Sénégal : Aminata Touré, la justicière
Nouvelle garde des Sceaux, c’est elle qui supervise les audits censés faire la lumière sur la gestion du Sénégal pendant les années Wade. Avec une certitude affichée : Aminata Touré ira jusqu’au bout.
Les Sénégalais ne l’attendaient pas au poste de ministre de la Justice. Mais ils le reconnaissent : Aminata Touré (49 ans) en a l’étoffe. Personnalité forte au discours offensif, cette proche de Macky Sall n’hésite pas à ruer dans les brancards, apparaissant comme la pièce maîtresse de l’opération anticorruption à la sénégalaise. Premières victoires pour cette fille de médecin : l’audition les 3 et 5 juillet de Karim Wade, le fils de l’ancien président, et la transmission au parquet de plusieurs dossiers. Aujourd’hui c’est une nouvelle vague d’audits qui se profile. « Quelque 400 millions de F CFA [environ 610 000 euros, NDLR] manquent dans les caisses de l’État ; il faut les restituer s’ils sont dans des comptes privés… », prévient la ministre.
L’entourage de l’ancien président crie à la chasse aux sorcières. Aminata Touré réfute la théorie, précise que c’est au parquet de décider des suites judiciaires à donner aux différentes affaires et jure que la présomption d’innocence et les droits de la défense seront respectés. La militante des droits de l’homme, jadis active dans les milieux universitaires français de gauche, assure que la traque des détournements de fonds publics n’est pas devenue une obsession, mais un combat de principe. « Il faut briser le cercle vicieux corruption – pauvreté – sous-développement dans lequel les pays africains sont enfermés », insiste l’ancienne fonctionnaire des Nations unies, qui vient de déclarer un patrimoine de 777 millions de F CFA.
De nombreux chantiers
Bio express
1962 Naissance à Dakar
1982 Études en France
1988 Cadre à la Sotrac, la compagnie sénégalaise des transports publics
2003 Directrice au Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap)
2010 Dirige le cabinet de Macky Sall
2011 Intègre l’équipe de campagne du candidat
2012 Ministre de la Justice.
Mais si la plupart des Sénégalais apprécient la détermination de cette économiste, nombre d’observateurs se demandent jusqu’où elle sera autorisée à aller, les politiques sénégalais ayant coutume de naviguer d’un parti à l’autre. L’ancienne directrice de cabinet de Macky Sall ne doute pas que le président, dont elle a la confiance, lui laisse toute liberté. Elle a contribué à l’élaboration de son programme électoral, la lutte contre les biens mal acquis en étant l’un des points essentiels. La Dakaroise sourit : « La transhumance n’est pas un vaccin contre le recouvrement des sommes détournées. » Être dans le camp présidentiel ou proche d’elle non plus. Son ex-mari, Oumar Sarr, ministre de l’Habitat sous Wade et coordonnateur du Parti démocrate sénégalais (PDS), figure au nombre des personnes susceptibles d’être inquiétées. « Lorsqu’on administre la justice, on le fait avec froideur. Parfois aussi avec déchirement », reconnaît cette mère de trois enfants qui, au passage, ne cache pas ses difficultés à concilier vie privée et vie professionnelle.
Mais la véritable victoire serait sans doute de permettre à la Cour de répression de l’enrichissement illicite d’entrer enfin en action. Votée en 1981 sous Abdou Diouf, la loi qui a instauré cet organe s’avère aujourd’hui inapplicable parce que mal ficelée. Une révision de la loi permettrait de légiférer notamment sur les notions de blanchiment d’argent ou de conflit d’intérêts. Mais l’ancienne footballeuse ne veut pas voir son action réduite à cette opération mains propres. Elle insiste sur les nombreux chantiers en cours, comme ceux de la modernisation de la justice et de l’assainissement de l’environnement des affaires.
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