de l’OAS, d’une amnistie pour ses troupes et de garanties nouvelles pour la communauté « européenne » qui resterait sur place après l’indépendance. Mais, contrairement à ce qu’il dit ou sous-entend dans ses « confessions », il n’obtint rien de plus que ce qui avait été prévu à Évian, comme le prouvera si nécessaire sa rapide fuite en bateau vers l’Italie à la mi-juillet, grimé et sous une fausse identité. Sur ces prétendus accords, on en apprendra beaucoup plus avec la biographie de Jacques Chevallier, l’ex-maire « libéral » d’Alger qui servit à cette occasion d’intermédiaire de bonne volonté pour sauver des vies entre Susini et le docteur Chawki Mostefa, le représentant du FLN dans l’« exécutif provisoire » mis en place en vertu des accords d’Évian.
En métropole, les affrontements ne furent souvent pas moins violents qu’outre-Méditerranée, comme le montre La Guerre de l’ombre. Cet ouvrage raconte, à partir d’archives inédites du ministère français de l’Intérieur, la lutte menée par les policiers contre la Fédération de France du FLN sur tout le territoire au fur et à mesure de son implantation. Mais il dévoile aussi les notes des Renseignements généraux qui rendaient compte aux autorités à Paris des résultats de cette lutte, des affrontements entre le FLN et ses rivaux nationalistes du Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj, ainsi que des tentatives du pouvoir gaulliste pour affaiblir ou diviser les indépendantistes. Ainsi apparaît-il à quel point les services de police et ceux qu’elle inondait de « synthèses » et autres « rapports » disposaient d’énormément d’informations et se trompaient régulièrement dans leurs analyses, souvent pour le plus grand profit du FLN. Ils surestimaient notamment l’influence et la capacité d’action de Messali Hadj, que les autorités françaises espéraient voir jouer le rôle de « troisième force » lors d’une éventuelle négociation. Les Renseignements généraux étaient obsédés par une supposée allégeance du FLN envers le bloc communiste et supposaient que les attentats spectaculaires du FLN contre des objectifs militaires et économiques en août 1958 préparaient une offensive généralisée qui bien sûr n’eut jamais lieu…
Mais c’est loin d’Alger et de Paris, à Washington et à l’ONU, que le FLN a surtout remporté sa victoire, d’abord politique et diplomatique.
Mais c’est loin d’Alger et de Paris, à Washington et à l’Organisation des Nations unies (ONU), à New York, en particulier, que le FLN a surtout remporté sa victoire, avant tout politique et diplomatique, explique avec force détails l’historien américain Matthew Connelly dans L’Arme secrète du FLN et dans une contribution à un hors-série du Monde paru à l’occasion de l’anniversaire des accords d’Évian du 18 mars 1962. Des accords qui, contrairement à ce qu’on dit le plus souvent, ont été pour l’essentiel appliqués, même si la politique de la terre brûlée de l’OAS et le départ inattendu de la grande majorité des Européens dès la mi-1962 les ont vidés en grande partie de leur contenu – bien avant que les dirigeants algériens ne les remettent petit à petit en question.
Massacres de 1962
Cette supposée non-application des accords d’Évian est l’une des nombreuses idées reçues sur la guerre que remet en question l’historienne Sylvie Thénault (Algérie : des « événements » à la guerre). Elle relève les erreurs ou les approximations les plus courantes. Parmi celles-ci, notamment, les idées répandues selon lesquelles « l’Algérie coûtait plus cher à la France qu’elle ne lui rapportait », « tous les Algériens ne souhaitaient pas l’indépendance », « la violence est une permanence de l’histoire de l’Algérie », ou encore « la torture était nécessaire » pour sauver des vies humaines. Thénault propose d’ailleurs une autre réfutation sans appel de ces idées toutes faites dans un ouvrage plus savant, Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale.
Signalons enfin le remarquable numéro des Temps modernes consacré aux harkis et qui entend faire une distinction entre « les mythes et les faits » au sujet de leur sort en Algérie comme en France. Pour ramener à un niveau vraisemblable – 25 000 morts ? – le bilan des massacres en 1962 des supplétifs de l’armée française que, culpabilité aidant, on a trop souvent tendance à surestimer de nos jours en France (jusqu’à 150 000 morts !). Mais surtout pour aider, au-delà des visions manichéennes, à comprendre les motivations complexes de l’engagement auprès des Français de ces si nombreux parias de la guerre (probablement de 300 000 à 500 000 hommes au total pour des rôles et des durées très divers pendant tout le conflit, avec un maximum de 60 000 à un moment donné). Des parias qui n’étaient certainement pas tous simplement des traîtres et qui le plus souvent ne méritent pas, comme le montre bien la contribution de l’historien Mohammed Harbi, d’être comparés aux « collabos » français de la Seconde Guerre mondiale.
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