Angola : Manuel Vicente, dans l’ombre de dos Santos
Le 31 août, Manuel Vicente figurait en deuxième position sur la liste du parti au pouvoir pour les législatives… Juste derrière le président vieillissant, qui a été réélu avec près de 75 % des voix selon des résultats partiels. Et qui semble désormais se chercher un successeur.
Ces dernières semaines, il a troqué le costume-cravate pour la tenue de militant. Les austères rapports économiques pour les discours de campagne. La discrétion des coulisses du pouvoir pour les meetings politiques. À N’Dalatando (dans la province du Kwanza-Norte) au début du mois d’août puis à Malanje (à l’est de Luanda) quelques jours plus tard, Manuel Vicente a appelé la foule à voter en masse pour le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA) et pour son chef, le président José Eduardo dos Santos, au pouvoir depuis septembre 1979 et réélu le 31 août dernier. Un exercice auquel l’ancien patron de la compagnie nationale de pétrole, Sonangol, était jusque-là peu habitué.
Pourtant, depuis juin, le visage bonhomme derrière de petites lunettes rondes, Manuel Vicente a assumé pleinement son nouveau statut : celui de numéro deux de la liste MPLA pour les élections législatives du 31 août, remportées par le parti avec quelque 75 % des voix, selon des résultats partiels. La Constitution, modifiée en 2010, prévoit que le chef du parti vainqueur du scrutin devienne chef de l’État et le numéro deux, vice-président. Vicente s’apprête donc à être propulsé à la place, très convoitée, de bras droit et peut-être même de dauphin de dos Santos.
Âgé de seulement 56 ans, il incarne une nouvelle génération de dirigeants angolais. Issu de la classe moyenne luandaise, Manuel Vicente a fait des études d’ingénieur à l’université Agostinho-Neto, puis à l’Imperial College de Londres et aux États-Unis. De retour au pays, il est entré au ministère du Pétrole, où il a passé quatre ans comme chef du département technique, entre 1987 et 1991. À cette date, il est devenu directeur général adjoint de Sonangol, avant d’être nommé à sa tête en 1999. Il y est resté douze ans et a transformé une société vieillissante en un puissant groupe multinational, assurant de confortables revenus à l’État avec une production de près de 2 millions de barils par jour et investissant dans de multiples secteurs et sociétés étrangères.
Discret
Homme fort du pétrole angolais, il a vu son destin politique s’accélérer début 2012 quand il a été choisi par le président. Fin janvier, il a été fait ministre d’État chargé de la Coopération économique – un poste spécialement créé pour lui et qui le place au même niveau que deux personnalités très proches de dos Santos : le chef de la Maison civile, Carlos Maria Feijó, et le chef de la Maison militaire, le général Manuel Hélder Vieira Dias Júnior, dit Kopelipa.
À Luanda, la vieille garde digère mal l’ascension de l’homme fort du pétrole angolais.
Vicente est fidèle à sa réputation de discrétion. Sa première apparition officielle n’est survenue qu’en mai, lorsqu’il a présenté, au cours d’une conférence de presse, les résultats de l’exécutif pour le premier trimestre 2012 – une pratique inédite. Rapidement, sa promotion a alimenté les rumeurs. À Luanda, on l’a vite imaginé en deuxième position pour les législatives… Une nomination confirmée en juin lors de la publication de la liste du MPLA, sur laquelle l’actuel vice-président, Fernando da Piedade Dias dos Santos, dit Nandó, occupe la 15e place et Carlos Feijó, la 28e.
C’est la consécration pour Manuel Vicente, qui présente le profil du parfait héritier pour « Zédu », le surnom donné au président. Adoubé par lui, il est l’un de ses plus proches alliés. Reconnu dans les milieux économiques internationaux, il rassure les investisseurs et offre une image moderne de l’Angola.
Remous
Parrain de la fille du chef de l’État, la puissante Isabel dos Santos, Manuel Vicente fait partie de la famille. Lui transmettre le pouvoir permettrait au président angolais de s’assurer une retraite tranquille à l’abri d’éventuelles poursuites judiciaires pour corruption, loin des conflits avec les mécontents du MPLA. Car le choix de Manuel Vicente ne fait pas l’unanimité. Il provoque même des remous au sein du parti au pouvoir. Son ascension ne passe pas auprès de la vieille garde du MPLA, celle qui s’est battue pour l’indépendance du pays. « Manuel Vicente n’a jamais combattu, il n’a jamais été un homme fort du MPLA [il en a rejoint le bureau politique en 2009, NDLR]. Il n’a donc pas les prérequis habituels pour être soutenu par le parti », rappelle Markus Weimer, de l’institut Chatham House à Londres, spécialiste de l’Angola. Il ne dispose pas non plus d’appuis au sein de l’armée, à l’opposé de José Eduardo dos Santos, le « libérateur » et « pacificateur » du pays.
Son avenir n’est pas tout tracé. Ce ne serait pas la première fois que le président change d’avis.
Dans les coulisses du pouvoir, certains ont dû ravaler leur colère. L’actuel vice-président Nandó, numéro deux tout indiqué, a vu le poste lui passer sous le nez. Le secrétaire général du MPLA, Julião Mateus Paulo, dit Dino Matrosse, ne peut que constater la faiblesse du passé militant du camarade Vicente. Au MPLA, nombreux sont ceux qui lui reprochent son manque de charisme et son absence de popularité. Les mêmes soulignent qu’il existait, au sein de la jeune génération, bien d’autres successeurs plus légitimes, comme João Manuel Gonçalves Lourenço, membre du bureau politique du parti, ou le ministre de l’Administration du territoire, Bornito de Sousa Baltazar Diogo.
Conflits d’intérêts
Dernier point faible de Manuel Vicente, son image d’homme d’affaires mêlant intérêts publics et privés. Possédant des participations dans des banques et des sociétés immobilières, il est accusé par l’activiste anticorruption Rafael Marques de profiter de sa position pour s’enrichir personnellement. Des soupçons de conflits d’intérêts récemment relancés par des révélations du Financial Times et le lancement d’une enquête par la justice américaine sur les activités angolaises de la société Cobalt International Energy. Selon le journal britannique, cette société aurait obtenu de prometteurs permis d’exploration de champs pétroliers pre-salt auprès de Sonangol alors que son patron de l’époque, Manuel Vicente, détenait des participations dans le partenaire local de Cobalt (l’intéressé a rejeté les accusations de corruption).
L’avenir de l’actuel numéro deux Vicente est donc loin d’être tout tracé. D’autant que ce n’est pas la première fois que José Eduardo dos Santos fait d’un proche son possible héritier avant de le délaisser. Quant à la date d’une éventuelle passation de pouvoirs, les spéculations vont bon train : pendant ou à l’issue de son prochain mandat en 2017, ou encore à la fin du suivant en 2022… Plus que le résultat définitif qu’a obtenu le MPLA à l’élection, ce sont les prochains congrès du parti qui seront importants : en 2014 pour la session ordinaire et probablement en 2016 pour une réunion extraordinaire en vue des élections de 2017. C’est là que sera plus clairement posée la question de l’après-dos Santos.
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Par Estelle Maussion, à Luanda
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