Côte d’Ivoire : portes ouvertes à La Maca, prison centrale d’Abidjan

Des détenus trop nombreux, des gardiens parfois corrompus et des trafics en tout genre… Bienvenue à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, la plus grande et la plus célèbre prison du pays.

Le général Gervais Kouassi (dr.) et le procureur de la République, Kouadio Koffi (c.). © Kambou Sia/AFP

Le général Gervais Kouassi (dr.) et le procureur de la République, Kouadio Koffi (c.). © Kambou Sia/AFP

Publié le 3 octobre 2012 Lecture : 7 minutes.

De loin, on pourrait presque s’y méprendre : des murs jaune clair, un grand portail vert… La Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) a des allures de camp de vacances. De près, on distingue mieux les hommes en armes postés en haut des miradors, les barbelés qui surplombent le mur d’enceinte et le fronton de la porte d’entrée qui proclame le nom de l’établissement. Bienvenue dans la plus grande et la plus célèbre des prisons de Côte d’Ivoire. Le cinq-étoiles de la détention, refait à neuf il y a quelques mois. « On sait quand on y entre, mais pas quand on en sort », ironisent les Abidjanais.

Ici, on « accueille » aussi bien les bandits de grand chemin que les hommes politiques, mais eux sont logés dans le quartier VIP, dans un bâtiment légèrement à l’écart. Laurent et Simone Gbagbo, les anciens époux présidentiels, sont passés par là en 1992. À la fin des années 2000, il y eut les pontes de la filière café-cacao, Henri Amouzou, Tapé Doh ou Angéline Kili, tous remis en liberté provisoire en 2011. En août dernier, Laurent Akoun et Alphonse Douati, respectivement secrétaire général et secrétaire général adjoint du Front populaire ivoirien (FPI) fondé par Laurent Gbagbo, y ont été incarcérés.

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Construite en 1980, la prison de douze hectares était prévue pour 1 500 personnes. Depuis, elle a battu tous les records, culminant à 5 400 détenus en 2011. Située aux abords de la forêt du Banco, dans le quartier de Yopougon, elle a souvent été le théâtre d’évasions spectaculaires. La plus importante a eu lieu en mars 2011, au plus fort de la crise postélectorale : la totalité des prisonniers s’est fait la malle, alors qu’Abidjan était en proie à de violents affrontements, et de nombreuses questions subsistent encore sur la « spontanéité » de l’évasion. Les groupes armés fidèles à Alassane Ouattara, tout comme ceux restés fidèles à Laurent Gbagbo, ont été accusés d’avoir volontairement libéré les détenus pour ensuite s’en servir comme miliciens. Rouverte en août 2011, la Maca ne compte plus « que » 2 600 prisonniers, la plupart rattrapés par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). D’autres ont préféré revenir spontanément.

Profitant du « vide », entre mars et août 2011, les autorités ont décidé de rajeunir la prison. Plus de 2 milliards de F CFA (environ 3 millions d’euros) ont été investis pour réhabiliter portails, bureaux et cellules. Mais, pour beaucoup, l’opération est avant tout cosmétique : promiscuité, insalubrité, violence, concussion, drogue, armes… Il faudra beaucoup plus qu’un coup de peinture pour venir à bout des problèmes qui minent cette ville dans la ville.

Laissez-passer

En ce jour de visite, ils sont des centaines à faire la queue devant la prison, munis d’un « billet de communication », le laissez-passer délivré par le tribunal. En théorie, c’est le seul moyen d’entrer dans la Maca. Mais en théorie seulement, car quelques billets de banque glissés aux gardiens font tout aussi bien l’affaire. Dans le cas de l’auteure de ces lignes, 2 500 F CFA ont suffi.

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Le parloir des « droit commun » sent la sueur et l’urine. Prévenus et détenus s’entassent à deux ou trois par box pour s’entretenir avec leurs visiteurs dans une salle sombre. Rien à voir avec le parloir des « assimilés », les VIP de la prison : un grand hangar bruyant où fonctionnaires, journalistes, hommes d’affaires ou fils à papa « tiennent salon », installés sur des bancs en bois ou des chaises en plastique. On peut y croiser Denis Maho Glofiéhi, l’ancien chef des milices pro-Gbagbo pour l’ouest de la Côte d’Ivoire ; Ousmane Sy Savané, le directeur général du groupe de presse Cyclone (fondé par Nady Bamba, seconde épouse de Laurent Gbagbo) ; ou le commandant Marcelin Ogou Toli, soupçonné d’être impliqué dans l’assassinat des Français Yves Lambelin et Stefan di Rippel, en avril 2011.

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Inspection d’une cellule où sont gardées plusieurs dizaines de personnes. Trois millions d’euros ont été investis pour rénover l’établissement.

© Kambou Sia/AFP

Impeccable

Ici, pas question de se laisser aller. Chemise impeccable, montre de prix et chaussures cirées, un homme d’affaires franco-ivoirien incarcéré depuis six mois parle volontiers de son quotidien, mais tient à garder l’anonymat pour que ses relations ne sachent pas qu’il est en prison. « C’est mauvais pour les affaires, argumente-t-il. Pour tenir le coup, il faut avoir une chose à laquelle se raccrocher. Il faut garder un semblant d’activité professionnelle. » Comme lui, ils sont nombreux à continuer à diriger leur entreprise du fond de leur cellule, à recevoir employés et avoués pour signer des parapheurs. Si Alphonse Douati, l’ancien ministre du FPI, a souvent la visite de sa famille, il rencontre aussi régulièrement des membres du parti. Quant à Denis Maho Glofiéhi, il continue de superviser ses plantations à distance.

Dans le quartier des VIP, on s’organise comme on peut, y compris pour les repas. La cinquantaine de prisonniers a organisé un « roulement ». « On a établi des plannings de cuisine pour rationaliser nos dépenses, explique notre homme d’affaires. Les familles cuisinent pour tout le monde à tour de rôle. Mais ce n’est pas toujours facile. Par exemple, les fonctionnaires emprisonnés pour collusion réelle ou supposée avec l’ancien pouvoir n’ont plus de salaires. »

En liquide

Alors que la prison, ça coûte cher. Tout se monnaie et en liquide : entre 80 000 et 100 000 F CFA pour avoir droit à une chambre à quatre et non à vingt ; 1 000 F CFA par jour pour un ventilateur, le double pour un poste de télévision ; 100 à 200 F CFA par jour pour un préposé au ménage ou un garde du corps – évidemment sélectionné parmi les prisonniers de droit commun, dont les conditions de détention sont nettement moins enviables. Eux sont parqués par dizaines dans des cellules nauséabondes et surchauffées ; ils reçoivent peu de visites et n’ont pas la possibilité de se faire soigner… Dans leurs bâtiments, la tuberculose est la première cause de mortalité.

La Maca, c’est : 2 653 détenus, dont 1 632 hommes et 35 femmes condamnés, et 986 prévenus.

1 garde pour 40 détenus.

Le salaire mensuel moyen d’un garde s’élève à 50 000 F CFA.

La Côte d’Ivoire compte 29 prisons, pour un total de 6 218 détenus.

Complicité

Pendant ce temps, dans le quartier VIP, un détenu explique qu’il a fait poser un verrou à l’intérieur de sa cellule pour empêcher les gardiens de « venir le voler », mais que cela n’a pas fonctionné. Un autre reconnaît dépenser entre 100 000 et 200 000 F CFA par mois pour communiquer avec l’extérieur grâce à « un prisonnier qui tient une cabine téléphonique [qui loue un téléphone portable, NDLR] ». « Tous ces trafics sont gérés par un homme, un seul : c’est un détenu qui bénéficie de la complicité des gardiens, accuse un ancien pensionnaire de la Maca. Il brasse beaucoup d’argent, au moins 4 millions de F CFA par mois. Pourquoi voudrait-il sortir alors qu’il a tout ce qu’il veut sur place, au vu et au su des responsables de la prison ? »

En mars 2011, on se bat à Abidjan. Les détenus en profitent pour tous se faire la maille.

L’administration pénitentiaire dit prendre des dispositions pour mettre fin aux trafics. « Nous en avons été informés, assure Mahomed Coulibaly, son directeur. L’homme dont vous parlez a été mis sous mandat de dépôt, tout comme les gardes qui avaient été mis en cause. » Mahomed Coulibaly est fier de nous dire que « les agents aussi peuvent être sanctionnés », et cite l’exemple des quatre hommes qui ont été jugés et condamnés pour corruption depuis le début de l’année. À l’entrée de la prison, une circulaire punaisée sur un tableau d’affichage menace d’ailleurs les gardiens indélicats.

La corruption, justement, expliquerait en partie le grand nombre d’évasions qui ont lieu dans les prisons ivoiriennes. La dernière en date a eu lieu le 8 juillet : 12 détenus ont tenté de s’enfuir au cours de leur transfert à la Maca ; ils ont arraché les armes des policiers, mais huit d’entre eux ont été rattrapés. Deux jours après, le gouvernement annonçait qu’il allait remplacer l’ensemble des surveillants par des agents venus d’autres prisons du pays. Déjà, la sécurité aux abords de la Maca a été confiée à des éléments de la brigade antiémeute et c’est la gendarmerie qui se charge des miradors et du maintien de l’ordre dans l’enceinte de la prison. « Mais pour régler les problèmes de sécurité, il faut une vraie réflexion sur les prisons en Côte d’Ivoire, insiste Job Sodjinou, dont l’association Ngboado oeuvre en milieu carcéral. Le ratio garde-prisonniers est l’un des plus élevés de la sous-région. » À la Maca, il y a un garde pour 40 détenus.

Prison Break

Que se passe-t-il dans les prisons ivoiriennes ? Mi-juin, le gouvernement reconnaissait que 240 détenus s’étaient évadés depuis le début de l’année, dont 52 dans la seule journée du 4 mai à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca). Depuis, à Daloa, Bouna ou Bouaké, la liste des tentatives – réussies ou non – ne cesse de s’allonger. Premiers montrés du doigt, les gardes pénitentiaires. Peu formés, en sous-effectif, ils sont débordés pour les uns, corrompus pour les autres, et l’administration ne tient pas à les armer, tant elle redoute les trafics. Le gouvernement a promis de réformer le système : le 11 juillet, il a annoncé la mise en place d’une équipe d’experts de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) pour assister l’administration ivoirienne. M.G-B.

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