Livre – Gérard de Villiers : « On m’a accusé de racisme mais c’est faux, j’aime l’Afrique »
Auteur prolifique de romans d’espionnage dopés à la testostérone, journaliste introduit dans les milieux du renseignement, voyageur impénitent, le père du prince Malko Linge évoque son nouvel opus : Panique à Bamako.
SAS, trois lettres qui brillent dans les kiosques, les relais de presse et les librairies de la Francophonie. Trois lettres qui se découpent sur une photo de bimbo profondément décolletée et lourdement armée. SAS, pour Son Altesse Sérénissime Malko Linge, prince autrichien et « contractuel de luxe de la CIA », toujours aussi prompt, depuis 1965, à défourailler du holster et de la braguette. Familier des coins les plus chauds de la planète, il nous livre, le 5 octobre, le récit de ses dernières aventures dans le Mali déchiré : Panique à Bamako.
À 85 ans, son créateur, Gérard de Villiers, semble avoir l’esprit plus vif et malicieux que jamais, bien qu’un accident l’oblige à se déplacer avec un déambulateur. Ce qui ne l’empêche pas de se rendre systématiquement sur le terrain, hier à Benghazi et Bamako, demain au Caire. Plus grand reporter qu’écrivain de salon, il tape lui-même ses cinq « bouquins » annuels sur sa vieille machine électrique. Il reçoit J.A. dans son appartement de l’avenue Foch, décoré de kalachnikovs, de reproductions de grands maîtres, de bénédictions papales et de croupes festonnées de dentelle dans des cadres dorés. Interview.
Jeune Afrique : Malko est retourné souvent en Afrique récemment !
Gérard de Villiers : Je colle aux événements, et l’Afrique m’en a fourni de bons ces derniers temps. La Guinée-Bissau, endroit névralgique pour le trafic de cocaïne, m’a inspiré Féroce Guinée il y a deux ans. Puis j’ai sorti un bouquin en 2011 qui se passe à Nouakchott avec Aqmi [Al-Qaïda au Maghreb islamique, NDLR], et je suis aussi allé en Libye, à la fin des combats, pour Les Fous de Benghazi. J’étais en mai à Bamako pour ce livre. Il y a Aqmi, bien sûr, mais c’est surtout l’invasion du Nord, l’effondrement du Mali et tout ce qui s’ensuit qui m’a intéressé.
Quelle était l’ambiance à Bamako ?
L’ambiance est lourde. Beaucoup de Blancs sont partis, les Maliens sont des gens très gentils et calmes, pas du tout fanatiques, mais ils n’ont plus d’armée, plus de président, et le Premier ministre passe son temps au Burkina. Le pays va à vau-l’eau, et il est occupé à 80 % par Aqmi, le Mujao [Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest, NDLR] et Ansar Eddine, des fournées d’Al-Qaïda. Les gens sont inquiets à Bamako, mais tout se passe au Nord pour le moment.
L’intrigue se déroule pourtant à Bamako…
En effet, parce qu’Aqmi, le Mujao, Ansar Eddine et les Touaregs ont leurs relais à Bamako ! D’ailleurs, un des journalistes africains avec qui j’ai travaillé fait le go between entre le Mujao et les Algériens pour les otages [sept diplomates algériens enlevés en avril, NDLR]. Il a déjà été mêlé à des affaires du même genre et connaît tous les services : un type précieux ! D’ailleurs, c’est curieux, je raconte dans mon livre l’exécution d’un des otages, et cela vient de se passer début septembre. J’avais déjà rédigé le passage mais c’est dans leur logique, c’était écrit…
Vous aviez des enquêteurs sur place…
Le diable et les détails
Rien de tel qu’un pays au bord du précipice pour faire le bonheur de Gérard de Villiers. À Bamako, Malko Linge parvient à déjouer un complot antiaméricain, préparé depuis Tombouctou par Al-Qaïda au Maghreb islamique… Le récit fourmille de détails qui prouvent que l’auteur se base sur des faits réels. Et a frappé aux bonnes portes. Les amateurs maliens de SAS seront ravis de découvrir les aventures de leur héros dans des lieux qui leur parleront. Aussi fascinante qu’effroyable, la crise syrienne valait bien, elle, les deux tomes du Chemin de Damas. Malko ourdit depuis Beyrouth un plan pour éliminer Assad et le remplacer par une personnalité acceptable du régime… Et GDV démontre sa connaissance très pointue d’une Syrie très compliquée, mais aussi des bonnes adresses et des mauvaises moeurs de la capitale libanaise…M.G.B., L.S.P.
Je suis tombé sur d’excellents journalistes. Les Blancs ne peuvent pas aller dans le Nord, mais les islamistes acceptent que des reporters locaux accompagnent les convois humanitaires qui partent sur Gao et Tombouctou. J’en ai missionné deux très bons, qui ont fait un boulot parfait et sont revenus avec beaucoup d’éléments et de témoignages. Le téléphone portable, bizarrement, marche aussi très bien là-bas. Moi, j’ai surtout rencontré des gens des services et des acteurs principaux. Le capitaine Sanogo, qui a fait le coup d’État, par exemple, et le président intérimaire – mais seulement cinq minutes à l’aéroport d’où il partait pour la France après s’être fait lyncher.
Malko se rend pour la première fois au Mali, a-t-il apprécié le périple ?
J’avais moi-même été au Mali mais il y a très longtemps et j’avais beaucoup aimé. Les Maliens sont des gens très sympas qui sont loin d’être fondamentalistes. Les restos marchent bien, ils sont tous tenus par des Français, on y mange pas mal. J’étais à l’hôtel El Farouk, qui appartient aux Libyens, enfin on sait plus trop à qui il appartient ! Mais il est très correct, au bord du fleuve, piscine à 35 °C, etc. C’est un pays très sympa, d’autres le sont moins !
Quels sont les pays du continent qui attirent Malko ?
Il y a eu le Zaïre deux fois, il y a eu l’Angola, où j’ai été souvent, il y a eu le Burundi et le Rwanda, la Mauritanie, la Tanzanie, le Kenya, la Somalie, l’Éthiopie, la Guinée-Bissau, la Libye. J’irai certainement en Égypte d’ici à la fin de l’année et je prépare un sujet sur les milliards de Kadhafi.
Un peu comme ce qui se passe en Syrie…
Justement, en Syrie, il n’y a pas l’Otan, et Bachar peut encore dormir sur ses deux oreilles.
Vous n’avez pas eu peur de parler des grands méchants Syriens, comme Ali Mamlouk, dans Le Chemin de Damas ?
Mamlouk est tellement mouillé… Je ne m’attaque pas à lui, je le décris tel qu’il est ! C’est le reître sunnite au service des Alaouites, il restera avec Bachar et il mourra avec Bachar. Avec Maher al-Assad, c’est la cheville ouvrière. Mais vous savez, je suis très bien avec les Syriens ! Dans mon livre, je décris le régime tel qu’il est : ils n’ont jamais été des tendres. Ce ne sont pas des gens faciles, ils ont notamment fait assassiner un ambassadeur de France, mais ce sont des gens fiables. Sarkozy s’en était rapproché, mais quand les Américains ont déclaré qu’il fallait attaquer Assad, la France a attaqué ! Et il n’y a pas l’épaisseur d’un papier à cigarette entre Juppé et Fabius. Ils continuent le même plan, la même connerie. Fabius est fou, à part en Corée du Nord, je connais peu de ministre des Affaires étrangères qui oseraient dire d’un chef d’État en exercice qu’il « ne mérite pas d’être sur terre », c’est de la rhétorique cubaine !
Vous semblez parler en connaisseur…
Je les connais tous, ces gens-là ! Et encore, il y en a que je n’ai pas nommé parce que je ne veux pas leur créer de problèmes, mais je connais trois ou quatre types des moukhabarat [services de renseignements syriens], des gens qui ont vraiment des positions élevées… Quand on parle de la défection de Manaf Tlass, ça me fait mourir de rire ! C’est un play-boy qui ne vaut rien, son père était ministre de la Défense, mais il y a très longtemps. Il ne fait plus rien aujourd’hui, mais il est intouchable, et à cause de lui, Manaf est intouchable. Quant au Premier ministre déserteur, il n’était en charge que depuis un mois ! C’est un apparatchik qui a disparu aussi vite qu’il était apparu. Leur seule perte sérieuse, c’est Assef Chawkat, le plus intelligent de tous. Mais qui l’a tué ? Les deux bords sont suspects. Il ne faut pas oublier qu’il était lié aux Américains et que Maher ne l’aimait pas : il n’est pas impossible que les Américains aient essayé avec lui de faire ce que je raconte [un coup d’État interne au régime, NDLR]. Mais vous savez le scénario de mon bouquin, c’était le scénario américano-israélien ! Vous remarquez le silence assourdissant des Israéliens ? Ils ont déjà les Frères musulmans au sud-ouest, ils n’ont pas envie de les avoir au nord et ils s’entendent très bien avec les Assad…
À 85 ans, vous retournez obstinément sur des terrains difficiles…
J’ai la curiosité du journaliste chevillée au crâne depuis plus de cinquante ans et je suis toujours content de repartir ! Vous connaissez des journalistes qui ne vont pas sur le terrain ? Si vous n’y allez pas, vous ne ferez pas grand-chose ! Bon, vous pouvez aller sur Google, c’est plus facile ! Bof…
L’interview vidéo de Gérard de Villiers :
Vous êtes romancier…
Je suis avant tout journaliste et je le suis resté !
Dans SAS, la frontière est mince entre enquête bien renseignée et roman d’espionnage…
C’est beaucoup plus facile d’écrire sur des faits réels que sur des faits inventés : tout s’emboîte forcément puisque c’est vrai ! J’écris ce que les Américains appellent des factions, de la fiction basée sur des faits. J’avais par exemple publié un livre dont je suis en train de faire un film avec les Anglais : Aurore noire, l’histoire d’un groupe terroriste qui s’empare de matériel. « Aurore noire », c’est simplement le titre d’une note de prospective de l’Otan, une hypothèse réelle que j’ai reprise. Mes premiers lecteurs, qui sont les gens des renseignements, voient tout de suite les infos confidentielles. Mais le lecteur moyen ne cherche rien d’autre que sa distraction ! Ce que je veux avant tout, c’est que les gens se détendent et oublient leurs soucis pendant trois heures. Il y a des lecteurs qui se servent de SAS comme guide de voyage, d’autres s’intéressent à la géopolitique, à l’érotisme…
Vous êtes toujours très bien informé, vous fréquentez beaucoup les milieux du renseignement ?
Je ne fais que ça ! Et cela fait cinquante ans que je navigue dans ce monde et que j’aime cet environnement. Comme tout bon journaliste, j’ai plein de copains flics et on sait ce qu’on peut dire et ce qu’on ne peut pas dire. Je me tiens correctement, je ne trahis personne.
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L’écrivain (chemise blanche) en Angola au côté du chef de l’Unita, Jonas Savimbi, en 1980/ COLLECTION/AUDEBERT DIDIER/SIPA
Votre ami le général Rondot…
Philippe a pris sa retraite, on se voit et on se parle toujours, mais heureusement les amitiés se transmettent et j’ai d’autres relations.
Vous écrivez des papiers pour Atlantico, webzine de droite, et on vous dit conservateur, voire réactionnaire…
J’aime bien Atlantico parce que j’y fais ce que je veux. Politiquement, je suis résolument à droite, libéral, anticommuniste, anti-islamiste, anticommunautariste, antisocialiste, et c’est à peu près tout ! On m’a accusé de racisme, mais c’est faux, j’aime l’Afrique. J’y suis d’ailleurs accueilli à bras ouverts, et mes livres s’y vendent comme des petits pains.
Vous produisez pas mal d’infos confidentielles dans SAS, beaucoup moins dans vos articles sur Atlantico…
Dans un livre, vous pouvez dire beaucoup plus de choses que dans un organe de presse où il faut faire attention. Par exemple, je ne veux pas mouiller Jamil el-Sayyed [général libanais proche du régime syrien, NDLR], que je connais bien, mais je lui ai envoyé Renaud Girard, du Figaro, qui a fait son interview… et déclenché les foudres de l’Élysée et du Quai d’Orsay !
Comment définiriez-vous le genre de SAS ?
Marcel Julian les avait définis un jour, et je trouve ça pas mal, comme des « contes de fées pour adultes » : en dehors du noyau dur que vous, journalistes, devinez et connaissez, il y a un habillage de roman qui rend l’histoire attrayante à lire, parce qu’en vérité la plupart des vraies histoires d’espionnage sont d’un ennui mortel.
Et la place de l’érotisme dans vos pages ?
L’érotisme joue un grand rôle dans mes livres comme dans la vie. Quand les chefs palestiniens étaient réfugiés à Beyrouth, tous avaient comme maîtresses des Miss Liban, des filles sublimes attirées par ce côté adrénaline. Éros et Thanatos… Un beau couple qui marche très bien. L’érotisme fait partie de la vie, de celle de tout le monde, a fortiori de celle des gens qui la risquent.
Malko, c’est vous ?
Quand vous créez un personnage, vous lui donnez forcément, inconsciemment, des traits de vous. Par exemple, Malko ne fume pas parce que je n’ai jamais fumé, donc je ne pense pas faire fumer mon personnage. Il aime les femmes, j’aime les femmes. J’aime les chats, il les aime aussi. Mais bon, ça se voit moins ! Il y a toujours une correspondance entre l’auteur et son héros : on se projette, plus inconsciemment que consciemment d’ailleurs. Je n’aurais pas créé Che Guevara !
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Propos recueillis par Laurent de Saint Périer
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