RDC : Matata Ponyo, l’homme de la rigueur

Avec le soutien du chef de l’État Joseph Kabila, malgré un naturel discret, le Premier ministre Augustin Matata Ponyo a imposé son style, sa méthode… et un programme qui ne laisse rien au hasard.

Le chef du gouvernement congolais, Augustin Matata Ponyo. © Baudouin Mouanda pour J.A.

Le chef du gouvernement congolais, Augustin Matata Ponyo. © Baudouin Mouanda pour J.A.

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Publié le 17 octobre 2012 Lecture : 6 minutes.

RDC : Mbote changement ?
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En swahili, matata veut dire problèmes, difficultés et, par extension, on dit de quelqu’un de peu malléable qu’il est matata. En lingala, matata est employé dans un contexte conflictuel et, dans l’entendement populaire, une personne est matata lorsqu’elle est compliquée. Augustin Matata Ponyo l’est-il ? Rien n’est moins sûr. C’est un homme de 48 ans emprunt de simplicité, auquel certains reprochent d’être trop droit, trop rigoureux, trop tatillon, etc. Certes, le nouveau Premier ministre montre une volonté manifeste de sortir de l’ordinaire. Y compris dans les détails. Après sa nomination, en avril, en prenant possession de ses bureaux à La Gombe, le long du fleuve, là où tous les Premiers ministres ont oeuvré, à commencer par Patrice Lumumba en 1960, le nouveau locataire a estimé qu’ils étaient dans un état crasseux, indignes d’une primature, et décidé qu’il était temps de les remettre enfin en état. Même chose pour le pays.

Résistance

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Depuis que Matata Ponyo est à la tête du gouvernement, un nouveau vocable est en vogue à Kinshasa, le verbe « matatiser ». Matatiser ? L’intéressé en sourit. « Les gens ont inventé ce verbe parce que j’ai décidé de bloquer tous les circuits par lesquels passe la corruption et qui empêchent ainsi l’État de percevoir ce qui lui est dû. »

Évidemment, les critiques pleuvent. « Depuis que Matata est là, l’argent ne circule plus, commente un député de la majorité. D’ailleurs, dans Kin, beaucoup de chantiers, essentiellement dans le bâtiment, sont à l’arrêt. » Mais Matata Ponyo, sûr de son fait, ne s’en laisse pas conter. « Si tout l’argent dû à l’État rentrait dans ses caisses, nous réaliserions beaucoup de choses sans nous endetter. Il faut fermer les robinets de la corruption », confie-t-il. Selon l’économiste congolais Oasis Kodila Tedika, 55 % des recettes du Trésor public se volatilisent à cause de la corruption, une corruption profondément ancrée dans les moeurs du pays et inscrite dans le quotidien, de celui des taxis, contraints de payer régulièrement les forces de l’ordre pour pouvoir circuler, à celui des grands marchés publics.

Il a préféré garder le contrôle du portefeuille des Finances, en y nommant un ministre délégué.

Le chef du gouvernement n’est pas un professionnel de la politique. Issu des rangs des technocrates, il est devenu ministre en février 2010, dans le gouvernement d’Adolphe Muzito, au portefeuille des Finances. Une entrée remarquée puisque les aspirations et le style de l’économiste ont tout de suite détonné avec les (mauvaises) habitudes. Il a ainsi interdit à certains commerçants étrangers, passés maîtres dans l’art de graisser la patte, de mettre les pieds dans son ministère, et fait refouler le cortège d’importuns qui, abusant de leur qualité, venaient encombrer ses couloirs sans aucun rendez-vous. Beaucoup de proches collaborateurs de ses collègues d’alors, habitués à venir chercher leurs enveloppes pour des dépenses prétendument publiques, se souviennent être rentrés bredouilles. Ce qui importe alors pour lui, c’est la stabilisation du cadre macro­économique, la lutte contre les passe-droits, la fraude fiscale et le détournement quasi systématique des deniers publics. Bref, tout ce qu’il faut pour se faire des ennemis, même au sein du gouvernement.

La résistance du ministre des Finances aux pressions venant de toutes parts finit par payer. Les institutions de Bretton Woods et autres bailleurs de fonds apprécient. En juin 2010, la RD Congo atteignait le point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et bénéficiait de l’annulation d’une très grande partie de sa dette extérieure. Ce n’est pas par hasard que, devenu Premier ministre, Matata Ponyo a préféré garder lui-même le contrôle du portefeuille des Finances en y nommant un ministre délégué.

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Miraculé

S’il est membre du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, présidentiel), Matata Ponyo, qui n’y exerce aucune fonction officielle, est plutôt discret et, même en tant que grand argentier du pays, n’était pas très connu du grand public. Jusqu’au 12 février dernier. Ce jour-là, il est avec d’autres personnalités dans un avion qui s’écrase sur l’aéroport de Bukavu, dans le Sud-Kivu. L’un des passagers, Augustin Katumba Mwanke, très proche du président Joseph Kabila, est tué sur le coup. Donné pour mort, le ministre des Finances est finalement sauf. « Je suis resté inconscient pendant une heure. Je revois Katumba, cet homme réputé tout-puissant, qui est monté dans l’avion habillé très simplement, sandales aux pieds, se souvient le miraculé de Bukavu. Rescapé, je n’avais plus le même regard sur la vie. » Après des soins en Afrique du Sud, contre toute attente, Matata est nommé Premier ministre le 18 avril.

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Le grand public découvre alors un homme aux costumes sombres, aux chemises blanches et aux éternelles cravates rouges. Lesquelles poussent certains de ses compatriotes à le soupçonner d’appartenir à une loge maçonnique, à un cercle ésotérique ou, mieux, d’avoir des pouvoirs surnaturels. Le Premier ministre s’en amuse. « J’ai adopté ce style vestimentaire quand je suis devenu ministre des Finances. Pour moi, le rouge symbolise l’abnégation. » Issu d’un milieu très modeste, malgré sa réussite, Matata Ponyo continue de penser que « l’argent n’est qu’une apparence ». Pour lui, l’équilibre repose d’abord sur Dieu (c’est un protestant pratiquant), ensuite sur la famille (il est marié et père de quatre enfants) et, enfin, sur le travail bien fait.

Ordinaire

Jusqu’à quel point pousse-t-il l’abnégation et la rectitude ? Son bureau n’a pas de dimensions démesurées, il est plutôt ordinaire. Derrière lui, sur un meuble, des photos en couleurs de ses enfants. Grand lecteur et homme de l’écrit, Matata Ponyo note, annote, souligne et ne résiste pas souvent à la tentation d’émailler ses discours de citations.

Premier arrivé à la primature, entre 5 heures et 6 heures du matin, il en repart toujours tard. Selon un membre de son cabinet, « pour lui, la ponctualité est une qualité essentielle ». Lors des premières réunions de son équipe, les ministres retardataires n’ont pas été autorisés à entrer dans la salle. Une leçon qu’ils n’ont pas oubliée. À l’instar des membres de son gouvernement, ses collaborateurs ont été amenés à adopter rigueur et efficacité, notamment en passant à des méthodes de travail modernes. Le temps étant précieux, plus de secrétaires ni de dactylographes pour saisir leurs textes, ils s’en chargent eux-mêmes, sur leurs ordinateurs et, chaque fois qu’ils reviennent de mission, ils savent que le plus urgent est d’envoyer leur rapport « au patron ». Contrairement à beaucoup de décideurs et responsables congolais, Matata Ponyo ne joue pas la carte ethnique, tribale ou régionale. « Ce qui compte pour lui, ce sont les compétences, les curriculum vitæ des uns et des autres, qu’il examine avec le plus grand soin », souligne son directeur de cabinet, José Sele, 44 ans, originaire de Gemena (Équateur), qui le connaît depuis seize ans et travaille avec lui depuis dix ans. D’après Sele, les personnes originaires du Maniema (Centre-Est), la province natale du Premier ministre, sont plutôt minoritaires autour de lui. C’était déjà le cas lorsqu’il dirigeait le Bureau central de coordination (BCECO), entre 2003 et 2010.

Mains libres

La méthode Matata, qui, on l’aura compris, ne plaît pas à tout le monde, est tout entière articulée autour de la transparence. Transparence du patrimoine des membres du gouvernement et autres collaborateurs, qui fait l’objet d’une déclaration. Transparence de l’action gouvernementale, via une feuille de route donnée à chaque ministre, qui, avec obligation de résultats, « doit rendre compte ». Afin d’aborder les questions spécifiques au champ d’action de chacun des membres du gouvernement, des réunions en comité restreint sont organisées quasi quotidiennement. Auxquelles s’ajoutent, évidemment, des échanges permanents avec le chef de l’État.

La méthode Matata, qui (…) ne plaît pas à tout le monde, est tout entière articulée autour de la transparence.

« Le Premier ministre est un brillant sujet qui travaille dur et qui a une vision. Ce n’est pas un politique, mais un technocrate pur ; les politiques aménagent, pas les technocrates, confie un membre du gouvernement. Il sait mettre de l’ordre, imposer la discipline et a, en plus, le sens des responsabilités. Comparé à Muzito, il a les mains plus libres et les ministres le respectent. » Fier d’avoir été formé dans son pays – il est licencié en économie monétaire et internationale et détenteur d’un diplôme d’études approfondies (DEA) en économie du développement de l’université de Kinshasa, où il a été professeur assistant de 1988 à 2000 -, Matata Ponyo voudrait parvenir à mobiliser le plus de ressources locales possibles plutôt que de tout attendre des bailleurs de fonds.

Pour arriver à ses fins – et à ces moyens que, il en est convaincu, la RD Congo possède largement -, la seule voie possible est d’assainir le milieu des affaires, de renflouer les caisses de l’État et d’éradiquer la corruption… Plusieurs fronts mais une seule et même bataille, décisive, qu’il doit mener en résistant aux tenants du statu quo.

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