Bénin : Cyprien Tokoudagba, héritier des rois et des dieux
Révélé à l’Occident lors de l’exposition parisienne « Magiciens de la terre », le peintre et sculpteur d’Abomey au Bénin était un initié du vaudou.
Il était un monument à lui tout seul. Le peintre et sculpteur béninois Cyprien Tokoudagba, très affaibli depuis des mois, est décédé le 5 mai 2012. Il était né à Abomey en 1939 – même s’il prétendit longtemps être né en 1954 pour ne pas prendre sa retraite…
Artiste autodidacte n’ayant été formaté par aucune école, Tokoudagba s’est tôt passionné pour le dessin, avant d’apprivoiser le modelage en terre glaise puis la sculpture en ciment. Très vite, il est devenu « l’homme qui savait décorer », et sa réputation dans la région est allée grandissant. Au point d’être sollicité pour restaurer un temple vaudou. Initié, adepte du dieu des eaux terrestres Tohossou, il disait : « Quand j’étais jeune, on m’a envoyé voir un prêtre vaudou, un maître. C’est un point de non-retour, on a appris à faire de la magie, à utiliser la force des mots, à créer des envoûtements efficaces et l’on a appris les secrets des plantes. » (Catalogue d’« Africa Remix », 2005). Son père voulait qu’il devienne tailleur, mais il a commencé sa carrière en réalisant des peintures et des sculptures dans des temples. En 1987, il est nommé restaurateur au musée d’Abomey. Deux ans plus tard, grâce au commissaire d’exposition et spécialiste de l’art contemporain dans les cultures non occidentales André Magnin, les oeuvres de Cyprien Tokoudagba sont présentées au Centre Pompidou à l’occasion de l’exposition « Magiciens de la terre ».
C’est aussi André Magnin qui a convaincu l’artiste d’utiliser la toile comme médium, lui ouvrant les portes des collectionneurs d’art. Dans un style qui n’appartient qu’à lui, Tokoudagba évoquait les rois, les dieux et leurs symboles, généralement sur fond blanc. Lui qui était lié à l’histoire du Bénin par ses ancêtres, dont certains avaient occupé des postes haut placés auprès des rois Ghézo, Glélé et Béhanzin, ne cessait d’approfondir son savoir et d’alimenter son imaginaire par des recherches dans les palais royaux.
En 2006, la toute jeune Fondation Zinsou lui avait consacré à Cotonou une exposition intitulée « Dahomey, rois et dieux » : il avait alors produit soixante-quatre peintures originales, conçu dix sculptures et construit un temple ! L’événement avait permis de faire mieux connaître son travail au Bénin. Marie-Cécile Zinsou, qui dirige la fondation, souligne l’importance de son travail : « Son oeuvre est moderne et profondément inspirée par notre passé. Il livre une version dahoméenne de notre histoire, ce qui est essentiel dans un pays qui a parfois tendance à s’en déconnecter pour ne regarder que vers l’avenir, les nouvelles technologies… » L’écrivain togolais Kangni Alem se souvient pour sa part de l’émotion ressentie face aux oeuvres du Béninois : « La première fois que j’ai vu sa statuaire, c’était au palais royal d’Abomey. J’ai eu cette réflexion : "Même les sourds comprendraient les murmures de ses statues." Pour moi, cet homme dessinait et sculptait pour les gens ordinaires ce qui relève du mystère de la tradition… »
Habité par son art, Tokoudagba avait créé chez lui son propre musée – en constante évolution. « C’était un personnage totalement sidérant, assez drôle, assez filou aussi, qui avait conscience de son rôle d’artiste, dit Marie-Cécile Zinsou. Ce qu’il faisait à Abomey, il pensait être le seul capable de le faire. Dieu lui avait confié cette tâche… » Le monument est devenu temple.
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