Dans les Grands Lacs, l’histoire se répète

Le Rwandais Paul Kagamé (g.) et le Congolais, Joseph Kabila, à Addis Abeba, le 15 juillet. © DR

Le Rwandais Paul Kagamé (g.) et le Congolais, Joseph Kabila, à Addis Abeba, le 15 juillet. © DR

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 18 septembre 2012 Lecture : 6 minutes.

C’est un retour, désespérant, à la case départ. Après trois années de drôle de paix, la RDC et le Rwanda s’opposent de nouveau par proches interposés le long de la ligne de front du Nord-Kivu, au risque de prolonger encore le martyrologe des populations.

Les rebelles hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), dont les liens avec l’état-major de l’armée congolaise n’ont jamais été rompus, profitent de la confusion pour réoccuper leurs positions perdues, alors que les rebelles tutsis congolais du M23, adossés à la frontière rwandaise et qui bénéficient à Kigali d’un vrai courant de sympathie, campent à 25 km de Goma.

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Les premiers ont toujours le même objectif : renverser le régime de Paul Kagamé et reconquérir le pouvoir perdu en 1994. Les seconds, comme à l’époque de leur précédent leader Laurent Nkunda, ne cachent plus le leur : assurer leur mainmise sur ce vaste carré minier qu’est le Nord-Kivu, et, pourquoi pas, déstabiliser Joseph Kabila. Entre les deux, l’arme au pied, sommeillent les Casques bleus de la Monusco, dans le cadre de la plus coûteuse et de la moins efficace des opérations de l’ONU dans le monde.

"Faucon noir"

En mars 2009, quand Kagamé et Kabila s’accordent sur une plateforme destinée à résoudre sur le fond la crise des Grands Lacs, chacun semble pourtant avoir fait sa part du travail. Le Rwandais a mis fin à l’aventure du « faucon noir » Laurent Nkunda, placé en résidence étroitement surveillée à Kigali (il y est toujours), et le Congolais a accepté l’aide militaire de son voisin pour réduire les poches des FDLR dans le cadre de l’opération commune Umoja Wetu. Pendant près de trois ans, l’accord tient. Kabila fait le gros dos face aux critiques acerbes de son opposition, qui lui reproche d’avoir autorisé l’incursion d’un détachement rwandais dans le Nord-Kivu, et Kagamé résiste face à ceux qui, au sein de son armée, lui font grief d’avoir arrêté dans son élan le Tutsi Nkunda. L’ancien bras droit de ce dernier, Bosco Ntaganda, est reversé avec ses hommes au sein de l’armée congolaise, où il obtient le grade de général. C’est la paix des braves, le commerce transfrontalier reprend et la région respire enfin.

Début 2012, ce fragile équilibre est brusquement remis en question. Fraîchement réélu dans des conditions contestées, Joseph Kabila, qui tient absolument à réussir « son » sommet de la Francophonie, prévu pour octobre, doit impérativement donner des gages de bonne gouvernance à la communauté internationale. Parmi les cartes symboliques dont il dispose, il y a justement ce général Ntaganda, poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre. Quitte à ne pas le livrer dans l’immédiat, il décide de l’arrêter et de déplacer ses combattants, qui viennent à peine d’être (mal) intégrés au sein des Forces armées de la RDC (FARDC), à l’intérieur du pays. Déclenchée en avril, l’opération, après quelques succès initiaux, tourne au fiasco. Si Ntaganda s’enfuit dans les collines du Masisi, où il se cache toujours, ses hommes – entre six cents et huit cents – se mutinent et résistent avec succès après s’être donné un nouveau chef, le colonel Makenga, et une nouvelle appellation, le M23 (en référence aux accords du 23 mars 2009).

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Ces Tutsis congolais, auxquels se sont joints d’autres ressortissants des Kivus, repoussent des FARDC mal commandées et empêtrées dans d’inextricables problèmes de logistique. Pour relativiser cet échec, à dix contre un et avec un armement très supérieur (chars, hélicoptères, artillerie), les autorités de Kinshasa ont une explication dont elles ne démordront plus : l’armée rwandaise fournit hommes, matériel et armement aux combattants du M23.

Faille

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Imprécise et aussitôt démentie par Kigali, cette accusation reçoit en juillet le renfort inespéré d’un rapport intérimaire de l’ONU, rédigé par un groupe d’experts de la région. Apparemment documenté, ce texte, qui cite une liste de noms d’officiers rwandais et de centres d’entraînement au Rwanda même, présente cependant une faille quasi rédhibitoire due à une grave erreur de casting commise par l’administration onusienne : le coordinateur du groupe d’experts, l’américain Steve Hege, est l’auteur de plusieurs études antérieures hostiles au régime de Kigali. L’une d’elles, parue en février 2009, s’intitule « Comprendre les FDLR » et fait preuve d’une évidente bienveillance à l’égard de ce mouvement qui n’a pas coupé avec ses racines génocidaires.

En outre, le groupe d’experts n’a manifestement pas jugé utile de faire état du contenu de ses investigations auprès des autorités rwandaises afin de recueillir leur point de vue, comme il est de coutume dans ce genre d’exercice, avant de les soumettre au comité des sanctions de l’ONU et de les livrer aux médias. Pour Kigali, la messe est dite : ce rapport biaisé relève du complot. Place aux surenchères nationalistes. Alors qu’à Kinshasa la communication gouvernementale s’articule autour du thème de la patrie agressée, le Rwanda lance en fanfare le fonds Agaciro (« dignité »), destiné à remplacer une aide étrangère très marginalement menacée. Sur le terrain, la situation se fige et une guerre des mots, potentiellement dangereuse, se déchaîne, principalement alimentée par la presse et les sites congolais pour une raison simple : personne, à Kinshasa, ne contrôle un paysage médiatique ouvert à toutes les manipulations.

Même si l’on considère comme peu convaincantes, de par leur genèse même, les "révélations" du rapport Hege, la question de la réalité du soutien rwandais dont bénéficieraient les M23 continue de se poser.

Reste que, même si l’on considère comme peu convaincantes, de par leur genèse même, les « révélations » du rapport Hege, la question de la réalité du soutien rwandais dont bénéficieraient les M23 continue de se poser. « Quel serait notre intérêt ? proteste-t-on dans l’entourage de Paul Kagamé. Une telle ingérence ne pourrait que se retourner contre nous. Elle ternirait une réputation chèrement acquise, retarderait les investissements étrangers dont nous avons besoin et précipiterait l’imposition de sanctions. Nous ne sommes pas suicidaires. Ces accusations sont tout simplement absurdes. » ?

Méfiance

Entre ceux qui dénoncent une invasion rwandaise et ceux pour qui Kigali n’est en rien partie intéressée à la situation dans l’est de la RDC – deux thèses également improbables -, l’équilibre et sans doute la réalité sont à rechercher ailleurs. Si l’on voit mal, effectivement, l’armée rwandaise engager directement ses hommes dans le Nord-Kivu et fournir des armes aux rebelles, qui se sont déjà amplement servis dans les arsenaux des FARDC, il n’est pas niable que le M23 a pu recruter sans encombre dans les camps de réfugiés tutsis congolais au Rwanda. Il est également clair que Paul Kagamé n’est pas favorable à l’application immédiate du mandat d’arrêt de la CPI à l’encontre de Bosco Ntaganda, dans la mesure où il implique la dispersion du M23. La raison en est simple : une fois ces combattants transférés hors des deux Kivus, qui pourrait s’opposer aux FDLR, perçues par Kigali comme une menace ­existentielle ? Dire que le président rwandais ne fait pas confiance, pour effectuer ce job, à l’armée congolaise est un euphémisme.

En attendant qu’une hypothétique force neutre africaine, dont on ne sait pas encore qui la composera ni qui la financera, vienne patrouiller le long de la frontière commune, deux hommes tiennent en main le destin de la région. Entre Paul Kagamé, maître d’un pays réglé comme une horloge suisse où la discorde n’est pas tolérée, et Joseph Kabila, qui doit sans cesse compter avec l’indiscipline et la contestation de ses compatriotes, le dialogue est complexe. Mais ils se connaissent trop pour ne pas se parler. Lors de leur dernière rencontre, il y a deux mois à Addis-Abeba, en pleine crise, les caméras les ont même surpris en train d’éclater de rire. Preuve qu’autour des Grands Lacs rien n’est irréversible.

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